À cause d'une baisse de revenus et de charges en hausse, Coralie, infirmière libérale de 43 ans, peine à finir les fins de mois. Elle cumule pourtant deux emplois en plus de son métier de soignante et se prive de loisirs, pour subvenir aux besoins de sa fille.
"Je suis obligé de travailler, j'ai une fille à charge". À 43 ans, elle cumule trois boulots pour vivre. Alors que le Collectif des infirmiers libéraux en colère appelle à une manifestation mardi 1ᵉʳ octobre à Marseille, pour dénoncer des frais trop élevés, de faibles rémunérations et une surcharge de travail, Coralie, une infirmière libérale des Bouches-du-Rhône, s'est confiée sur son quotidien, ponctué par les sacrifices.
Des revenus presque divisés de moitié
Quand elle entame sa carrière de soignante libérale, au début des années 2010, tout commence bien. "Je travaillais 15 jours par mois, c'était suffisant, je pouvais gagner 42 000 euros par an", se souvient-elle. Mais, à partir de 2017, ses revenus diminuent fortement. Ils atteignent 24 000 euros par an, soit plus de 40% de baisse, pour le même nombre de jours travaillés.
Des gains plus faibles, qu'elle explique par des journées moins denses, car les médecins font moins appel à elle pour s'occuper des patients. "Au début, on avait des prescriptions pour faire des pansements après une chirurgie, et pour retirer les sutures. Aujourd'hui, on a régulièrement des gens qui ont nettoyé eux-mêmes leurs plaies, et on vient juste enlever les fils", déplore l'infirmière.
Un temps de travail mal rémunéré
Moins d'actes, donc moins de rémunérations pour elle, mais aussi de plus gros risques sanitaires. "Les gens ne sont pas formés, ce n'est pas leur métier, se désole-t-elle. On tombe parfois sur des patients avec des blessures mal nettoyées, ou qui se sont infectées et qu'on doit renvoyer chez le médecin. Dans ce cas, ils doivent retourner se faire soigner et tout recommencer".
On peut tomber[...] sur un patient en arrêt cardiaque. Dans ce cas-là, je ne pars pas tant que les secours ne sont pas arrivés, même [...] si je ne suis pas payée.
Coralie
Comme ses collègues, ses visites chez les patients se composent aussi d'actes non rémunérés, mais souvent nécessaire. "On peut tomber sur une urgence, par exemple un patient qui fait un malaise. Dans ce cas-là, je ne pars pas tant que les secours ne sont pas arrivés, même si ça me décale toute ma tournée et que je ne suis pas payée." Elle accomplit aussi des tâches du quotidien pour les plus isolés, comme un changement d'ampoule, la prise de rendez-vous chez le médecin ou l'aide pour utiliser une tablette numérique.
Si l'indemnité de déplacement a été augmentée en janvier 2024, elle n'est que de 2,75 euros. "Ça signifie qu'en plus de l'acte médical, on reçoit moins de 3 euros pour le voyage, explique la soignante. Essayez de demander, par exemple, à un plombier, d'être payé moins de 5 euros pour le trajet, il refuserait." Les tarifs des actes de soins qu'elle prodigue, eux, n'ont pas augmenté depuis plusieurs années.
Des sacrifices importants
Pour Coralie, ses revenus en baisse vont de pair avec des charges en hausse, notamment le coût de sa prévoyance, de l'Urssaf ou de son matériel médical. Alors cette mère célibataire d'une fille de 17 ans, doit faire des sacrifices. "Il y a des mois où je ne me suis pas versé de salaire, explique l'infirmière au statut d'entrepreneuse individuelle. J'ai aussi travaillé avec une fracture du coccyx, car ma prévoyance ne me rémunère pas assez."
Des difficultés financières, qui pèsent aussi dans son quotidien. Elle avait contracté un prêt pour l'achat d'une maison avant que ses revenus ne baissent. Mais la soignante a été contrainte de vendre le logement, pour pouvoir continuer à rembourser son emprunt, qui lui retire chaque mois 1000 euros. "Je ne suis pas partie en vacances depuis au moins trois ans, je ne vais plus au restaurant. J'ai du matériel de ski, mais je ne peux pas aller à la montagne". Elle peine aussi à financer la formation en danse de sa fille, "qui a un avenir prometteur en tant que danseuse".
Cumuler deux autres emplois
Coralie a donc commencé deux boulots en plus de ses visites d'infirmières libérales. "Je fais le ménage dans la maison d'un monsieur une fois par semaine, et j'accueille et je sers les clients au bar dans des soirées dansantes", révèle la soignante. Des "extras", qui ne lui permettent d'économiser qu'une cinquantaine d'euros par mois.
Alors, elle hésite à continuer sa carrière d'infirmière libérale. "J'ai fait ce métier pour le contact avec les patients, ils nous disent qu'on est de leur famille. Mais je ne me vois pas faire ça jusqu'à 67 ans, à soulever des personnes plus lourdes que moi pour des soins. Je me demande même si je le ferai toujours dans cinq ans."