Le collectif infirmiers libéraux en colère appelle à manifester ce jeudi soir dans une vingtaines de grandes villes en France. Un mouvement initié par des infirmières de Carry-Le-Rouet, dans les Bouches-du-Rhône.
Les semaines de Fiona Lerussi, infirmière libérale au Rove, dans les Bouches-du-Rhône, sont interminables. "Je travaille 70 à 80 heures par semaines". Après une journée de visites à domicile, elle trouvera quand même le temps pour rejoindre la mobilisation pour la revalorisation des revenus des infirmiers et infirmières, ce jeudi 16 mai sur le Vieux-Port de Marseille. C'est à quelques kilomètres de là que la contestation a démarré, en 2023.
"Tout est parti d'une émission"
Le Collectif des infirmiers en colère appelle la profession et les patients à rejoindre le mouvement dans une vingtaine de villes en France. Dans la région, des rassemblements sont également prévus, à 20 heures précises, à Martigues, Avignon, Manosque et Nice. L'horaire choisi est symbolique. "C'est une référence aux applaudissements pour les soignants pendant le confinement... Mais c'est aussi l'heure où beaucoup de collègues ont enfin fini leur tournée", explique Gaëlle Cannat, co-présidente du collectif.
- Albi (place du vigan)
— Infirmiers Libéraux en Colère (@Idelencolere) May 9, 2024
- Avignon (place de l’horloge)
- Bayonne (devant la mairie)
- Belfort (place de la république)
- Bergerac (place Gambetta)
- Bordeaux (place de la comédie grand théâtre)
- Brest (place de la liberté)
- Caen (place saint sauveur)
-… pic.twitter.com/YjBJn3NFD6
L'association, créée en mars 2023, revendique aujourd'hui près de 5000 adhérentes et adhérents, dont environ 800 dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Fiona Lerussi se souvient des prémices de la mobilisation, en décembre 2022. "Tout est parti d'une émission, 'Cash Investigation', sur les soignants libéraux qui fraudent la sécu. Je ne me suis pas reconnue là-dedans. Aux yeux de l'opinion publique, on était des fraudeurs, des personnes riches, avec nos belles voitures. Alors que nous, on voyait nos conditions de vie se dégrader."
De 15 à un millier en moins d'une semaine
À l'époque, Fiona Lerussi est remplaçante dans un cabinet de à Carry-le-Rouet dans les Bouches-du-Rhône.
Un soir, on a fait une réunion à une quinzaine d'infirmières. Il y avait des professionnelles en fin de carrière, des nouvelles installées, des personnes syndiquées et d'autres non...
Fiona Lerussi, infirmière dans les Bouches-du-Rhôneà France 3 Provence-Alpes
Fiona écrit un texte qui regroupe leurs doléances : des indemnités kilométriques et des forfaits trop bas, des tarifs plus revalorisés depuis une quinzaine d'années... Et le publie dans le groupe Whatsapp des infirmières de la commune. Très vite, les revendications des infirmières de Carry font le tour du pays.
En moins d'une semaine, un millier de personnes rejoignent le groupe. Parmi elles, Gaëlle Cannat, qui propose tout de suite de publier le texte de Fiona sur un site de pétitions en ligne. Elle totalise aujourd'hui 133 000 signatures.
Le sentiment de dégradation des conditions de travail est largement partagé dans la profession, dont le salaire moyen avoisine les 2900 euros. "Oui, je gagne plutôt bien ma vie, admet Gaëlle Cannat, mais à quel prix ? Je dois prendre de plus en plus de patients et faire du travail de moins bonne qualité."
"Un forfait de soin pour une personne dépendante légère, cela correspond à 13 euros par jour. Certaines nécessitent que l'on passe deux ou trois fois dans la journée. Mais à ce tarif, le troisième passage est quasiment gratuit. Certaines collègues ne le font plus" abonde Fiona. "J'ai choisi de m'installer en libéral pour le contact avec les patients alors je le fais encore... Au détriment de ma vie de famille." Elle indique gagner 3000 euros de plus par an que lorsqu'elle exerçait à l'hôpital, pour un temps de travail doublé.
"Les élus sont très sympas, mais ça ne change rien"
Le collectif se structure rapidement en groupes régionaux puis en association. "Pendant un an, on a rencontré des élus, des députés... Ils sont très sympas, mais ça ne change rien."
Le gouvernement a entamé une concertation pour la refondation du métier. Début avril le ministre délégué à la Santé Frédéric Valletoux s'est engagé à lancer plusieurs chantiers, sur la "pénibilité" et l'élargissement des compétence des infirmières.
Mais le collectif demande des actions rapides et concrètes.
Quand on a vu en janvier la mobilisation des agriculteurs, on s'est dit que c'était la seule solution pour nous faire entendre.
Fiona Lerussi, infirmière dans les Bouches-du-Rhôneà France 3 Provence-Alpes
Pourtant, pas de blocage prévu sur le Vieux-Port. Les infirmières prévoient de distribuer des tracts et d'échanger avec les passants pour les alerter. Car selon Gaëlle Cannat, de plus en plus de professionelles envisagent de quitter le métier. "Cela représente 58% de nos adhérents".
Fiona espère exercer le plus longtemps possible. Mais pas jusqu'à l'âge de la retraite, fixé à 67 ans. "Récemment je me suis occupé d'un patient que je devais lever. J'ai eu très mal au dos, j'étais en permanence sous Doliprane, et j'enchaînais les rendez-vous chez l'ostéo. j'ai seulement 34 ans, mais à un moment, il va me falloir un plan B." En attendant, elle se bat pour son métier, fière de la réussite de la mobilisation. "Vous vous rendez compte, ce qu'est devenue notre petite réunion à Carry ?", sourit-elle.