VIDEO. Face à la pénurie de carburant, un infirmier libéral fait sa tournée en trottinette à Marseille

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Portrait d'un infirmier libéral en trottinette à Marseille. ©LOUISE BELIAEFF & FLORENCE GIROUX / FTV

Infirmier libéral, Jean-Sébastien Nizou a abandonné la voiture pour une trottinette électrique. Un moyen de contourner les pénuries d'essence en cette période de mobilisation contre la réforme des retraites. Mais ce n'est pas le seul avantage.

Pas besoin d'essence, ni de place de parking. Pour effectuer sa tournée dans le 1er arrondissement de Marseille, l'infirmier libéral Jean-Sébastien Nizou a troqué sa voiture pour une trottinette électrique.

Dans un contexte de pénurie de carburant, de mobilisation contre la réforme des retraites et d'inflation, ce mode de locomotion lui apporte de nombreux avantages : "Pas besoin d'essence, une prise électrique et ça suffit. Sur le 1er arrondissement, c'est impossible de circuler, il n'y a pas de place pour se garer, on paye les parcmètres. (...) les trottinettes, c'est vraiment l'arme ultime contre les embouteillages, je recommande à tous mes collègues infirmiers qui ont un petit secteur de l'utiliser."

Nous l'avons rencontré entre deux rendez-vous, sur la route entre le boulevard de la Liberté et le boulevard Longchamp.

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Jean-Sébastien Nizou, infirmier libéral à trottinette ©Louise BELIAEFF / FTV

Habitant dans les Alpilles, Jean-Sébastien Nizou doit néanmoins utiliser sa voiture jusqu'à Marseille, à 5 h 30 du matin, lorsqu'il commence sa tournée, avant de quadriller le centre-ville à trottinette. "J'ai eu des difficultés pour trouver de l'essence ces derniers jours. J'en ai trouvé ce matin, à 4 h 30 du matin, sur l'autoroute", explique-t-il. 

Onze stations-service ont été réquisitionnées dans les Bouches-du-Rhône pour les professions prioritaires, à partir du mardi 21 mars. Une décision attendue de pied ferme par les infirmiers libéraux : "On se sent tellement mis de côté, on fait partie des professions qui doivent être prioritaires. Il y a des infirmières qui font entre 100, 200, 250 kilomètres par jour pour aller voir leurs patients. C'est un peu compliqué. C'est la double peine, on roule beaucoup et l'essence a fortement augmenté."

Le soignant arrive à son prochain rendez-vous, il plie en deux secondes son bolide et le porte à bout de bras jusqu'au sixième étage, sans ascenseur. "Je ne peux pas laisser ma trottinette en bas à cause des vols."

Infirmier libéral, un rôle multiple

Nous arrivons alors chez un homme âgé, vivant seul dans une dizaine de mètres-carrés. Jean-Philippe Nizou assure les soins essentiels, comme la prise de tension, mais pas que. "C'est surtout voir s'il a bien pris son traitement, voir s'il ne lui manque pas quelque chose, faire le lien avec les assistantes sociales, ce qui n'est pas forcément notre rôle en libéral mais on est obligé de le faire... Car beaucoup de gens sont isolés."

"Si nous en tant qu'infirmier à domicile on ne prend pas ce rôle, il n'y a personne qui le fait, ou qui le signale", ajoute-t-il.

"Notre rôle, c'est aussi de voir si tout va bien. On l'a souvent vu tomber par terre ou passer par la fenêtre pour aller voir comment ça se passe. C'est aussi ça, l'isolement."

Jean-Sébastien travaille avec deux autres confrères. Ils se relaient pour aller voir les patients tous les jours. "On monte six étages avec nos poumons qui tombent... mais on continue, glisse-t-il avec le sourire. On est là pour éviter qu'il y ait un plus grand drame.

"On se sent utile, vraiment"

Ce métier "de passion" l'anime depuis plus de vingt ans. Après plusieurs années à l'hôpital privé de Beauregard, dans le 4e arrondissement de Marseille, Jean-Sébastien a choisi d'aller à la rencontre des patients à domicile, en tant qu'infirmier libéral. Une profession qui dépasse le périmètre purement médical. 

"A force d'aller voir de patients, toujours les mêmes, il y a une relation de confiance qui s'établit avec ces patients en difficulté. (...) On a un rôle primordial. On a un échange privilégié avec ces patients qui sont complètement isolés."

Jean-Sébastien Nizou

à France 3 Provence-Alpes

"Ils comptent sur nous, pas sur quelqu'un d'autre. On sent qu'on est vraiment utile, vraiment vraiment", livre-t-il, devant son patient qui opine du chef. 

Grâce à sa mobilité, Jean-Sébastien peut honorer les 40 rendez-vous du jour, et arriver à l'heure chez sa prochaine protégée. Quelques minutes de trottinette plus loin, il fait irruption dans l'appartement de Marie-Jo, 92 ans, qui l'accueille avec un grand sourire. "Tu m'as l'air en pleine forme", lui glisse-t-elle tout bas. 

Jean-Sébastien accomplit alors ses missions du jour, les médicaments, bien sûr. Et puis la petite marche jusqu'à la salle de bain. Ils avancent tout doucement, les bras accrochés l'un à l'autre. Devant le miroir, Marie-Jo se brosse les dents, tandis qu'il la coiffe calmement avec une brosse à cheveux. C'est aussi ça, sa mission.

"Quand Sébastien vient, vous comprenez, la solitude est cassée automatiquement, souffle la nonagénaire. Dans cette situation, surtout quand il y a la solitude, c'est très important d'avoir des personnes qui viennent vous rendre visite tous les matins. C'est très important."

Une pénibilité non-reconnue par la réforme des retraites

35 km de trottinette tous les jours, des journées de 15 heures de travail, 15 kilos à porter, 150 étages à monter... Derrière sa bonne humeur communicative et son énergie débordante, Jean-Sébastien, 48 ans, accuse le coup. "Les journées sont tellement bien remplies qu'au final, on arrive chez nous, on est épuisés.(...) Je ne me vois pas travailler jusqu'à 67 ans."

"Nous on peut prétendre à la retraite à taux plein à 67 ans. Avec la réforme, on peut commencer à partir à 64 ans. Je ne me vois pas faire tous les étages qu'on fait quotidiennement et porter et la trottinette et nos affaires. C'est infaisable.

"On a déjà tous des problèmes. On arrive à la retraite avec des problèmes musculosquelettique, de l'arthrose, des cervicalgies, des problèmes vasculaires et autre.

"La réforme pour nous, c'est un vrai mépris. On ne peut pas tolérer ça. Il faut vraiment que la pénibilité soit reconnue parce que sans ça on sera mort avant d'avoir la retraite."

Jean-Sébastien Nizou, infirmier libéral

à France 3 Provence-Alpes

Le soignant, syndiqué à Convergence infirmière, ajoute que pour les infirmiers libéraux, l'espérance de vie est de 76 ans. "Faites le calcul. On a vivre 7 ans avec nos faibles deniers."

Jean-Sébastien Nizou souligne qu'il n'y a pas beaucoup de syndiqués parmi les infirmiers et infirmières. Pour lui, c'est aussi pour ça qu'ils ne sont pas entendus par les institutions. "Depuis 2009, on n'a aucune augmentation. Nous pour gagner plus il faut travailler plus... Mais 15 h par jour ça fait beaucoup déjà, non ?"

"A un moment donné, vous n'aurez plus d'infirmiers à domicile, on ne prendra plus en charge les patients, on sera trop fatigué. Le risque, c'est pour les patients, pour vos parents. Un risque de ne plus pouvoir choisir son professionnel de santé. C'est le risque de la marchandisation de la santé, que les gros groupes prennent les soins de ville."

"On est les invisibles de la société. On travaille tant et plus pour être récompensé par une retraite aussi lointaine. On attend d'être reconnu par la société."

Jean-Sébastien Nizou

à France 3 Provence-Alpes

"On ne va pas baisser les bras, on va continuer, la lutte est lancée, déclare-t-il. Le mouvement "Infirmiers libéraux en colère", soutenu par le syndicat Convergence infirmier, se développe partout en France de façon exponentielle parce qu'il y a un ras-le-bol général."

Avec le collectif "Infirmiers libéraux en colère", Jean-Sébastien Nizou et certains de ses confrères envisagent de monter à Paris, pour faire entendre leurs voix. En attendant, la tournée n'est pas terminée. Son téléphone sonne, un patient l'attend, quelques rues plus loin.

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