"Le patrimoine sensoriel", voilà une jolie expression pour qualifier les bruits et odeurs de la campagne. La protection du "patrimoine sensoriel des campagnes" est entrée dans le code de l'environnement le 22 janvier. Il va devenir plus difficile d'attaquer le coq de son voisin en justice.
Maurice le coq, comme tous ses congénères, a chanté pour marquer son territoire. Il a gagné un procès l’autorisant à hurler "Cocorico !" Le procès était intenté par ses voisins. Maurice est devenu un symbole, puis s’est éteint en juin 2020, après avoir soulevé un débat national "Peut-on aimer la campagne sans ses odeurs, sans ses bruits ?"
Vos voisins n’aiment pas le coassement de vos grenouilles, le soir dans la mare ? C’est fréquent. Mais vos voisins vont avoir du mal à les faire taire. Car "vos" grenouilles sont désormais protégées en tant que patrimoine de nos campagnes.
Jeudi 22 janvier, le Parlement adopte définitivement le texte sur le patrimoine sensoriel des campagnes. Protégées les effluves de crottin… Protégés également les sons des animaux. Même les cloches des églises peuvent sonner. Tous sont répertoriés dans le code de l’environnement.
"Et bien dansez maintenant" écrivait Jean de la Fontaine
Nous danserons un peu plus tard, lorsque le texte aura fait ses preuves. Porté par le député Pierre Morel-A-L'Huissier, il est commenté par le secrétaire d'Etat gapençais Joël Giraud, chargé de la Ruralité "Une bonne proposition de loi de défense de la ruralité (...) la vie à la campagne suppose d'accepter quelques nuisances".
L’envie de campagne est grandissante chez les citadins, une tendance accentuée par les confinements. Ces litiges ruraux, déjà en hausse, pourraient encore augmenter. Ils sont insolites, font souvent sourire, ou sourire jaune. A Pignols, dans le Puy-de-Dôme, une procédure vise les déjections d'abeilles. Dans le Var, des vacanciers réclament l’utilisation d’insecticides pour se débarrasser de cigales trop bruyantes !
Pour épargner ce type d'affaires à la justice, on compte sur l’effet dissuasif de ce texte.
Quand le conflit avec les voisins devient invivable
Il y a un an, lorsque le projet de loi était voté à l’Assemblée nationale pour la première fois, une éleveuse s’en réjouissait. Meghan Armouni élève des cochons laineux avec son père dans la campagne aixoise, leur élevage s'appelle Biochons. Ils gagnent un procès contre la mairie de Puyricard. Celle-ci était poussée par les riverains à préempter le terrain où ils comptaient installer leur élevage.
"La préemption a été levée par la municipalité. Je vais enfin pouvoir quitter Ventabren et m'installer à Puyricard, dans ma forêt de chênes de neuf hectares, avec mes 48 cochons laineux, élevés en bio", se réjouissait Meghan.
Le déménagement a bien eu lieu mais Fouzi Armouni, le père de Meghan, décrit un harcèlement de la part de ses voisins. "Ils nous surveillent sans cesse et essaient de nous faire couler. " L’éleveur raconte qu’il est contrôlé en permanence, pour ses clôtures ou l’emplacement de son compteur électrique.
"Nos cochons vivent en plein forêt, ils ont beaucoup de place. Les voisins ne peuvent rien sentir, ils ne font pas de bruit, sauf un grognement de temps en temps", explique-t-il, "On ne veut pas faire une usine, ou de l'élevage intensif, nous élevons 48 cochons à l'année." Pris à la gorge, Fouzi Armouni dépense toutes ses économies pour payer son avocat et équiper sa parcelle. "Maintenant, je vis dans un mobil-home, ma fille a frôlé le burn-out. Pour mes voisins, tout est prétexte à me nuire," se désole l'éleveur.
Ce type de conflit, plus larvé qu'une plainte franche contre des cigales qui chantent, entrera peut-être dans le cadre du répertoire sensoriel des campagnes.