Une chaude journée d’été dans la campagne varoise. Le décès du chanteur et compositeur Michel Berger a pris de court ceux qui l’entouraient, autant que ses fans. C'était le 2 août 1992, il y a 30 ans.
Michel Jean Hamburger, de son état-civil, aurait bientôt 75 ans… Certainement, son aérienne crinière bouclée aurait blanchi. Peut-être même serait-elle clairsemée. Le temps aurait passé sur les notes de Michel Berger, comme il passe sur tous.
Est-ce que ses doigts courraient toujours avec magie sur le piano ? Sans doute. Est-ce qu’une nouvelle muse lui aurait à nouveau donné l’envie d’avoir envie ? Ou est-ce que, comme cet autre grand de la chanson française, son inspiration se serait tarie ?
Nous n’en saurons jamais rien. Du haut de ses 1 m 61 de talent aussi pur que la neige, Michel Berger est parti trop tôt, « loin des regards de haine et des combats de sang » qui ont accompagné les ultimes mois de sa vie.
C’était il y a 30 ans déjà, un 2 août.
« Mon piano danse »
Retour au début de l'histoire. Cela fait trois ans que Michel Berger et France Gall se sont rencontrés dans les locaux d’Europe 1 lorsque l’album Mon piano danse sort, en 1976. Modeste succès, mais l’auteur-compositeur-interprète y chante « moitié ange et moitié démon, c’est mon bébé blond, qui sait toujours avoir raison »…
Les paroles, il ne le sait pas encore, vont se révéler prémonitoires.
En attendant, cette même année 1976, les deux artistes très épris l’un de l’autre se passent la bague au doigt. Leur rencontre est une des plus merveilleusement féconde de la chanson française.
Michel Berger a déjà écrit la Déclaration d’amour qui relance la carrière de son bébé blond. Il produira d’ailleurs à partir de là tous les albums de la chanteuse.
Le couple devient mythique. Et c’est cette légende-là que la veuve officielle de l’artiste s’efforcera de forger et de maintenir jusqu’au bout.
1974, Michel Berger et France Gall - Si l'on pouvait vraiment parler :
Durant cette même décennie, Michel Berger écrit l’opéra-rock Starmania sur un livret de Luc Plamondon. Le 1er en français !
Sa femme bien sûr, ainsi que, révélation, un casting d’autres artistes franco-québécois, font partie du spectacle à succès. Son immense talent de mélodiste rend moderne, voire visionnaire, l’histoire de Johnny Rockfort (Daniel Balavoine) et de sa bande de zonards.
Plusieurs chansons cultes vont entrer dans le patrimoine musical français.
Le bonheur physique de la scène
La comédie musicale ouvre la porte aux années 80.
Les années des grands succès d’un Michel Berger chanteur, à la voix particulière. Faire de la scène, des concerts. Ce défi lui manquait, lui le travailleur acharné. Son public l’attend depuis longtemps et l’artiste sera au rendez-vous, au Théâtre des Champs Elysées, découvrant ainsi le bonheur physique de la scène.
En 1985, sur l’album Différences, on peut entendre cette chanson phare, l’une des plus connues de son répertoire :
Je veux chanter pour ceux qu’on oublie peu à peu et qui gardent au fond d’eux quelque chose qui fait mal, qui fait mal...
Michel BergerChanter pour ceux qui sont loin de chez eux
L'ancien journaliste sportif Gérard Holtz est un ami du couple Berger-Gall. Il se souvient :
Michel, c’était un sourire. Il s’intéressait à tout et il posait toujours beaucoup de questions, tout le temps. Il avait une énorme sensibilité. Il faisait attention à tout, même quand on allait faire des courses ou dans un garage automobile. C’était un copain assez extraordinaire parce qu’il était riche de curiosité et que cela permettait de sortir de nous-même.
Gérard Holtz
Les albums s’enchainent et, en 1990, Ça ne tient pas debout, le 9e, sera le dernier album solo et en studio de Michel Berger.
L’artiste vient de passer quatre années difficiles générant quatre ans d’absence. Il a perdu deux de ses plus grands amis à cinq mois d’intervalles.
France Gall voit le changement : "La mort de Daniel Balavoine et de Coluche a été la fin de quelque chose, vraiment la fin d'une époque. La fin d'un cycle, et c'était vraiment très dur, c'était trop rapproché en plus et... Daniel, ça a été...ça l'a fragilisé... parce qu'il n'avait aucune compréhension de ce qu'il se passait."
La mort tragique de son complice, Daniel Balavoine, en janvier 1986, dont il partage les valeurs et les engagements, le frappe de plein fouet.
Il a été parmi les premiers à croire en ce jeune chanteur à la tessiture vocale de trois octaves et demies, qui incarne Johnny Rockfort dans Starmania. Quand il écrit et compose, en 1983, sur son album Voyou, le titre La minute de silence, en pensant à son épouse, c’est avec Daniel, en duo, qu’il l’enregistre.
Quand il s’envole en Afrique pour le lancement de l’opération Action Ecoles, c’est encore et toujours avec l’ami Daniel. Ils sont inséparables à la ville comme à la scène et forment une véritable famille.
Chanteur humaniste, sensible aux grandes causes, Michel Berger, se découvre comme orphelin. En hommage à son presque double, il écrit la chanson Evidemment.
On danse encore - Sur les accords -Qu'on aimait tant - Evidemment - Evidemment - On rit encore - Pour les bêtises - Comme des enfants - Mais pas comme avant.
Michel BergerEvidemment
La sublime Minute de silence, il la lui dédiera aussi, désormais, lors de ses concerts au Zénith.
Michel Berger est fragilisé.
Il traverse les épreuves qui s’additionnent. En 1982, il avait déjà perdu son grand frère, qui avait aussi été son père de substitution. Pauline, la fille ainée du couple Berger-Gall, se bat contre la mucoviscidose... dont elle décèdera en décembre 1997.
Plus rien ne tient debout. Par la musique, il apaise et panse un peu ses plaies. Mais plus rien ne sera jamais plus comme avant. Quelque chose s’est effondré. D’ailleurs, l’album Ça ne tient pas debout est plus sombre que les précédents. Plus encore avec Le Paradis Blanc qui en est un titre phare. Sort cruel qui voit sa carrière au summum et sa vie familiale prendre une tournure dramatique.
Dernière apparition télévisée de Michel Berger, juin 1992 :
« Double jeu »
Le compte à rebours est enclenché. Michel Berger sort pour la 1re fois un album interprété, en duo, avec France Gall. Nous sommes le 12 juin 1992. Il a 44 ans.
Ce sera le dernier album du pianiste, auteur-compositeur, directeur artistique et arrangeur musical. Dans moins de deux mois, Michel Berger sera enterré dans le cimetière de Montmartre à Paris.
Savait-il qu’il mourrait jeune et qu’il fallait tout faire vite ?
Dans sa vie, un secret a alors pris une immense place. Son couple avec France Gall bat de l’aile depuis le début des années 90. Le duo est fissuré. Michel Berger veut divorcer et refaire sa vie. Le photographe Jean-Marie Perrier révèle qu’officieusement le couple n’était plus ensemble, que leur relation n’était plus que médiatique mais qu’au regard de leurs carrières entremêlées, il convenait de le masquer.
Une nouvelle version augmentée du biographe attitré de l’artiste, Yves Bigot, titrée sobrement Michel Berger aux éditions du Seuil, est sortie pour les 30 ans de sa disparition.
Le travail est rigoureux, précis, argumenté, exigeant. On y apprend pêle-mêle que Michel Berger commence à gagner sa vie à 15 ans en écrivant des chansons, qu’il en écrivit d’ailleurs une pour Bourvil, La Girafe.
On découvre aussi que l’artiste est fou de Gershwin, fasciné par les Anglo-Saxons à qui il voulait prouver que musicalement les Français étaient aussi bons qu’eux. On comprend combien l’obsession absolue de Michel Berger était de monter la version anglaise de Starmania, Tycoon, sorti (coïncidence) au moment même de son décès.
Il cherche des voix, il auditionne et rencontre, aux Etats-Unis, Béatrice Grimm, mannequin, descendante des fameux frères conteurs. Dès lors, le chanteur multiplie ses voyages en Californie. La relation est clandestine, peu de gens savent, Michel Berger compartimente sa vie depuis toujours. L’ancien attaché de presse de Michel Berger et France Gall, Grégoire Colard, affirme que cette dernière était parfaitement au courant de l’existence d’une autre femme, qu’elle ne le pardonnait pas, n’aimait plus ce que son mari composait à ce moment-là et se montrait impitoyable.
L’enregistrement de l’album au nom évocateur, Double Jeu, dont France Gall est coproductrice pour la 1re fois, se passe dans une atmosphère extrêmement tendue.
Le « workaholic » qui a toujours trois ou quatre projets en cours, plus deux ou trois d’avance, est très épris et projette de s’installer outre-Atlantique, à Los Angeles. Il y cherche une école pour ses enfants, mais, simultanément, il prospecte également en Suisse... Depuis 18 mois, Béatrice est la nouvelle muse de Michel qui veut lui dédier son prochain album. Les deux amoureux s’autorisent des escapades romantiques en Egypte et à New York.
Bien plus tard, Franca Berger, la sœur de Michel, présentera chez elle Béatrice Grimm au biographe Yves Bigot.
En attendant, cette nouvelle histoire d’amour est compliquée.
Pour Grégoire Colard, Michel Berger ne savait comment s’y prendre pour se séparer alors qu’une tournée en duo avec France Gall était prévue. De plus, il savait que la maladie de sa fille entrainait inexorablement cette dernière vers sa fin. Il était tiraillé par la culpabilité et vivait sous une pression incroyable.
Michel Berger était-il en pleine dépression?
Gérard Holtz se souvient différemment de cette période :
C’est particulier pour moi, car j’avais vu Michel un mois avant son décès, à Paris. On s’entendait à merveille. C’était une grande période d’amitié, de dîners à n’en plus finir et de franches rigolades. Il était joyeux, plein de gaieté et de projets. Je n’ai pas le souvenir de l’avoir senti anxieux ou angoissé.
Gérard Holtz, son ami
Ce qui est certain c’est que Michel Berger était à la croisée des chemins et s’apprêtait à changer de vie. Sentimentalement, professionnellement.
Il avait confié avoir de plus en plus de mal à trouver des idées nouvelles en musique et voulait basculer vers l’image et le cinéma. Il commençait à réaliser des clips vidéo. Il venait de vendre ses éditions musicales pour se lancer dans la production.
C’est l’été.
La famille Berger-Gall décide malgré tout de rentrer, comme chaque année pour les vacances, dans sa résidence familiale de Ramatuelle.
Ancienne membre de la troupe de Starmania, la chanteuse québécoise Fabienne Thibault explique dans un magazine que son ami souhaitait rester au calme, travailler et régler avec un avocat ses problèmes de couple depuis sa demeure varoise. Préparer sa nouvelle vie…
Le pas ne sera jamais franchi.
Gérard Holtz se souvient parfaitement de l’appel de celle qui était alors son épouse, Marie-Françoise, au matin du 2 aout 1992. « J’ai été choqué par le coup de fil, sidéré. J’étais aux JO de Barcelone. Il était 7h. Elle m’a dit : Michel est mort... Je ne comprenais pas ce qui se passait. La nouvelle m’a fracassé.»
Marie-Françoise Holtz était sur le court de tennis avec Michel Berger lorsqu'il a été victime d'une crise cardiaque.
« Dans les jours qui ont suivi, j’ai eu mon ex-femme plusieurs fois au téléphone pour me parler des obsèques, des enfants mais je n’étais pas dedans. Moi j’étais dans la grosse machine des JO.»
La chanson Le Paradis Blanc, distille ses paroles : « Y'a tant de vagues et tant d'idées - Qu'on n'arrive plus à décider - Le faux du vrai - Et qui aimer ou condamner - Le jour où j'aurai tout donné - Que mes claviers seront usés - D'avoir osé - Toujours vouloir tout essayer - Et recommencer »
France Gall est la veuve officielle, la mère des enfants de Michel Berger. Elle fera tout pour écarter Béatrice Grimm des obsèques et l’effacer du tableau. Elle défendra son œuvre. Elle sera, elle seule, l’héritière, la gardienne, le cerbère du temple Michel Berger. Un an à peine après le décès de son mari, elle décide de réaliser ce qui était prévu : monter sur scène pour interpréter, à Bercy, les chansons de Double Jeu.
Michel Berger, c’était des mots justes et forts. C’était des rythmiques reconnaissables entre toutes. C’était des mélodies accrocheuses à la 1re écoute. Bref, une variété de grande qualité, sans imposer d’ego.
Officiellement, l’homme est mort après trois crises cardiaques dont la 1re a eu lieu durant une partie de tennis, en plein soleil, avec l’ex-femme de Gérard Holtz.
« J’ai quelques chansons cultes de lui que j’écoute régulièrement. Et comme j’écoute Radio Nostalgie, il y en a d’autres que j’entends souvent. Je cite tout le temps à mes enfants et à mes copains, lorsque les choses sont un peu lourdes, qu’il faut tendre vers le Superficiel et léger, un des titres de son dernier album… Superficiel et léger, Michel ne l’était pas, mais il prêchait pour ça, dans cette chanson et dans la vie... » nous a confié le journaliste, 30 ans après la disparition de son ami.