Les fourmis électriques, cette "espèce exotique envahissante" toujours présente dans le Var

Deux ans après la détection d'un premier foyer en France, des "fourmis électriques" ont été identifiées dans le même département. Pourtant, la Commission européenne impose à tous les pays ressortissants d'éradiquer les espèces invasives dangereuses, dans les 3 mois qui suivent leur détection. Explications.

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Tout commence, au début de l'été, un habitant de la Croix-Valmer dans le Var est (encore) incommodé par des fourmis, dans son jardin. Cela fait plusieurs années, qu'il subit des piqûres relativement douloureuses et des irritations qui durent un peu trop longtemps à son goût.

En ce mois de juillet, il s'agace un peu plus et va chercher des informations sur internet. Il visionne une vidéo réalisée par deux spécialistes des fourmis. Luc Gomel, conservateur général du patrimoine rattaché à l'Université Paul Valery de Montpellier et Olivier Blight, chercheur à l'Institut méditerranéen de biodiversité et d'écologie à l'Université d'Avignon.

Il décide de les contacter, et leur envoie des photos. Les deux scientifiques sont presque sûrs : il s'agit bien de la "fourmi électrique".

Ils en auront la confirmation, en se rendant sur place. Le problème est qu'en France, il s'agit du deuxième foyer identifié de cette fourmi invasive très agressive. Le premier foyer avait été recensé par les mêmes spécialistes, il y a 2 ans, à 53 km de là, à Toulon.

Des "fourmis électriques" étaient présentes dans les jardins d'une résidence, dans les bâtiments, et dans le milieu naturel alentour.

Depuis 2 ans, on surveillait cette région comme le lait sur le feu, on redoutait l'existence d'autres foyers.

Luc Gomel, ancien ingénieur agronome spécialisé dans la lutte contre les fourmis invasives.

La fourmi est dangereuse

Parmi les 16 000 espèces de fourmis présentes dans le monde, 31 sont considérées comme envahissantes et cinq d’entre elles, comme très dangereuses pour la biodiversité. En bonne place, la "fourmi électrique" ou "petite fourmi de feu" (Wasmannia auropunctata) », originaire d’Amérique du Sud et d'Amérique centrale.

Attention, il ne faut pas la confondre avec "la fourmi de feu" (Solenopsis invicta) plus connue et originaire, elle aussi, d’Amérique du Sud ? Cette dernière a été détectée en 2013 en Sicile (Italie) et a causé de très importants dégâts.

La "fourmi électrique" ne mesure pas plus de 1,5 millimètre. Elle est également présente dans les Caraïbes et dans les îles du Pacifique. En Europe, elle a été découverte pour la première fois en Espagne en 2018. Puis à Chypre et en France en 2022. À Toulon.

C'est une "espèce exotique envahissante". La définition a été élaborée par la Commission européenne pour les espèces "introduites accidentellement ou délibérément dans un milieu naturel hors de leur milieu naturel d’origine, avec des conséquences négatives pour leur nouvel environnement". Sur la biodiversité ou la santé humaine. Ou les deux.

Le chercheur, Olivier Blight explique qu'elles "voyagent depuis très longtemps, mais leur taux d'introduction a explosé ces dernières années à cause de l'intensification des échanges commerciaux".

Les "fourmis électriques" représentent tout d'abord un danger pour les personnes. 

À La Croix-Valmer dans le Var, j’ai posé mon bras sans faire attention. Elles étaient nombreuses à me piquer, c'était douloureux et mon bras était rouge. Cela a duré 3 heures environ ! La quantité de poison est limitée, mais il est fort.

Luc Gomel, conservateur général du patrimoine à l'Université Paul Valery de Montpellier

Le risque le plus important peut concerner les personnes allergiques au poison de cette fourmi. Des piqûres répétées pourraient également entraîner de graves problèmes de vue chez les animaux domestiques. 

L'autre grand danger est la modification de la biodiversité, là où elles implantent leurs colonies. Ces fourmis très agressives s'attaquent à toutes les autres fourmis "locales" ainsi qu'à tous les insectes à leur portée, araignées, scolopendres, etc. Ce qui peut sembler un changement dérisoire dans un premier temps, devient, à terme, un véritable bouleversement pour les écosystèmes. En modifiant la faune, elles amènent des changements significatifs et souvent irréversibles sur la flore.

Le transport des graines, par exemple, peut se trouver sensiblement perturbé.

Parmi les pires envahisseurs biologiques

L'Office Français de la Biodiversité décrit la "petite fourmi de feu" comme une espèce "particulièrement adaptable : colonies très mobiles et sur tous substrats, en milieu perturbé ou non, alimentation opportuniste, et même une reproduction par clonage possible en milieu anthropisé."

Comme d'autres fourmis invasives, elles voyagent la plupart du temps, discrètement sur des plantes vivantes en pot. Mais également avec des containers de transport contaminés, ou les déplacements humains. 

Plus confidentiel, les fourmis font aussi l'objet d'un commerce international sur Internet ! Des passionnés font des élevages amateurs. "Si on commande des "fourmis électriques" à Hawaï et qu'elles sont livrées par La Poste, il n'y a pas de filtres possibles. Pour l'instant, on sensibilise les amateurs et les éleveurs".

Le nombre de ces dernières n'est pas encore significatif, mais les chercheurs craignent que dans les années à venir, cela ne représente une proportion plus importante.

Si la "petite fourmi de feu" fait partie du clan très fermé des plus grands envahisseurs de la planète, c'est qu'elle possède quelques superpouvoirs. Il n'existe pas de compétition entre individus d'une même colonie, aucun individu ne meurt sur l'autel de guerres intestines. Les autres espèces de fourmis peuvent s'entretuer, ce qui peut entraîner la réduction de la taille de la colonie. Son nid est nomade, les fourmis peuvent alors le placer dans les meilleures conditions climatiques possibles. Là aussi, les pertes sont réduites.

De plus, elles peuvent aussi s'adapter au climat méditerranéen, plus sec et plus frais l'hiver que dans leur zone tropicale d'origine, nous dit Luc Gomel "il peut y avoir une sélection naturelle, qui permet une adaptation génétique, il faut plusieurs générations pour qu'elle se fasse possiblement en quelques années."

Comment repousser l'ennemi ?

Lorsque les insectes sont transportés par l’homme, en dehors de leur environnement naturel, l'idéal est de faire appel à la lutte biologique pour les éradiquer ou tenter de les contrôler. On recherche, pour cela, leurs ennemis naturels de leur zone d'origine : d’autres insectes, des parasites, des virus ou des champignons. C’est difficile à manipuler, parfois dangereux pour des espèces non ciblèes et pas toujours efficace.

Il faut éviter que le remède soit pire que le mal. 

Pour la "fourmi électrique", aucune lutte biologique n’a prouvé d’efficacité en milieu extérieur.

Luc Gomel.

à France 3 Côte d'Azur

Aucunes recettes de grand-mère non plus. Ni même les insecticides, car les poudres et les vaporisations ne pourront tuer au plus 5 à 10% des fourmis qui se trouvent en dehors du foyer. C'est insuffisant pour tuer une colonie entière.

Il existe une seule et unique solution à ce jour : l'appât toxique. Pour la "fourmi électrique", il a été adapté à partir de celui élaboré  pour une autre espèce invasive, la "fourmi de feu". Il s'agit d'attirer les fourmis avec une nourriture  dont elles sont friandes, dans laquelle se trouve une quantité d'insecticide si faible qu'elles ne peuvent pas la détecter ou qui agit avec un effet retardant. Cet appât sera prélevé par des ouvrières récolteuses, rapporté dans les nids et distribué à tout la colonie, reines incluses. C'est l'ingestion massive des granulés toxiques qui viendra à bout des foyers visés.

Dans le cas de la fourmi électrique, l'appât toxique viendra d'Australie, sa dérogation d'utilisation ayant été accordée par les autorités françaises du Bureau des produits chimiques (Ministère de la Transition écologique).

Mais alors pourquoi sont-elles encore dans le Var ? 

Face à la présence de plus en plus fréquente d'espèces jugées dangereuses pour la biodiversité, la Commission européenne a pris ses dispositions. Elle a adopté depuis le 22 octobre 2014, un règlement n°1143/2014 qui a pour objectif de "prévenir, de réduire et d’atténuer les effets néfastes sur la biodiversité de l’introduction et de la propagation d’espèces exotiques envahissantes au sein de l’Union européenne."

Lorsque des individus d'une "espèce exotique envahissante"  sont identifiés sur un territoire, nous explique Luc Gomel, la Commission européenne contraint les États membres de les éradiquer dans les trois mois. Dans le Var, depuis deux ans, rien n'a été tenté. L'État français ne semble pas, ni prêt, ni organisé pour ce type d'actions. 

Alors en attendant, nos deux spécialistes s'activent sur leur temps personnel pour faire avancer les choses. Il faut faire vite, les fourmis ne chôment pas. Selon eux, au vu de l'espace occupé par les foyers varois, ils sont présents depuis près de 5 et 10 ans. Mais les preuves manquent. Les deux myrmécologistes savent que les colonies de "fourmis électriques" sont grandes par nature et abritent de nombreuses reines et qu'elles peuvent "bourgeonner " facilement, c'est-à-dire, donner naissance à d'autres foyers. À quelques dizaines de mètres, lorsque les fourmis se déplacent uniquement avec leurs pattes. Ou de plusieurs centaines de mètres, si elles bénéficient du ruissellement des eaux pluviales. Le développement endémique est possible et probable.

Les "espèces exotiques envahissantes" : un enjeu crucial

L’IPBES, la plateforme intergouvernementale la biodiversité des Nations-Unies, crée en 2012, a rendu en septembre dernier, un rapport dédié aux "espèces exotiques envahissantes ». Les chercheurs ont mis en avant l'implication de ces espèces dans près de 60% des extinctions d’autres espèces, et ont eu un impact estimé à 85% sur la qualité de vie, là où elles se sont implantées. 

Les invasions biologiques sont une composante majeure du changement global actuel, comme la destruction des habitats, le changement climatique et la surexploitation des ressources.

En Europe, le coût de la présence des fourmis des espèces invasives s'élève à 51 milliards de dollars. Il s'agit de l'impact sur les récoltes dans l'agriculture, du contrôle et de l'éradication des espèces.

À titre d'exemple, la "fourmi de feu" (Solenopsis invicta) est la 5ᵉ espèce ayant le plus de conséquences économiques à l’échelle mondiale.

Peut-être suivie, dans les années à venir, de la "fourmi électrique" ...

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