À la Maison de l'enfant à caractère social "La Verdière", à Montfavet (Vaucluse), les éducateurs ont décidé de se confiner avec les enfants, 24h/24, 7j/7. Après un mois de vie commune, les relations entre adultes et enfants ont changé. Une expérience inédite, riche d'enseignements.
"Lorsque Emmanuel Macron a annoncé le confinement, j'en ai parlé avec ma compagne et j'ai proposé de me confiner avec les enfants", raconte Hervé Roussel, éducateur spécialisé à la Maison de l'enfant à caractère social (MECS) "La Verdière", à Montfavet, établissement de l’ADVSEA (Association Départementale de Vaucluse de l’Enfance à l’Adulte).
"Faire des allers-retours quotidiens entre mon domicile et mon travail, c'était prendre le risque de contaminer les enfants et ma famille", explique Hervé. Avant d'être éducateur, il était sapeur-pompier. Il prenait déjà des mesures très strictes, avant le confinement, pour protéger sa famille.
Au total, six éducateurs du centre ont proposé de rester confiner avec les enfants. Depuis le 21 mars, la MECS est coupée du monde. Seuls, les livreurs amènent régulièrement des denrées alimentaires."Même nous, membres de la direction, on reste à l'écart, on les regarde à travers la fenêtre de nos bureaux", indique Fabienne Alleaume, directrice de la MECS "La Verdière". "On est en contact téléphonique permanent et on répond à leurs besoins", précise-t-elle.
"L'engagement de nos éducateurs est admirable, ils ont renoncé à leur vie de famille pour les enfants", ajoute la directrice. Les autres éducateurs sont en télétravail et cinq d’entre eux sont prêts à prendre le relais si nécessaire. En attendant, ils suivent les enfants maintenus à domicile afin que les accueils en famille ou en famille d’accueil relais perdurent le plus longtemps possible.
À "La Verdière", il ne reste que 16 enfants, âgés de 7 à 16 ans, sur les 30 résidents habituellement. Les autres ont été maintenus en famille d'accueil ou dans leur famille, quand c'était possible.
Les enfants du centre ont été provisoirement retirés de leur famille par décision de justice, pour diverses raisons, mais toujours pour préserver leur sécurité. Pour les 16 confinés de "La Verdière", un retour provisoire en famille ne pouvait pas s’envisager.
Une vie ritualisée
Confinement ne veut pas dire vacances ou dilettante, surtout avec des enfants qui parfois, présentent des troubles du comportement. Depuis un mois, le rythme de la journée est ritualisé, du lever le matin, au coucher du soir.Deux groupes de huit enfants ont été formés, celui des 7 à 11 ans et celui des 12 à 16 ans. La matinée est consacrée aux devoirs. Avant les vacances scolaires, c'était comme pour tous les enfants, "l'école à la maison". Des ordinateurs ont été installés pour suivre les cours en ligne et les leçons des enseignants.
"Certains enfants ont des difficultés scolaires, le confinement nous a permis de reprendre les bases et les enseignants se sont aussi adaptés", indique Hervé Roussel.
"On fait beaucoup de choses et surtout, on fait beaucoup plus de sport que d'habitude", raconte Amel, une jeune fille de 12 ans, qui vit ici depuis deux ans.
Au début du confinement, les mesures barrières étaient en place, notamment la règle de distanciation. "Une fois passé la quatorzaine, on a considéré que personne n'était malade alors, lorsqu'un enfant avait besoin d'un câlin, on ne lui refusait pas", reconnaît la directrice.
En fin de journée, les éducateurs et les enfants préparent eux-mêmes le repas du soir. "On fait la cuisine tous les jours", s'amuse Emmy, 12 ans, qui réside à "La Verdière" depuis un an. "On coupe les légumes, ce soir on prépare une daube. C'est comme à la maison".
"Avec le confinement, tous les jours sont les mêmes, il est très important de maintenir des rituels dans la journée, les enfants ont besoin de repères", explique fabienne Alleaume, "le week-end est différent des autres jours pour bien marquer une différence dans la semaine".
Garder le moral
Le moral est mis à rude épreuve avec le confinement. À la Maison de l'enfant, l'isolement prend une dimension particulière."Ma mère me manque", raconte Emmy, "heureusement, je peux lui parler et la voir, tous les mercredis et tous les dimanches, sur WhatsApp. Ca me rassure et ma mère aussi est rassurée".
"L'exigence pour nous, c'est de maintenir le moral des enfants. Pour ça, on cède parfois sur certaines choses", indique Hervé Roussel.
"A la maison, ce n'est pas facile non-plus, mon absence est difficile à vivre pour la famille, il faut aussi que je remonte le moral de mes proches. Si la situation dure encore, ça va devenir compliqué", ajoute-t-il.
Le confinement, une remise en question
Après un mois de confinement, les relations entre les adultes et les enfants ont changé et sont devenues différentes. "On a appris à se connaître, à se comprendre", explique l'éducateur."Les enfants respectent l'engagement et les sacrifices des éducateurs, ça a changé leurs relations", rapporte Fabienne Alleaume, la directrice.
"Avec les éducateurs, on parle plus qu'avant", ajoute Amel, "c'est comme des parents maintenant".
"Avant, on pouvait avoir un avis professionnel, mais"approximatif" sur les enfants. Le confinement avec eux nous a permis de mieux les observer. Quand un enfant est nerveux, on arrive à mieux comprendre l'origine du problème", explique Hervé Roussel.
"A titre personnel, il y aura un avant et un après confinement. Je ne saurais pas le définir, mais je ne travaillerai plus de la même façon, j'en suis convaincu", conclut l'éducateur.
"On a remarqué que les enfants sont plus calmes", ajoute la directrice, "certains enfants ne manifestent plus les mêmes troubles du comportement. Ce confinement nous a permis de gagner six mois d’évaluation dans le processus d’accompagnement éducatif".
Après le confinement, "il faudra reconstruire l'ordinaire, ça ne sera pas simple", conclut Fabienne Alleaume, "pour les enfants confinés, comme pour ceux restés à domicile".
À "La Verdière", les adultes aussi ont changé. La direction et les éducateurs ont l'intention de tirer les leçons de cette expérience inédite.