Après deux mois et demi d'audience, les plaidoiries ont débuté ce mercredi 20 novembre au procès des viols de Mazan. Les avocats de Gisèle Pelicot ont notamment battu en brèche l'idée d'un droit à l'erreur sur le consentement.
Nous n'entendrons plus Dominique Pelicot jusqu'à la fin du procès des viols de Mazan. Nous n'entendrons plus Gisèle Pelicot, ni ses enfants. Ni aucun des 50 hommes accusés d'avoir violé la septuagénaire. Une nouvelle page du procès s'est ouverte ce mercredi 20 novembre. Celle des plaidoiries.
La première partie de la matinée a d'abord été l'occasion d'entendre les derniers mots du chef d'orchestre des viols série qu'a subi son ex-femme, Gisèle Pelicot, pendant une dizaine d'années. Caroline Darian, leur fille, n'a pas réussi à contenir sa colère, à plusieurs reprises. Sans réussir à faire avouer à ce père qu'elle a aimé plus que ce qu'il a déjà déclaré.
Les débats ont pris fin aux alentours de 11h, au tribunal judiciaire d'Avignon, lorsque le président a donné la parole à Maître Antoine Camus, l'un des avocats de Gisèle Pelicot. Le second, Maître Stéphane Babonneau, s'est exprimé à partir de 13h30. Pendant les plaidoiries, le silence a régné dans la salle d'audience.
Le procès d'une "prise de conscience"
"Comment en France, en 2024, une femme peut-elle encore subir ce qui a été infligé à Gisèle Pelicot pendant au moins 10 ans ?", c'est la question qui ouvre la plaidoirie de Maître Babonneau. La volonté d'ouvrir le procès au public, et de renoncer au huis clos, est ici déterminante.
Pour Me Camus cela revient à "inviter la société tout entière" à réfléchir. "Transformer la boue en matière noble", "Faire de nos débats le terreau d'une prise de conscience. D'un changement des mentalités, d'un avenir meilleur."
"Faire que son histoire puisse servir", déclare de son côté Me Babonneau. "Il s'agit de donner à voir la manière dont en France, en 2024, on défend encore un viol. Elle (Gisèle Pelicot) n’a pas regretté cette décision un seul instant."
Des vidéos "déterminantes"
Les avocats de la partie civile ont eu un mot sur les vidéos, parfois insoutenables, projetées au cours du procès. "Pour une fois, nous disposons des images et du son", a souligné Me Camus. La preuve irréfutable de ce que Gisèle Pelicot a subi.
Ces vidéos qui hantent encore cette salle d’audience et pour sans doute très longtemps, sont au centre de ce dossier si ce n’est le dossier lui-même.
Me Antoine Camus, avocat de Gisèle PelicotFrance 3 Provence-Alpes
Pas de "voyeurisme malsain ni de sadisme vengeur", pour Me Camus. Mais des vidéos "déterminantes". "Sans ses vidéos, il est probable que les sévices sexuels aient perduré jusqu’à tuer madame Pelicot. Elles nous épargnent le parole contre parole auquel sont réduits l’immense majorité des procès de viols en France".
Il y a les preuves, et après ? Me Camus reconnaît avoir été, avec son confrère, "obsédé depuis plusieurs semaines" par une question : "Comment, comme avocat de la partie civile, contribuer avec les avocats de la défense, avec le ministère public, avec la cour, à faire œuvre commune de justice et de vérité ? Cette tâche immense nous incombe collectivement et sous les yeux du monde entier ?".
Un viol "de masse"
Me Camus s'interroge en outre sur la qualification pénale de ce dont est victime Gisèle Pelicot. Pour lui, il serait plutôt question "d’un viol de masse à exécution successive". Les coaccusés sont ici directement visés. "Chacun à son niveau a contribué à cette monstruosité et permis la continuation du calvaire d’une femme".
"Il n’existe pas d’infraction pour ça, il n’existe pas au plan pénal de responsabilité solidaire", ajoute Me Camus. "Techniquement, ce sont bien des viols, mais cette qualification apparaît bien insuffisante à lui rendre pleinement justice."
"Ce procès, c'est la culture du viol, pour Maître Babonneau. C’est un moment de civilisation. L'heure de se pencher sur un acte qui a remis en cause les fondements du contrat social". "C'est l'écriture d'une page de l'histoire sociale de ce pays".
Quant au principal accusé, Dominique Pelicot, Me Camus bat en brèche l'idée selon laquelle il aurait tout reconnu. "Il ne reconnaît jamais rien spontanément, jamais rien complètement. Il reconnaît lorsqu'il a la preuve irréfutable qui lui est agitée sous le nez".
Silence dans la salle d'audience. Dominique Pelicot a les yeux baissés la plupart du temps. Il se tient la tête avec sa main droite.
"Un mode opératoire diabolique"
Au cours de sa plaidoirie, Me Camus s'attarde par ailleurs sur le mode opératoire de Dominique Pelicot. "La soumission chimique n’est autre que le mode opératoire du crime parfait", lâche-t-il.
L'avocat évoque deux faces du septuagénaire : sa face A, celui que tous adoraient, et la face B, que personne n'a vue. Celui qui a drogué son épouse pendant une décennie. "On ne peut pas imaginer l’inimaginable. 99 % des victimes de soumission chimique n’ont pas la preuve matérielle. Gisèle Pelicot est une exception."
Une défense pointée du doigt
Au sujet de la défense des accusés dans ce procès, Me Camus s'étonne "qu'en France, en 2024 il y ait encore pour les victimes la phase de démonstration qu’on est une "bonne victime". L'avocat, sans citer le nom de ses confrères, fait référence aux questions qui ont été posées à sa cliente mardi, lors de son dernier témoignage.
"Si la défense est libre, elle dit beaucoup de ce que nous sommes. (...) Encore hier, on est venu faire le reproche à Gisèle Pelicot de faire preuve de plus d’indulgence à l’égard de son ex-époux plutôt qu’à l’égard de ses coaccusés. (...) Elle ne serait pas suffisamment dans la haine, on lui fait le reproche de ne pas pleurer assez. (...) Une manière de suggérer qu’il y aurait une forme de connivence suspecte".
Que regrette-t-on au juste, du côté de la défense ? Que Gisèle Pelicot ne se tire pas une balle dans la tête parce que sa vie n’aurait plus aucun sens ?
Me Antoine Camus
"Certaines de ces stratégies de défense n’ont plus leur place dans une enceinte judiciaire au XXI siècle", estime-t-il.
"Monsieur tout le monde n'existe pas"
Dans la salle d'audience, les accusés libres ou dans le box ne réagissent pas aux plaidoiries. Certains ont la tête baissée, d'autres la posture décontractée. Difficile de lire quelque chose sur 51 visages. "Après deux mois et demi de débat, on reste comme prisonniers d’un labyrinthe. On voudrait trouver un dénominateur commun, or celui-ci est introuvable", déclare Me Camus.
"Nous ne croyons pas, sur les bancs des parties civiles, que monsieur-tout-le-monde existe." "Le violeur, c'est simplement l'homme qui commet un viol", de compléter Me Babonneau.
Le libre arbitre en seul dénominateur commun
Tous n'ont pas un casier judiciaire, tous n'ont pas subi de violences dans leur enfance, tous ne se trouvaient pas dans une forme de précarité au moment des actes. Pour Antoine Camus, le point commun est ailleurs, dans le libre arbitre.
"Tous ont, d’une certaine manière, choisi de se rendre en connaissance de ce qui les attendait et ce qu’ils trouveraient sur place dans cette maison de Mazan. Même si certains ont été trompés sur le scénario (...) la manipulation s’arrête aux portes de la chambre à coucher. La manipulation, ce n’est pas de l’hypnose".
Pour Me Camus, tous les accusés ont "choisi de démissionner de la pensée, ce qui nous distingue de l'animal, pour faire prévaloir leur pulsion".
Le libre arbitre dans "le choix d'imposer leur vision de ce qu'est le consentement (...) On a toujours le choix".
Le consentement est largement abordé par son confrère Me Babonneau. "C'est la négation de tous les droits qui la définissent (Gisèle Pelicot) en tant qu’être humain. Les accusés l’ont renvoyée à une condition d’objet".
C’est une perte gravissime de liberté dont il est question devant votre cour. Il n’est question que de liberté. Tous les débats portent sur la liberté.
Me Stéphane Babonneau, avocat de Gisèle Pelicot
"Ce que plaident les accusés, c'est une simple et banale erreur d'appréciation sur le consentement de Gisèle Pelicot, poursuit maître Babonneau. Ils remettent la faute sur Dominique Pelicot."
Or l'avocat insiste : "Il n’existe pas le début d’un indice, d'une trace d'un droit à l’erreur sur le consentement d’une femme inconsciente".
C'est cette question du droit à l'erreur qui est centrale pour Me Babonneau. Il demande de l'écarter. Quand les hommes sont venus au domicile des Pelicot, la question de savoir s'ils savaient qu'elle était droguée ne tient plus, selon lui, lorsqu'ils se retrouvent face à ce "corps inerte".
Si vous acceptez de reconnaître un droit à l’erreur, qu’est-ce qui empêchera d’autres hommes, quand une femme leur dit "non", de dire qu'ils ont compris "oui" ? Qu'ils se sont, eux aussi, trompés ?
Stéphane Babonneau
Face à la cour, les derniers mots de Maître Babonneau sont les suivants : "Le temps est venu, pour la partie civile, de remettre entre vos mains leurs espoirs, leur histoire, leur futur".
À la fin des plaidoiries, un moment de flottement. Gisèle Pelicot essuie des larmes. Quand un dernier cri retentit. Ce n'est pas celui de Gisèle, reconnue victime aux yeux de tous. Mais celui de Caroline Darian sa fille.
Elle s'approche du box des accusés. Son père est debout. "Tu avais deux mois et demi pour me parler. Deux mois et demi. Deux mois et demi." Son message de désespoir est accompagné du signe "deux", avec sa main. Le président la coupe. Les débats sont terminés. Caroline Darian ne reverra peut-être jamais son père. Et n'aura peut-être jamais les réponses à ses questions.
L'audience est suspendue avant 15h. Prochain rendez-vous, les réquisitions du ministère public, dès lundi prochain, le 25 novembre.