Un club de "bikers" au secours des victimes de harcèlement scolaire

Lucas a neuf ans. Depuis deux ans, il est victime de brimades à son école. Ces derniers mois, il a obtenu un soutien de poids. Celui des Lag Spirit MC City of Popes, un club de "bikers". Ses membres issus majoritairement des forces de l'ordre roulent pour les victimes d'harcèlement scolaire.

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Quand il rentrait de l’école avec des bleus, Lucas disait à ses parents qu’il était tombé. "En raison de sa pathologie, il est assez maladroit, il a tendance à tomber", reconnaît Cécile sa maman, qui n’imaginait pas un seul instant que son fils puisse être victime de harcèlement scolaire.

"L’année dernière, on a commencé à voir apparaître des bleus suspects sur ses avant-bras et ses jambes, et il nous disait qu’il ne se rappelait plus".

Lucas est scolarisé en ULIS, une classe adaptée pour les enfants en situation de handicap, à Fuveau. Le petit garçon présente un retard global de développement.

Un enfer dont l'enfant ne parle pas

Un jour, Lucas craque. Il se confie à son parrain. "Il lui a dit : en fait je me fais taper tous les jours". Cécile découvre avec stupeur que Lucas est le souffre-douleur d’un camarade de classe plus âgé.

La maman alerte la maîtresse, rencontre la direction. Comme rien ne se passe, elle appelle aussi le numéro dédié au harcèlement scolaire, le 3020. Mais rien ne change. Les bleus continuent.

Lucas ne veut plus aller à l’école. Cécile porte plainte. "J’ai dû faire trois gendarmeries avant qu’on accepte de prendre ma plainte", souligne-t-elle.

Entre-temps, la France se retrouve sous cloche à cause du Covid. "Avec le confinement, mon fils a retrouvé un peu de sérénité". Et à la rentrée suivante, l’enfant harceleur n’est plus là. Il est parti au collège.

Pour Lucas, le répit est pourtant de courte durée. Un jour, il revient de l’école avec des dents cassées. Officiellement en jouant au foot. À la veille des vacances d’hiver, rebelote. Lucas a des bleus dans le dos et à nouveau, des dents cassées.

L'enfant finit par dire "qu’ils lui sont tombés dessus à trois", et qu’ils lui ont "explosé la tête contre le robinet des toilettes".

Deux enfants de sa classe avouent l’avoir frappé sur les ordres d’un troisième. La directrice promet qu’ils seront punis et les parents informés. Depuis Cécile n’a pas eu connaissance des suites données à l’affaire.

Mais Lucas porte toujours de nouvelles marques sur le corps. "Il a peur d’aller à l’école, ça va faire deux ans que ça dure. Il est fragile, il ne se défend pas et il ne le dit pas aux adultes".

Des parents qui se sentent impuissants

Les signes ne trompent pas sa maman. "C’était un petit garçon très joyeux et je l’ai vu perdre le sourire. Quand il se fait frapper, il ne veut pas en parler, mais il change de comportement, il est désagréable, il est agressif avec nous, il nous repousse, on voit qu’il n’est pas bien".

Au fil des mois, Cécile est passée de la surprise à la tristesse puis à la colère et la haine. Seule et impuissante, elle a posté son désarroi sur Facebook.

C’est comme cela que le Lag Spirit MC City of Popes l’a contactée.  "Au moment où j’allais le plus mal, ce sont les seuls qui m’ont répondu", témoigne Cécile. C'est une bouée à laquelle elle a pu s'accrocher.

Le Lag Spirit MC City of Popes, c’est un club de "bikers". Des motards en blousons noirs, avec tatouages et grosses cylindrées qui semblent tout droit sortis de la série Sons of Anarchy.

Des "bikers" d’un genre particulier. 80 % de ses membres sont des policiers, des gendarmes, des douaniers et des militaires. Encore en activité ou à la retraite. Sur leur temps libre, ils roulent pour une grande cause : lutter contre le harcèlement scolaire.

Des bikers en escorte

L’initiative est née en région parisienne en 2017 et a essaimé à travers la France. Le "chapitre" City Of Popes (l'antenne, ndlr), basé à Carpentras, existe depuis un peu plus d’un an. Ses bikers couvrent le grand quart sud-est du pays. 

"Fort ensemble", c’est la devise de ces motards au grand cœur. L'objectif est que les victimes ne se sentent plus seules. Mardi prochain, les Lag Spirit viendront en nombre à l'école de Lucas, à Fuveau, comme ils l'ont fait cette semaine, pour Michaela, collégienne en souffrance, à Carpentras. 

"On fait une escorte, explique Yul, le président du chapitre City Of Popes, on va chercher l'enfant devant l'établissement scolaire, et on le ramène à la maison en moto, derrière son parrain."

Les bikers suivent deux autres collégiens de 13 et 14 ans.

"Ça montre à l'enfant que les "grands frères" viennent le chercher en bécane et ça a un fort impact pour lui, souligne-t-il. Sur les harceleurs aussi. Le "style biker, avec barbes et tatouages, c'est assez imposant, surtout avec l'effet de groupe". 

Il ne s’agit pas pour autant de jouer les gros bras devant les établissements. "On n'est pas là pour les intimider, même s'il y a un impact visuel important", précise Yul, qui est aussi le parrain de Lucas. "Quand il nous voit, il a la banane et c’est déjà une première victoire"

"Au début, il était impressionné parce qu’ils ont des grosses motos et ils sont barbus, se souvient Cécile. Mais ils ont un lien très particulier. Avec eux, Lucas se sent soutenu et protégé, parce qu’il a peur et il a honte de ce qui lui arrive", ajoute sa maman.

Le moto-club aide aussi les parents dans leurs démarches administratives et judiciaires, notamment dépôt de plainte.

"Ils sont souvent démunis, ils ne savent pas à quelle porte frapper, indique Yul, on les met en contact avec des collègues qui s'occupent de ça, à la brigade des mineurs".

Briser le silence

"Ils m'ont conseillée aussi d'aller faire constater les blessures chez un médecin et de prendre des photos, des petits trucs auxquels on ne pense pas forcément", renchérit la maman de Lucas.

Cécile espère aussi que cela permettra de briser la loi du silence. "Je n’ai pas envie qu’un jour les pompiers m’appellent parce qu’il a pris le coup de trop, et qu’il est dans le coma, ou qu’il essaie d’en finir parce qu’il n’arrive plus à porter ce fardeau".

En France, selon l’Observatoire de la santé, le harcèlement scolaire touche 12 % des élèves au primaire, 10 % au collège, 4 % au lycée. Au total, 700.000 élèves subissent le harcèlement de leurs camarades de classe chaque année.

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