Déconfinement : dans le Vaucluse, les agriculteurs attendent "avec impatience" les saisonniers étrangers

L'inquiétude grandit chez les agriculteurs du Vaucluse à l'aube de la pleine saison des récoltes. Face à la pénurie de main-d'oeuvre qualifiée, ils attendent "avec impatience" l'ouverture des frontières pour accueillir les saisonniers étrangers.

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Alban Lambertin cultive du raisin de table dans le Vaucluse. Pensant qu'il avait l'autorisation de faire venir sa main-d'oeuvre de l'étranger, il a fait appel à quatre Espagnols.

Dotés d'un contrat de travail, ces derniers ont tenté de passer la frontière lundi 11 mai, en vain.

"Ils leur ont dit de rentrer chez eux et de ne pas se représenter, témoigne-t-il. Ce sont des gens peu aisés, c'est un coût pour eux d'aller en France. J'ai pris en charge l'hôtel, mais ça reste compliqué."

Pourtant la situation devient "critique" pour ses cultures dont la récolte est imminente : "La végétation a dix, quinze jours d'avance"

Même problématique pour Frédéric Vève. Cet agriculteur installé à Malemort-du-Comtat attend "avec impatience" l'arrivée de plusieurs travailleurs d'Andalousie, pour récolter ses cerises et préparer ses vignes d'AOC Muscat du Ventoux. 

Mercredi 13 mai, sept premiers travailleurs espagnols sont finalement arrivés sur son domaine, en car. "Ce n'est pas bien réglé. Pour ceux qui viennent en voiture, certains ne passent pas la frontière, certains oui. Ce n'est pas clair", témoigne l'agriculteur qui pointe un problème de communication.

Frédéric Vève attend encore six saisonniers espagnols mais "beaucoup ne vont pas venir", regrette-t-il. Les mesures d'hygiène contre l'épidémie de coronavirus et le manque de place dans les logements ne lui permettent pas d'accueillir trop de personnes. "C'est toute une organisation, donc nous ne pouvons pas accueillir trop de monde".

Jusqu'à présent, il avait réussi à combler ses besoins en recrutant grâce au bouche à oreille des gens du village en chômage partiel pendant le confinement.

Cantinière dans un hôpital, salariée d'une imprimerie, surveillante dans un lycée... Une équipe de huit jeunes femmes du coin a été formée par un des quatre salariés permanents travaillant sur l'exploitation de Frédéric Vève.

"J’ai joué sur tous les tableaux, ANPE, gens du village, pour essayer de faire des équipes qui tiennent la route".

Une main-d'oeuvre locale moins efficace

"J'ai embauché une dizaine de Français qui n'avaient jamais vu de vignes de leur vie et qui ont fait un travail super", assure-t-il tout en admettant que leur productivité n'égalait pas celle des étrangers, plus aguerris et surtout déjà formés. 

"Les saisonniers espagnols connaissent les parcelles, le travail. Or cette année on est obligés de prendre des gens qu’il faut former, c’est plus long. Le tri, le calibrage à la main... ça ne s’apprend pas du jour au lendemain. Il faut une campagne ou deux pour savoir faire ça".
Même constat pour la vigne. "C'est très délicat et minutieux. Quand il faut apprendre à quelqu’un à ébourgeonner une vigne, à palisser une vigne, à tomber du raisin... C’est très technique."

Une dimension affective s'ajoute aux problématiques techniques : "les Espagnols viennent depuis des années et des années. C’est une tradition chez nous. C’était les grands-parents, puis les enfants, puis les petits enfants, ça a toujours été comme ça. Certains sont devenus des amis", raconte le Vauclusien.

"C’est inquiétant car c’est notre gagne-pain"

Le calcul est vite fait pour Frédéric Vève : "On va manquer de monde. On va aller moins vite, on ne ramassera pas tout. C’est inquiétant car c’est notre gagne-pain. On a travaillé toute l’année pour ça. On arrive à la récolte, et nous n'avons personne pour les ramasser".

Economiquement, le producteur de cerises estime que "cela va se ressentir". Avec ces apprentis saisonniers du confinement, la récolte reviendrait "un tiers plus cher", estime Raymond Girardi, vice-président du syndicat agricole Modef. 

"Quand on a l'habitude de faire la cueillette de fraises, on fait les bons choix, on les dépose dans la barquette de la bonne façon... Celui qui débarque tâtonne un peu, il y a moins de volumes et besoin de contrôler davantage", explique-t-il.

Malgré l'afflux de personnes au chômage partiel disposées à prêter main-forte dans les champs, comme à Lurs, dans les Alpes-de-Haute-Provence, où des salariés en chômage partiel se sont improvisés cueilleurs de pivoine, les besoins n'ont été que partiellement couverts.

Une main-d'oeuvre essentiellement étrangère

La plupart de ceux qui se sont improvisés saisonniers pendant le confinement vont devoir reprendre leur activité. Les saisonniers étrangers sont donc attendus de pied ferme en Paca.

Selon le président de la Chambre régionale d'agriculture et vice-président de Chambres d'agriculture France, André Bernard, les étrangers représentent plus de la moitié de la main-d'oeuvre dans la région (et au moins un tiers en France). 

Parmi eux, des Européens (Espagnols, Portugais, Roumains, Bulgares...), mais aussi de Tunisiens et Marocains recrutés via les contrats de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII).

Pas de dérogation aux frontières

Problème en cette période de coronavirus, aucune dérogation n'est attendue pour autoriser les contrats OFII à franchir les frontières. "Environ 5.000 personnes n'ont pas la capacité de venir", en Paca, souligne André Bernard. 

La semaine dernière, Christophe Castaner a annoncé des "dérogations supplémentaires" pour passer la frontière avec un pays européen, notamment pour "un motif économique impérieux", comme pour les travailleurs saisonniers agricoles. 

Aujourd'hui, la situation urge pour André Bernard. "Il tarde qu'ils puissent arriver. Ça a été annoncé, il faut que ça se débloque rapidement".

Une des solutions pour pallier ce problème serait, pour Raymond Girardi et André Bernard, de revaloriser le travail agricole pour renouer durablement avec la main-d'oeuvre française, et espérer prétendre à l'indépendance agricole prônée au sommet de l'Etat.

Dans les champs de cerisiers et les vignes de Frédéric Vève, l'expérience n'est pas que négative. L'agriculteur envisage même de réembaucher l'équipe de jeunes femmes du village, l'année prochaine. 
 
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