La candidate du Rassemblement national est en meeting dans le Vaucluse jeudi. Sur ses terres d'élection, Marine Le Pen a fait ses meilleurs scores régionaux au premier tour de la présidentielle, sauf à Avignon, qui résiste à la vague bleu marine.
Bédarrides est un charmant village de 5.000 habitants connu comme la ville au sept rivières. Un haut lieu touristique du nord Vaucluse, au cœur de la route des vins des Côtes du Rhône.
Au premier tour de l'élection présidentielle, dimanche 10 avril, Marine Le Pen a récolté près de 43 % des suffrages exprimés, Eric Zemmour (Reconquêtes) 12,5 %.
"Elle au moins, elle s'occupera de nous et pas du reste du monde", se justifie un électeur qui lui a donné sa voix. Comme beaucoup d'autres, il espère sa victoire "pour plus d'égalité".
Un vote de "défense"
En 2017, 63% des électeurs bédarridais avaient placé Marine Le Pen en tête du second tour de la présidentielle.
"Elle peut gagner", veut croire Mireille Boccabella, ancienne aide-soignante, qui perçoit 1.000 euros de retraite. La candidate du RN l'a convaincue par sa campagne sur le pouvoir d'achat : "Il faut plus d'égalité: que les riches payent l'impôt sur la fortune, que la richesse soit répartie et que l'on fasse plus pour les petites gens qui ne sont pas considérées".
En juin 2020, Jean Bérard a été élu à la tête de ce village, qui compte 30 % de retraités et près de 11 % de chômeurs.
"Je me garderais bien de donner une consigne de vote, les gens font ce qu'ils veulent, il n'y pas de honte", affirme le maire, élu sans étiquette mais avec le soutien du RN qui a revendiqué cette victoire.
Ces votes sont des "bouffées" liées à un effet d'entraînement selon l'ancien maire divers droite Christian Tort : "ils se montent le bourrichon", reconnaissant que "cela fait une bonne quinzaine d'années que les habitants votent extrême droite à toutes les élections".
"On est dans la sociologie des électeurs potentiels du RN: à Bédarrides les retraités sont majoritaires, ce qui explique un vote avant tout conservateur, et 50 % de la population a le Bac au maximum. On se retrouve dans une zone rurale, avec des habitants de catégories non favorisées, mécontents de leur situation et qui craignent que ça aille plus mal, et procèdent donc à un vote de "défense", analyse Christèle Lagier, maître de conférence en Sciences politiques à l'Université d'Avignon, spécialiste de l'extrême-droite en Vaucluse.
L'extrême droite à 39,5 % dans le Vaucluse
"Le Vaucluse est l'un des départements les plus pauvres de France (20 % de taux de pauvreté) et la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur une des plus inégalitaires avec des populations très, très riches qui côtoient des gens très, très pauvres. Entre les deux, on a des gens qui regardent vers le haut et vers le bas".
Dans ce département de quelque 560.000 habitants, au premier tour de la présidentielle, comme en 2017, Marine Le Pen a largement devancé Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon.
Le score du RN n'est pas vraiment une surprise dans ces terres vauclusiennes où le FN est ancré de longue date. Malgré la concurrence d'Eric Zemmour, Marine Le Pen a maintenu ses bons scores. Et à eux deux, ils frôlent les 40 % au premier tour, améliorant le score de près de neuf points par rapport à 2017.
Selon Christel Lagier, "le RN a une capacité à capter" les "catégories populaires qui sont à la frontière de la classe moyenne: ils travaillent ou ont travaillé, ont des revenus, ont parfois accumulé un patrimoine modeste et ont l'impression d'être ceux qu'on ponctionne fiscalement de manière trop importante".
"Ils ont le sentiment d'être privés de leurs profits au bénéfice de populations qu'on "assiste", selon eux. Dans le Vaucluse, c'est particulièrement prégnant, car il y a une immigration maghrébine significative, avec le sentiment pour certains, que ces gens-là bénéficient d'allocations dont eux ne bénéficient pas. Quand ils font des demandes de bourses ou d'aides sociales, ils ne les ont pas parce qu'ils sont juste au-dessus des barèmes.".
La politologue ajoute : "ils sont entre les catégories de privilégiés, auxquelles ils n'ont pas le sentiment d'appartenir, et celles d'"assistés", selon eux. Ils sont à la fois dans la crainte de tomber et dans la colère de ne pas bénéficier de l'État providence".
En meeting à Avignon, la ville qui résiste toujours au RN
Dans ce paysage bleu marine, Avignon fait figure d'exception. Marine Le Pen y fait l'un de ses deux meetings de l'entre-deux-tours, au parc des expositions, et ce n'est pas un hasard.
"Elle vient à Avignon parce qu'elle sait qu'elle est en terrain conquis et elle est sûre d'avoir une affluence importante", indique Christel Lagier.
"Et elle choisit Avignon aussi parce que Mélenchon est arrivé très haut et qu'elle a la possibilité peut-être de récupérer une partie de cet électorat populaire, protestataire, social, qui va peut-être venir la voir par curiosité".
Au premier tour dimanche dernier, à Avignon, Jean-Luc Mélenchon a réalisé 36,87 %, soit 8,5 points de plus qu'il y a cinq ans, malgré la présence du communiste Fabien Roussel et de l'écologiste Yannick Jadot.
Le président sortant est stable autour de 20 % comme en 2017 alors que Marine Le Pen, elle, rétrograde à la 3e place avec 18,94 %, avec un candidat Reconquête Eric Zemmour à 7,7 %.
"On est sur une commune qui ne vote pas du tout comme les communes alentours, rappelle Christel Lagier qui déjà en 2017 soulignait cette particularité d'Avignon, "isolée dans un environnement frontiste", sans doute pour des raisons liées à son identité culturelle".
Dans la cité des Papes, le candidat de la France Insoumise a réussi à mobiliser une partie des électeurs des quartiers populaires et, en même temps, "en centre-ville, dans la partie la plus favorisée de la ville, il a ramené vers lui des catégories supérieures", note-t-elle encore.
À la conquête de l'électorat de Mélenchon
La candidate du Rassemblement national espère capter une partie de ces électeurs déçus, mais sa réserve de voix est restreinte selon Christel Lagier.
"Ce sont aussi des catégories très abstentionnistes, et ce n'est pas du tout dit que l'affiche du second tour Macron - Le Pen qui rejoue le match de 2017, motive des gens qui ne sont pas très intéressés par la politique".
Ainsi l'abstention, en hausse sur Avignon, à 31% (+5 points par rapport à 2017), pourrait encore enfler le 24 avril.
"Si on regarde bien les résultats du premier tour, la mobilisation s'est faite sur la candidature de Mélenchon", fait remarquer la politologue pour qui ces électeurs privés de leur candidat risquent surtout de renvoyer dos à dos les deux finalistes.
"Le front républicain va se réduit parce que Macron capitalise beaucoup de protestation, mais je ne pense pas que Marine Le Pen ait vraiment un réservoir de voix si important que ça, sachant que tous ceux qui ont voté pour elle au premier tour ne vont pas tous aller voter pour elle au second non plus, on n'est pas sur des stocks d'électeurs stabilisés", conclut Christel Lagier.
Au deuxième tour de 2017, à Avignon, Emmanuel Macron avait obtenu 67,11 % des suffrages et Marine Le Pen 32,89 %. Et près de trois électeurs sur dix ne s'étaient pas déplacés aux urnes.