A l'issue du premier tour de l'élection présidentielle ce dimanche, quel est le nouveau rapport de force entre la droite républicaine, la gauche traditionnelle et l'extrême droite ? Quels sont les rapports de voix possibles pour le second tour le 24 avril?
Marine Le Pen s'est imposée en tête dans presque tous les départements de Paca au premier tour de l'élection présidentielle de dimanche. Pourtant dans le détail de ses résultats par départements en Provence Alpes, il apparaît que la candidate du Rassemblement national a perdu des voix, notamment dans les Bouches-du-Rhône, le Vaucluse, et à Marseille.
Dans le même temps, avec le score d'Eric Zemmour, l'extrême droite marque des points alors que la droite républicaine perd plus de 245.000 voix en cinq ans.
Quant à Emmanuel Macron, il fait un moins bon score qu'en 2017 dans le Vaucluse tout en l'améliorant dans les Bouches-du-Rhône, les Alpes-de-Haute Provence et le département des Hautes-Alpes, où il est arrivé en tête comme en 2017.
Dimanche soir, en Provence Alpes, Marine Le Pen a fait son meilleur score dans le Vaucluse (29,43%), Emmanuel Macron dans les Hautes-Alpes (23,78%) et Jean-Luc Mélenchon dans les Bouches-du-Rhône (23,59%).
L'extrême-droite à 39,5 % dans le Vaucluse
La candidate du Rassemblement national a presque réussi le grand chelem de ce premier tour.
Bien qu'elle soit en tête, elle perd cependant des suffrages dans ses terres électorales du Vaucluse (-6.500 voix) et dans les Bouches-du-Rhône (-21.643 voix).
Il est à noter que Marine Le Pen progresse en revanche dans les départements alpins: + 1.547 voix dans les Alpes-de-Haute-Provence et +1.222 dans les Hautes-Alpes.
Globalement, l'extrême droite confirme son ancrage en Provence Alpes, notamment dans les territoires où le Rn est déjà bien enraciné depuis des années. Avec le score d'Eric Zemmour et son parti Reconquête, l'extrême droite progresse en cinq ans de 10 points dans les Bouches-du-Rhône à 37,02 %, 10,57 points dans les Alpes-de-Haute-Provence (35,1%), de 8,74 points dans les Hautes-Alpes (29,99%).
Dans le Vaucluse, l'extrême droite représente 39,46 % des suffrages exprimés au premier tour (+8,91 points par rapport à 2017).
On a tendance à oublier qu'en 2019 la question des gilets jaunes s'est faite vraiment sur le pouvoir d'achat et sur l'essence, et deux ans après, on se retrouve sur une présidentielle qui se joue quasiment sur le pouvoir d'achat et sur l'essence.
Virginie Martin, politologue
"On est dans une région qui n'a jamais voté comme le reste de la France et qui a toujours donné pas mal de crédit à l'extrême droite, et ce scrutin le confirme", note la politologue Virginie Martin.
"Emmanuel Macron et Marine Le Pen incarnent deux France très différentes, une France plutôt diplômée, riche, à l'aise, avec la mondialisation de Macron, et une France avec son côté "gilets jaunes" pour Marine Le Pen", analyse la politologue, soulignant qu'"en Paca dans certains endroits ils ont été très virulents et très présents". "Elle incarne aussi une France qui a plus d'anxiété, souvent moins diplômée, un peu la France des employés et des ouvriers, et aussi la France du pouvoir d'achat".
Le contexte d'inflation et de hausse du coût de la vie peut expliquer la progression nouvelle de Marine Le Pen dans les départements alpins, moins urbains. "Ce sont des départements, où il faut mettre beaucoup d'essence pour aller travailler", résume Virginie Martin, on a tendance à oublier qu'en 2019 la question des gilets jaunes s'est faite vraiment sur le pouvoir d'achat et sur l'essence, et deux ans après, covid ou pas covid, on se retrouve sur une présidentielle qui se joue quasiment sur le pouvoir d'achat et sur l'essence ".
"Marine Le Pen essaie d'incarner quelque chose de l'ordre de la protection, c'est l'immigration, la sécurité, mais c'est aussi l'argent, et donc le pouvoir d'achat".
"C'est une extrême droite plus sociale, contrairement à Eric Zemmour qui est une extrême droite beaucoup plus libérale, qui ressemble un peu plus au programme de Le Pen père des années 70".
Le parti présidentiel résiste bien
En 2022, le parti présidentiel gagne 311.869 voix dans les quatre départements de Provence Alpes par rapport au premier tour il y a cinq ans.
Avec 22,71 % des voix, Emmanuel Macron améliore son score de 3,34 points dans les Bouches-du-Rhône (+257.726 voix). Arrivé troisième à Marseille, où Jean-Luc Mélenchon est arrivé largement en tête, le candidat LREM y progresse cependant de 7,66 points.
Assez stable dans les Alpes-de-Haute-Provence, il gagne 4.559 suffrages dans les Hautes-Alpes, où il s'est placé en tête comme en 2017.
Mélenchon gagne 12 points à Marseille
C'est dans les Bouches-du-Rhône que Jean-Luc Mélenchon fait son meilleur score régional (23,59%). Dans ce département où il est élu député, il gagne 6.777 voix par rapport à 2017.
Il faut noter que le candidat de la France Insoumise était cette année confronté à une concurrence de ses alliés de 2017, écologistes et communistes. Dans son ensemble, la gauche traditionnelle représente 31,34 des voix, soit une progression de 4,79 points dans ce département en cinq ans, mais reste loin derrière l'extrême droite qui cumule 37,02%.
A Marseille, avec 31,12 % des voix, Jean-Luc Mélenchon gagne 12 points par rapport à 2017. Avec Anne Hidalgo (1,10%), Fabien Roussel (2,02%) et Yannick Jadot (4,16%), la gauche traditionnelle représente 38,4 % des votes marseillais, soit une hausse de 16,36 points par rapport à 2017.
La politologue Christel Lagier pointe que les sondages ont sous-estimé le score du candidat insoumis à ce premier tour. "Ce n'est pas étonnant, car Jean-Luc Mélenchon a sans doute réussi à mobiliser une petite partie des classes populaires, qui ne rentrent pas dans les enquêtes par sondage. On interroge toujours les mêmes, les plus diplômés, les gens qui s'intéressent aux enquêtes et qui y répondent, puisque les sondages ne se font que via internet... il y a un vote qui est forcément sous-déclaré dans les sondages".
La droite républicaine en chute libre
Comme au niveau national, la droite républicaine accuse un effondrement sans précédent. Dans les quatre départements de Provence Alpes, les scores cumulés de Valérie Pécresse et de Nicolas Dupont-Aignan représentent seulement 5,79 % des suffrages à l'issue de ce scrutin représente contre 24,74 % en 2017.
La droite républicaine recule de 25,73 points dans les Hautes-Alpes, -20 points dans le Vaucluse, -18,93 points dans les Bouches-du-Rhône, -17,70 points dans les Alpes-de-Haute-Provence.Valérie Pécresse n'a pas atteint les 4 % dans tous les départements de Provence-Alpes (2,9 % dans le Vaucluse) alors qu'en 2017 François Fillon avait mieux résisté en Paca qu'au niveau national.
"C'est une claque attendue, commente Christel Lagier, il est évident que la droitisation du programme d'Emmanuel Macron était un appel du pied très net aux électeurs des Républicains qui avaient déjà voté pour lui au deuxième tour de la présidentielle en 2017. Ils se sont économisés ils sont allés voter dès le premier tour Emmanuel Macron".
"Et la partie plus incarnée par la droite plus populaire, celle d'Eric Ciotti, a sans doute trouvé un débouché chez Eric Zemmour", ajoute-t-elle.
Sur l'ensemble de Paca, la droite républicaine capitalisait 40 % des voix en 2007, 32,6 % en 2012 et 27,7 en 2017.
A l'issue de ce premier tour de l'élection présidentielle, le bloc droite et extrême droite représente 45,95 % des suffrages exprimés contre 55,9% en 2017.
Quels reports de voix sur le second tour?
Les deux candidats en lice ont quinze jours à peine pour convaincre les électeurs de leurs adversaires du premier tour de voter pour eux. Avec ou sans consigne de vote des candidats vaincus.
"C'est très court", souligne Christel Lagier. Et les électeurs qui ne sont plus représentés risquent de rester chez eux, et l'abstention déjà en hausse au premier tour pourrait encore s'aggraver.
"L'affiche du deuxième tour est la même qu'en 2017, ça risque de ne pas passionner des électeurs qui ne se sont déjà pas déplacés".
La candidate du RN est allée à la pêche aux voix à peine les résultats divulgués. "Marine Le Pen dans son discours d'hier soir est très clairement allée sur les thématiques de l'égalité homme-femme, de la solidarité, de la laïcité, c'est à ces électeurs-là qu'elle fait appel".
Les électeurs sont lassés de devoir toujours aller voter pour sauver la République.
Christel Lagier, politologue
"Mais les reports ne sont pas du tout automatiques, assure la politologue, y compris du côté des électeurs d'Eric Zemmour. On sait que le RN a un électorat très volatile, on a plutôt des flux d'électeurs que des stocks d'électeurs qu'on pourrait mobiliser, donc ça va être assez compliqué pour faire venir des électeurs de la gauche vers le Rassemblement national ".
"La difficulté est aussi pour Emmanuel Macron de capitaliser une partie de cet électorat qui viendrait faire front républicain derrière lui, sans doute l'écart sera réduit qu'en 2017 au second tour, entre lui et Marine Le Pen, surtout que la gauche s'efface on l'a vu aux dernières régionales dans la région Paca".
"Les électeurs sont lassés de devoir toujours aller voter pour sauver la République, alors qu'ils n'ont plus le choix de leur candidat", conclut Christel Lagier.
En Provence-Alpes Côte d'Azur, le taux d'abstention était de 26,19% dimanche au premier tour de la présidentielle contre 21,22% en 2017.