Les emballages en verre représentent la moitié de nos déchets ménagers. Mais au lieu de les jeter, pourquoi ne pas les réutiliser ? On a la solution ! vous emmène à Nantes, découvrir l’association Bout’ à Bout’ qui remet au goût du jour la consigne.
Dans les rayons d’une épicerie du centre-ville nantais, une trentenaire, emmitouflée dans son écharpe, scrute les bouteilles de vins. Malgré les apparences, elle n’hésite pas entre un blanc et un rosé : elle cherche en fait un pictogramme où il est écrit “ ramenez-moi”.
Depuis 3 ans, Célie Couché tente de faire revenir dans les moeurs une pratique disparue : la consigne.“ J’étais déjà engagée dans une démarche de réduction des déchets, mais après chaque soirée, j'étais surchargée” déplore-t-elle. Avec son association, Bout’ à Bout’, elle met en place un réseau de consigne de bouteilles en verre dans les Pays de la Loire. On a la solution ! l'émission qui fait le tour de France des initiatives écologiques et citoyennes, vous présente cette Nantaise engagée.
Plus écolo que le recyclage, la consigne permet d’économiser jusqu’à 75% d’énergie et 33% d’eau. L'idée est toute simple : mieux vaut réutiliser que jeter. Une bouteille peut servir jusqu’à cinquante fois, alors qu’il faut faire fondre le verre à très haute température pour le recycler. Un moyen de réduire ses déchets, quand on sait que les Français jettent près de 2 millions et demi de tonnes de verre chaque année, en grande majorité des bouteilles.
Implantée à Nantes, l’association Bout’ à Bout’ compte déjà près de soixante-dix partenaires, des producteurs locaux, aux restaurants, en passant par les épiceries. Grâce à ce réseau en circuit court, les consommateurs peuvent rapporter leurs bouteilles vides sur leur lieu d’achat. Un geste éco-citoyen, qui d’ici peu pourrait leur rapporter quelques centimes. Autre bon point : les collectes sont assurées par envie 44, une association d’insertion et les bouteilles sont lavées à quelques kilomètres de là, créant ainsi de l’emploi dans la région. Grâce à ce projet, Célie a déjà sauvé de la casse près de 70 000 bouteilles. Elle espère atteindre les trois millions d’ici cinq ans.
Il est beaucoup plus simple de parler de consigne aujourd’hui, qu’en 2016
“ Au début, il y avait des réticences. Car dans l’imaginaire des producteurs d'alcool et de jus, les bouteilles cassaient, les étiquettes s’enlevaient mal... Mais répondre à ces questions-là, c’est tout notre travail” explique-t-elle.
L’association fournit une solution clé en main pour répondre aux besoins des petits producteurs qui n’ont pas les moyens d’investir dans des infrastructures de réemploi.
"La consigne n’est pas une grande révolution, il faut juste réadapter nos techniques", résume Célie Couché. Mais ce n’est pas toujours une mince affaire. Pour pouvoir réutiliser ses bouteilles, c’est tout un équipement qu’il faut changer : remettre sur le marché des contenants plus lourds, plus solides, adaptés aux standards des machines, ainsi que des étiquettes qui se dégradent au lavage. L’association aide aussi les commerçants à s’adapter aux contraintes de stockage des bouteilles vides, en distribuant des bacs de récupération.
Abandonnée à la fin des années 80
Ce système de consigne, très utilisé dans les années 60, a été peu à peu abandonné à partir de la fin des années 80. Seuls les secteur de la restauration et de l’hôtellerie continuaient à garder leurs bouteilles. En France, il ne reste plus qu’une dizaine d’usines collectives de lavage des bouteilles en verre.“ Il y a eu une erreur des pouvoirs publics à cette époque, qui était de miser sur le recyclage systématique du verre” assène Bastien Vigneron, l’un des membres-fondateur du Réseau Consigne, qui fédère les associations de réemploi en France.“ Ce n’est pas forcément une mauvaise chose, mais à l’époque on n’avait pas encore compris l’intérêt écologique de la consigne”. Un engouement pour le recyclage qui s’illustre, par exemple, dans cette publicité datant de 1996.
La fin de la consigne en France coïncide avec l’émergence du plastique et la concentration géographique de l’industrie agro-alimentaire. “ Plus un camion fait de route pour livrer ses produits, moins cela a de sens de récupérer les emballages” reprend Bastien Vigneron. “ Et puis cela correspond aussi à un moment où les producteurs de vin voulaient se démarquer et prouver qu’ils faisaient un produit de qualité. Mais dans l’esprit des gens, les bouteilles standards et économiques contenaient un vin économique. C’était une question de marketing.”
Consigne contre recyclage?
Aujourd’hui, ce “ truc de grand-mère” renaît de ses cendres grâce, entre autres, au développement du mode de vie zéro déchet. La consigne du verre jouit désormais d’une bonne image auprès des consommateurs : selon une étude de l’Agence De l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie, 88% des Français penseraient qu'il est utile de revenir à cette pratique. “Les gens ont un lien presque nostalgique à la consigne” affirme Bastien Vigneron. " Quand on en parle, il n'est pas rare qu'on nous coupe la parole en nous disant : " Oh oui, je m'en souviens, c'était bien ça!" "Un peu partout en France, des réseaux de bouteilles consignées apparaissent : Jean Bouteille dans les Hauts-de-France, Ma bouteille s’appelle revient dans la Drôme, Consigne up à Toulouse ou encore La consigne de Provence... Mais ces filières sont loin de concurrencer celle du recyclage : 86,5% du verre est trié pour être fondu, puis réutilisé.
Ces circuits se structurent à l’échelle locale, ou régionale. La raison est simple : pour que la consigne ait un intérêt écologique, il faut que l’énergie consommée pour son transport et son lavage ne dépasse pas celle nécessaire à son recyclage. Deux activités complémentaires donc, comme le résume Bastien Vigneron: “ Si je consomme local, j’utilise des consignes. Mais si cela vient de très loin, je recycle. Tout est dans la distance, même si on n’est pas encore en mesure de dire exactement à quel moment le bilan carbone s’inverse.”
L’exemple alsacien
Ces initiatives locales essaiment partout en France, mais en Alsace, où le réemploi des bouteilles de verre n’a jamais été complètement abandonné, la consigne bat les records. Vingt-cinq millions de bouteilles consignées y sont vendues chaque année, contre quelques dizaines de milliers dans les autres régions. “ Ces projets sont tout aussi louables, mais les acteurs repartent de zéro, ce qui est beaucoup plus dur” confirme Simon Baumert, le coordinateur du tout jeune réseau Alsace Consigne et membre de l’association zéro déchet Strasbourg.Ces chiffres s’expliquent en partie par la présence de nombreuses brasseries et entreprises sur le territoire. Météor, Carola, Lisbeth... Autant de marques alsaciennes qui possèdent leurs propres laveuses, parfois depuis plusieurs dizaines d'années. “ Ce qui coûte cher dans la consigne, c’est l’investissement dans le matériel et le parc de bouteilles. Mais quand on a un volume de ventes suffisant, le modèle économique fonctionne”reprend Simon Braumert. Un tiers des eaux de source Lisbeth sont par exemple vendues en bouteilles consignées. "Que ce soit du verre, ou du plastique, on est rentable sur les deux produits" confirme le directeur général de l'entreprise dans ce reportage de France 3.Même si les volumes ont baissé, le système est resté le même que dans les années 60.
En Alsace, plusieurs centaines de supermarchés mettent à disposition des machines pour récupérer les bouteilles consignées. Ils fidélisent leurs clients, en les remboursant en bon d’achat. Et grâce à ce processus industrialisé de consigne, les prix sont interéssants: les consommateurs économisent quelques centimes par bouteille. “Pour Météor, plus de 97% des bouteilles consignées sont récupérées. C’est parce que tout le monde y voit son intérêt que le système fonctionne” conclut Simon Braumert.
Vers un retour de la consigne?
Cette filière revient, portée par des associations et des entreprises, mais est encore difficile à mettre en place pour les pouvoirs publics. “ On est dans une zone grise. De base, ce sont les communes -ndlr et les collectivités territoriales- qui gèrent le traitement des déchets. Sauf que la bouteille consignée ne fait pas partie du circuit des déchets”, explique Bastien Vigneron, le cofondateur du Réseau Consigne.Son association, Ecoscience Provence, collabore tout de même avec le Syndicat Intercommunal pour la Valorisation et l'Élimination des Déchets afin de sensibiliser le public au réemploi. Cette collectivité territoriale gère les ordures de 54 communes du Var. "On avait envisagé d’installer un kiosque à verre consigné, mais il y avait des problèmes techniques et logistiques sur l'appareil. Pour l’instant, notre priorité est de développer des partenariats avec les associations et les entreprises ” explique Laurie Gaboriau, la chargée de mission sur la prévention des déchets du SIVED.
" On trouve encore trop de verre dans les poubelles : jusqu'à huit pourcent", reprend-t-elle. Une perte pour la collectivité: traiter ce verre non trié coûte 250 euros la tonne, contre près de 34 euros s'il est recyclé. Même si les entreprises de valorisation rachètent ces déchets, il reste donc un coût que la consigne pourrait réduire. "Notre message, c'est de prioriser le réemploi, car le recyclage n'est pas a solution ultime."
Encore du chemin
Si les choses avancent en France, la consigne reste bien moins répandue que chez certains voisins européens. En Allemagne, 90% des emballages, plastique et verre, sont collectés grâce à la consigne. Depuis 2017, le ministère de la Transition écologique envisage d'imiter ce pays frontalier.La “vidange” en Belgique et le “Pfand” en Allemagne, des pratiques répandues qui font figure d’exemple pour le gouvernement. La consigne est l'une des mesures phare du projet de loi sur l'économie circulaire présenté le 10 juillet dernier par Brune Poirson, la secrétaire d'État auprès de la ministre de la Transition écologique et solidaire. Seulement voilà : très peu de choses sont précisées sur la consigne du verre, et les contenants récoltés seraient recyclés et non réemployés. Ce point fait débattre les parlementaires. Jeudi 26 septembre, le Sénat a rejetté ce projet de consigne: « Cette mesure revient à donner une prime à la production de plastique et aux plastiques à usage unique » a déclaré au Monde la sénatrice (LR) Marta de Cidrac.
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Nous remercions la Compagnie du Café Théâtre qui a accueilli notre tournage à Nantes.