TEMOIGNAGE. Anne, infirmière à Lyon : "On en a marre d’être considérées comme des bonnes sœurs !"

Chaque soir, à 20 heures, de nombreux français se postent à leur fenêtre pour applaudir les soignants, ces gens formidables qui crient depuis des années le manque de moyens pour exercer leur métier. Mais voilà, le Coronavirus est là et le simple fait d'aller travailler les met en danger de mort.
 

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Voilà quasiment deux semaines que la France connaît le confinement pour freiner la propagation du coronavirus. Deux semaines que les soignantes et les soignants se lèvent tôt pour des journées sans fin. "On nous dit qu’on doit répondre au téléphone 24 heures sur 24, en ce moment, impossible de prétexter un repas de famille à 200 km. Quand on ne travaille pas on est confinés comme tout le monde !". C’est son humour à Anne*. C’est ce qui lui permet de tenir le coup.

Durant les quatre décennies de sa carrière, cette jeune soixantenaire pétillante a usé sa blouse dans plusieurs établissements du public et du privé. Mais depuis une vingtaine d’années, elle s’occupe de patients en fin de vie. Un service où l’on ne rit pas tous les jours, quoique… La bonne humeur, c’est ce qui sauve le personnel et rallonge sans doute un peu aussi la vie des patients. L’objectif : éradiquer la souffrance et apporter quelques petits plaisirs, comme si la vie allait continuer longtemps. Un patient rêve d’aller au restaurant, de passer un week-end avec des amis ? L’équipe se met en quatre pour que ce rêve devienne réalité.

Une larme dans un coin

Les patients, elle essaie de ne pas trop s’attacher à eux, mais parfois c’est difficile. Lorsqu’ils disparaissent, elle écrase une larme dans un coin, avale sa salive et retourne dispenser sa bonne humeur dans le service. "J’essaie de ne pas emmener le travail à la maison. Ce n’est pas toujours simple !". Alors elle vit sa vie à 200 à l’heure, en multipliant les week-ends d’activités avec les amis, en privilégiant dès qu’elle le peut les moments passés avec ses enfants.

On nous encense en temps de guerre, et après… on nous oublie.

"Oui j’ai des enfants, précise-elle. On a souvent l’impression que les gens l’oublient. On nous prend un peu pour des bonnes sœurs... On peut aimer son travail sans tout lui sacrifier. J’aime le mien. Pour moi c’est vraiment une vocation. Je ne me vois pas faire autre chose". Pourtant, aujourd’hui, elle est au bout du rouleau. Anne, dont le sourire éclaire les chambres des patients, en a plein le dos. Elle trouve encore l’énergie de se maquiller tous les matins, car elle sait que les patients apprécient, mais le coeur n’y est plus. Les applaudissements des français ne font pas le poids face aux discours creux des politiques, aux promesses jamais tenues, aux salaires de misère, aux week-ends et jours fériés passés au travail et aux congés supprimés pour remplacer une collègue absente. Jusqu’aux grèves inutiles car il faut bien continuer à s’occuper des malades.

Un navire qui sombre

Le covid 19, c’est un peu la goutte d’eau de trop. Au début de l’épidémie, les masques tardent à arriver. Le personnel commence à être contaminé. Une personne, puis deux, puis huit. Les soignants contaminent sans le savoir les patients… et se sentent coupables. Suppression des RTT, des jours de congés. Tout le monde sur le pont d’un navire qui sombre inexorablement. A la fatigue déjà installée s’ajoute le stress, et l’agacement de se sentir méprisée. Que de jolis compliments faits aux blouses blanches (désormais vertes et bleues par ces temps de pandémie) ? "On nous encense en temps de guerre, et après… on nous oublie". Anne a de quoi être amère.

Dans moins de deux ans elle sera à la retraite. Elle a fait son calcul : 1 700 euros brut par mois. "Enlevez les charges, vous voyez ce qui reste !". D’ici là il va falloir s’accrocher. "Et le gros de la vague n’est pas encore arrivé", soupire-t-elle. Pour la première fois de sa carrière, elle a hâte d’y être, à la retraite… Et elle se prête à rêver. "Après la crise, que se passera-t-il pour nous, magnifiques soignants encensés à longueur de journaux télévisés ? Une belle augmentation de salaire, une prime annuelle de 5000 euros, un droit de grève effectif, sans mettre en danger la vie des patients, et des français qui continuent à nous applaudir tous les soirs à 20 heures !". Je vous avais dit qu’elle avait de l’humour, Anne !

*Le prénom a été changé
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