Les livres de Marceddu Jureczek traitent des mutations profondes qui secouent la Corse, avec notamment un questionnement sur ce que la société de consommation induit sur notre façon d'être. Portrait
Marceddu emprunte la route qui le mène au lycée Laetitia Bonaparte à Ajaccio où il enseigne la langue corse. Une route qui est balisée par des panneaux publicitaires. Pour lui qui vit dans la plaine de Peri, ce décor agit comme un révélateur du fossé qui sépare le discours sur la culture de sa réalité concrète.
"On met très souvent nos valeurs communautaires de solidarité, mais ici, elles sont où ? Elles ne sont nulle part. Et je crois que finalement, qui a raison ? Le discours sur l’identité ? Ou le paysage. Je crois que c’est le paysage qui dit la vérité. Il dit que nous sommes des individualistes avant tout. Nous avons été gagnés par cette fièvre là et nous sommes des petits soldats du libéralisme, c’est-à-dire du capitalisme et de la consommation à outrance", affirme cet auteur.
Perte culturelle
Cette profusion de commerces et de grues faisant contrepoint à un monde paysan en sursis, Marceddu Jureczek l'a décrite dans un essai bilingue, "Caotidianu" paru aux éditions Cismonte é Pumonti.Cet univers de la consommation ne correspond pas à ce que fut l'enfance de l'auteur qui a grandi rue Fesch. À l'époque, c'était un quartier populaire dans lequel se déroule la majeure partie de son roman intitulé "Chì ùn sia fattu di guai".
"On retrouve les mêmes préoccupations, c’est-à-dire la crise d’identité que traverse la société corse d’aujourd’hui, comme celle d’hier évidemment. Cette fois-ci, je l’ai incarnée dans deux personnages et l’opposition me semblait évidente entre un père et son fils. Un père qui sur-joue le personnage corse, avec un côté politique très important parce qu’il est nationaliste. Nous sommes dans les années 1980, au moment de l’inflation et de l’explosion de la violence et de la revendication nationaliste. Et le fils qui est totalement opposé à ces idées-là", explique Marceddu Jureczek.
Nationalisme
L'action se déroule pour partie début 1981, lors de l'affaire Bastelica Fesch. À l'époque, dans l'hôtel Fesch, un commando nationaliste prend en otage trois hommes soupçonnés d'être des barbouzes.Dans cette ambiance électrisante, un personnage imaginaire sur-joue une culture corse rurale qui n'est pas exactement la sienne. Paru chez Albiana, "Chì ùn sia fattu di guai" s'appuie sur un fait pour mieux décrire un contexte plus large, celui de la perte du sens.
Parmi les écrivains insulaires, Rinatu Coti est celui qui connait le mieux l'œuvre naissante de Marceddu Jureczek. Tous deux emploient le même corse enraciné dans la vallée du Taravu. Au-delà de la langue, la pensée est également proche, c'est celle du refus de céder face à l'indifférenciation globale.
"Un chiffon dans la bouche du vent"
"C’est une perte de sens qui est généralisée dont nous nous subissons les coups parce que nous sommes beaucoup plus petits. C’est une île de 320.000 habitants. Quels sont ceux qui sont aujourd’hui capables d’être les transmetteurs de cette culture, certains diront archaïque. Mais nous avons besoin des archaïsmes. Sans eux, nous sommes un chiffon dans la bouche du vent. Et c’est cela le problème du monde d’aujourd’hui. C’est que l’archétype d’une culture, d’une civilisation se perd. Or si on perd cela, on perd tout le reste. C’est-à-dire que nous n’avons pas la capacité de penser. Or penser, au sens étymologique du terme, cela veut dire peser sur le monde", pense Rinatu Coti, écrivain.Écrire pour peser sur le monde ou plus simplement essayer de changer la société. Ce pourrait-être le crédo de l'auteur qui nous emmène dans sa bibliothèque. À quarante-cinq ans, Marceddu Jureczek a déjà signé quatre ouvrages. Un roman et un recueil de nouvelles sont en gestation. La parution est prévue pour l'automne.