INTERVIEW. Covid-19 : "Sur les tests, tout le monde ment, on ne pourra pas en faire 700 000", affirme le Pr Froguel

Entretien avec le Professeur Philippe Froguel, professeur au CHU de Lille et à l’Imperial College de Londres. Sur les tests, le déconfinement et la "2ème vague".

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À l’institut de recherches sur le diabète (EGID) du CHU de Lille, le professeur Philippe Froguel a rapidement décidé de transformer son activité pour participer à la lutte contre le coronavirus Covid-19. Il a notamment lancé un programme permettant de réaliser 1000 tests par jour.

Généticien et endocrinologue, Philippe Froguel est un acteur-observateur engagé de cette crise. Il aime bousculer la "bureaucratie" de la santé et entend bien faire entendre sa voix, quitte à déplaire.
 

Ce jeudi soir, vous avez écrit sur Twitter que trop de choses fausses « officielles » sont dites au cours de cette crise par le gouvernement : lesquelles ?


Beaucoup de choses me désespèrent. Exemple récent : la carte avec les départements en rouge ou en vert. Le gouvernement a parlé de trois critères. Finalement, il y en a un qui a sauté. Et sur le premier (la circulation du virus), les données nous manquent forcément puisqu'on n'a pas fait assez de tests. Seul le critère sur la situation des services de réanimation est fiable. 

Par ailleurs, l'étude de l'Institut Pasteur nous dit que 4 millions de personnes ont été infectées. Mais en réalité, on ne sait pas. On n'a pas fait assez de tests. Cette modélisation n'est pas fiable. Dans cette crise, on a manqué de science. On n'a pas fait assez de statistiques. 

 
 

Pourquoi, selon vous, le gouvernement a évité de parler des tests ? 


Dans l'histoire des tests, tout le monde ment. Des directeurs d'hôpitaux à Emmanuel Macron en passant par la Direction générale de la Santé ou Olivier Véran. On nous dit qu'on fait actuellement 250 000 tests par semaine alors qu'on sait que c'est plutôt 120 à 140 000. On nous dit qu'on va en faire 700 000 à partir du 11 mai alors que c'est impossible.

Au CHU de Lille, la communication nous dit par exemple qu'ils devaient faire 2800 tests par jour. En fait, ils n'en font que 400. En ce moment, le nombre de tests effectués a même tendance à baisser par exemple dans les Hauts-de-France. Peut-être grâce au confinement mais ce qui est sûr, c'est que les prélèvements dans les Ehpad ne sont pas suffisamment faits. On n'est pas organisés. On a d'abord dit à l'hôpital public de tout faire et bloqué toutes les autres initiatives. Et maintenant, on dit au privé de prendre tout en charge. C'est la désorganisation totale.

 

Sur quels éléments vous fondez-vous pour dire qu'on n'arrivera pas à 700 000 tests ? 


D'abord, la France a commandé 21 robots à la Chine pour les tests. Selon mes informations, pour l'instant, aucun ne fonctionne. Un robot, ça pèse 500 kilos, il faut l'isoler. Les choses, techniquement, ne sont pas simples. On n'a pas le personnel formé pour bien les faire fonctionner. Les protocoles sont arrivés au compte-gouttes.

Il y a une telle désorganisation qu'on se repose maintenant sur le privé. Nous, avec mon équipe, on a monté une chaîne mais on nous a mis des bâtons dans les roues. Et aujourd'hui, on fonctionne à un tiers de nos capacités. On devait traiter les tests des Ehpad mais comme l'Etat n'a rien organisé, on ne teste pas assez. Le CHU de Lille n'est pas plein aujourd'hui. Le personnel pourrait aller dans les Ehpad.

 
En ce moment, avant le déconfinement, on devrait vraiment essayer de savoir qui sont les gens qui sont contaminés, s'ils viennent en majorité des Ehpad. Je crains qu'on ne le fasse pas uniquement pour des raisons logistiques. 

J'ai écrit au Préfet et au directeur de l'ARS à ce sujet. Beaucoup de gens dans l'administration de la Santé ne savent pas bosser : ils ne sont pas ingénieurs, ne sont pas chercheurs, n'ont aucun sens pratique. 

Autre souci : les commandes de réactifs. La France n'a jamais centralisé les demandes. Les labos doivent chacun de leur côté se débrouiller pour avoir ces réactifs. Du coup, la France n'est jamais prioritaire. A noter qu'il y a aussi un problème pour se fournir en écouvillons. Notre équipe essaie d'ailleurs de mettre en place des tests par la bouche.


Quelle solution prônez-vous pour éviter une 2ème vague après le déconfinement ? 


D'abord les masques. Une chose incontestable : ils ne serviront que si tout le monde les met. Si c'est le cas, à 90%, cela empêchera la transmission du virus. Sur ce sujet, au départ, les médecins ont été serviles. Ils auraient dû contredire le gouvernement qui affirmait que les masques étaient inutiles.
On nous dit qu'on on a menti pour la bonne cause, je ne suis pas d'accord. 

Il y a aussi une autre chose à faire : détecter les asymptomatiques. La différence, elle se fera là. Les vrais clusters, ce seront les entreprises. Il faut prendre la température à l'entrée, isoler les cas. On va trouver des gens qui, sans s'en rendre compte, ont 38 ou 38,5°C. Je ne pense qu'il y ait tant que ça de vrais asymptomatiques.

Quant aux brigades qu'on nous promet après le 11 mai, seront-elles vraiment mises en place ? Ce n'est pas un boulot simple. Les gens vont devoir appeler au téléphone, convaincre. De ce que je vois, il y a une panique par rapport à ça. Elles ne seront pas prêtes. 


Y aura-t-il une deuxième vague inévitable selon vous ? 


On vit dans la peur mais je ne pense pas qu'il n'y aura une énorme 2ème vague. Au Danemark, par exemple, il ne s'est pas passé grand chose après le déconfinement. Je suis optimiste. Mais si on ne veut pas de 2ème vague, il faut des tests pour repérer et isoler les nouveaux cas. A ce sujet, il faut aussi redire à tous les médecins généralistes qu'il faut maintenant envoyer tous les patients qui ont des symptômes faire des tests.

 
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