BD. Delphine Le Lay et Alexis Horellou interrogent notre mode de vie avec l'album "Ralentir"

C'est comment qu'on freine ? Quand la vie nous embarque dans son tourbillon, qu'on en oublie d'être simplement heureux, les auteurs mayennais Delphine Le Lay et Alexis Horellou imaginent "Ralentir", un sérieux coup de patin sur l'asphalte et une belle histoire au Lombard. Interview...

David est commercial. Ses semaines, il les passe sur la route ou au mieux dans son bureau à Rennes. Le week-end, direction Douarnenez où il retrouve sa femme et ses enfants. Une vie bien remplie qui pourrait prochainement l'être un peu plus encore. Son boss lui offre en effet une belle promotion... et une bonne dose de boulot supplémentaire en prime.

Il faudra se retrousser les manches mais vous êtes un bosseur, David, je le sais. Vous travaillerez dur et vous y arriverez. Nous avons confiance en vous


Confiance en vous ! Facile à dire. Est-ce la fatigue de la semaine ou l'appréhension de ce nouveau job, David fait un léger malaise sur la route de Douarnenez l'obligeant à faire une halte sur le bord de la route. Une jeune auto-stopeuse, Emma, en profite pour s'inviter dans la voiture. Entre elle et lui, il n'y a rien, absolument rien, en commun, une vie bien rangée, des responsabilités et une famille d'un côté, une vie un peu roots et marginale de l'autre. David accepte pourtant de faire un bout de route avec cette passagère singulière et découvre à son contact qu'une autre vie est possible et nécessaire.

"Ralentir" n'est pas une bande dessinée documentaire comme pouvaient l'être "Plogoff" et "100 maisons", deux autres albums signés Delphine Le Lay et Alexis Horellou, "Ralentir" est une fiction, même si les faits relatés ont été inspirés par la vraie vie. Sur une centaine de pages, les auteurs nous embarquent dans une histoire au tempo lent qui nous pousse gentiment à la réflexion. Ralentir pour réfléchir à notre avenir, ralentir pour élargir notre champ de vision, ralentir pour imaginer ce que nous voulons vraiment faire de notre vie, de notre société. L'urgence est là pour  Delphine Le Lay et Alexis Horellou...
Ralentir est le nom de votre nouvel album. Quel a été le déclic de cette histoire ?

Cette histoire est venue de l'envie de répondre à la question qui nous était posée sans cesse : « est-ce que des actions comme « Plogoff » et « 100 maisons » seraient encore possibles aujourd’hui ? ». Nous savions qu’ici et là, face à la crise et aux problématiques écologiques, certains avaient fait le choix de vivre autrement, en consommant moins, en créant des réseaux d’entraide… nous nous sommes mis à explorer ces pistes. Elles nous ont servi à la fois à créer notre histoire et à porter un regard critique sur nos propres habitudes.

Comment se fait-il qu’avec tout ce qui nous fait gagner du temps, nous soyons toujours plus pressés?


Vivre moins vite, vivre autrement, c'est aujourd'hui une nécessité selon vous ?

Oui. Gagner du temps est devenu le but de toute chose. Comment se fait-il qu’avec tout ce qui nous fait gagner du temps, nous soyons toujours plus pressés ? A quoi passe tout ce temps gagné ? Pas à se poser pour réfléchir. Pas non plus à se rencontrer et discuter. Pas davantage à prendre soin de notre environnement. Or il est essentiel de renouer avec soi, avec les autres et avec notre environnement. Nous perdons beaucoup de notre humanité. Tout ce qui nous fait gagner du temps nous appauvrit humainement. Nous ne nous connaissons pas (à commencer par soi-même), nous ne savons pas produire ou trouver à manger hors des commerces, nous ignorons comment conserver notre nourriture sans électricité, nous déléguons notre mémoire à des machines qui se souviennent de tout pour nous. Inutile d’apprendre et de retenir, grâce à internet, nous avons accès à la connaissance sur tout sujet, de façon immédiate, à tout moment, en tout endroit. Vivre autrement est une nécessité si nous voulons conserver notre humanité.
Justement, à l'heure d'internet, des réseaux sociaux, de l'info en temps réel, n'est ce pas un combat perdu d'avance ?

Nous parlerions plutôt d’instinct de survie que de combat. Car la notion de combat induirait que nous cherchons à convaincre, et c’est effectivement perdu d'avance. Vivre autrement demande de faire des efforts. Or rien ne nous incite à en faire. Tout nous maintient dans la recherche du confort matériel et donc de la sécurité financière. L’argent est un fléau. Nous détruisons tout pour lui. Et c’est quelque chose de si puissant, que nous ne reviendrons jamais en arrière (sauf quelques uns). Donc, un jour, il n’y aura plus d'internet, de réseaux sociaux et d'info en temps réel. Ce jour-là, il faudra réapprendre tout ce qu’on a perdu. Et si on arrive à ne pas s'entretuer, peut-être que ceux qui auront fait le choix de vivre autrement pourront filer quelques coups de mains...

Dans un texte qui accompagne votre album, vous évoquez l'absurdité du système et la nécessité du changement mais reconnaissez ne pas trop savoir par où commencer ? Malgré tout, quelles pourraient être les pistes ?

Piste N°1 : débrancher les télés, les ordis, et tout ce qui nous divise les uns les autres, en nous maintenant dans la peur. Voilà, la première chose c’est sans doute de sortir de chez soi, d’aller boire un café dans le bistrot le plus proche, et de passer un moment avec ses voisins.

Nous sommes maintenus dans l’illusion qu’il faut travailler pour gagner de l’argent pour consommer pour être heureux


Pensez-vous que l'incitation au changement doit forcément venir d'en haut, de l'état ?

En réalité, le changement est en marche et il vient d’en bas. Il est très concret. Beaucoup sont prêts à l’envisager et à le mettre en place. Agir pour plus de démocratie, pour une meilleure éducation, pour une autre économie. Partager, s’entraider. L’incitation vient en réalité du bas. Mais nos dirigeants (élus et multi-nationales) sont difficiles à convaincre. Nous sommes maintenus dans l’illusion qu’il faut travailler pour gagner de l’argent pour consommer pour être heureux. L’état n’a pas besoin d’inciter le peuple. Par contre, il pourrait intégrer ses revendications aux réflexions.
L'auto-stoppeuse de votre  histoire nous fait penser dans un premier temps au sketch de Coluche avec son côté sans-gêne et puis finalement, elle gagne en sympathie au fil des pages. Est-ce que le plus grand mal de notre société n'est pas la peur de l'autre, la peur de l'inconnu, le refus des différences ?

Oui. Le problème c’est que tout arrive chez soi maintenant. On ne doit plus sortir pour trouver l’information, on doit à peine bouger de sa voiture pour remplir le coffre des courses de la semaine. On ne se rencontre plus. Or, l’image qu’on nous donne de nous-même dans les médias est déplorable. Les informations ne sont que terrorisme, misère, menace de guerre mondiale. Les distractions télévisées ne sont que rejet, exclusion, jugement, moqueries. Les initiatives positives et constructives sont toujours abordées à une heure de basse écoute ou en fin de journal, comme un petit sucre de réconfort un peu utopiste, histoire de remettre un peu le sourire au téléspectateur après 25 minutes de chaos, pour qu’il ait encore envie d’acheter des trucs jolis et de payer l’autoroute des vacances.

Plogoff, 100 maisons ou aujourd'hui Ralentir, il y a une évidente cohérence dans votre oeuvre. Un regard engagé sur la société. C'est votre credo ?

« Plogoff » et « 100 maisons » nous ont emmené vers « Ralentir ». Nous envisageons le tout comme une trilogie. Ce n’est pourtant pas un choix prémédité. Ce sont des sujets qui nous ont touché et qu’on a eu envie de transmettre et de partager.
Vous avez choisi de vivre dans un petit village de Mayenne ou vous avez lancé le festival de créations et curiosités « Rustine » et ouvert un café culturel associatif. C'est ça aussi vivre autrement ?

Nous essayons de mettre nos idées en pratique, avec nos moyens. Avec le festival Rustine, nous proposons un week-end de rencontre et de découverte d’expressions artistiques qu’on ne trouve pas forcément dans les gros réseaux de distribution. Avec Le Guidon (fourre-tout culturel de proximité), nous proposons un prolongement du Festival Rustine, à l’année. C’est à la fois l’occasion de découvrir des univers artistiques singuliers (espace d’exposition, ateliers de pratique, livres, disques, créations d’artistes déjà passés au festival, concerts….), et c’est aussi un lieu de rencontre et de partage, ouvert à tous. Nous y servons quelques boissons, nous avons aussi fabriqué, avec deux voisins, un manège à vélo pour les enfants. Tout est gratuit ou à prix libre. Pour les livres, disques et objets, ce sont les artistes qui fixent leurs prix, en sachant que nous prenons un pourcentage pour financer l’activité du lieu (concerts, venus d’artistes pour des rencontres et ateliers, entretien du manège…).

Loran, ex Bérurier Noir, aujourd'hui membre Des Ramoneurs de Menhirs signe la préface de Ralentir. BD et musique, même combat ?

C’est vrai que beaucoup d’auteurs sont également musiciens ou ont un rapport privilégié avec la musique. Pour notre part, la musique tient une place très importante dans notre quotidien. L’idée de proposer à Loran de rédiger la préface nous est venue assez naturellement. Le groupe Bérurier Noir reste le symbole de la scène rock alternative française. Par ailleurs, nous avons vu une interview de Loran sur internet et il se trouve que nous partageons complètement son point de vue. Nous avons donc cherché à le contacter, ce qui n’a pas été sans peine. On peut dire qu’il nous a mis à l’épreuve de notre propre thème « ralentir »… Nous sommes heureux et honorés qu’il ait accepté et qu’il se soit prêté au jeu avec autant de sincérité.

Merci Alexis, merci Delphine
Propos recueillis par Eric Guillaud le 28 avril 2017
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