Fluide Glacial, le dernier survivant des grands magazine de BD pour adultes fête ses 40 ans au festival d'Angoulême, perturbé par une polémique inattendue avec la Chine pour une couverture ironique sur le "péril jaune".
C'est un cousin de Charlie Hebdo par son humour libertaire. Fluide Glacial, "journal d'umour et bandessinées", fête cette année ses 40 ans au festival d'Angoulême.
Les passionnés de BD des années 70-80 avaient en kiosque l'embarras du choix, entre le mensuel Pilote, précurseur du genre, fondé par Goscinny et Uderzo, puis L'Echo des Savanes, Métal Hurlant, A Suivre ou Fluide Glacial, créé par les dessinateurs Gotlib et Alexis, des anciens de Pilote. Seul ce dernier a survécu, la BD se recentrant sur des albums dont le nombre a explosé.
Fluide Glacial a vite attiré les plus grands talents comme Forest, Binet -l'auteur des Bidochon-Edika, Goossens, Franquin et ses "Idées noires", Lelong (Carmen Cru), l'espagnol Carlos Giménez, Margerin ou encore Riad Sattouf, l'une des vedettes du magazine actuellement.
Crise de la presse
Magazine à l'humour décomplexé, aux scènes de sexes sans tabou, qui se moque des clichés sans provocation, Fluide Glacial vend encore 50.000 à 60.000 exemplaires par mois. Pour survivre à la crise de la presse, Fluide Glacial a pu s'appuyer sur Flammarion, qui l'avait racheté en 2000, "et dont nous avions été une poule aux oeufs d'or", rappelle son directeur Yan Lindingre.Déficitaire depuis deux ans, Fluide est redevenu bénéficiaire. "Nous avons souffert de la crise, maintenant on remonte", explique le directeur du magazine, qui veut reconquérir les adultes qui le lisaient à l'adolescence.
Fluide sortira en avril un numéro spécial pour ses 40 ans, tiré à 150.000 exemplaires. Il a aussi une maison d'édition, qui publie notamment les albums de Binet.
La disparition de la presse BD a été un coup dur pour les dessinateurs: un magazine comme Fluide Glacial fait vivre des dizaines d'auteurs, et sert de tremplin aux nouveaux. La difficulté majeure est de se renouveler sans perdre les fidèles.
"Le journal a changé parce que l'époque a changé, l'humour a changé. Mais quand je dessine, je me sens complètement libre, et ce que pensent les gens m'est complètement égal", a expliqué le dessinateur Edika, qui a commencé à Fluide en arrivant du Liban.
Critiques chinoises
Endeuillée par l'attentat contre Charlie Hebdo, la petite équipe de Fluide, réunie au festival d'Angoulême pour une exposition sur l'histoire du journal, n'aurait jamais imaginé vivre à son tour une polémique internationale.D'où sa surprise quand mi-janvier un journal de la presse officielle chinoise a dénoncé "l'indécence" de sa dernière couverture qui titrait le "péril jaune", avec un dessin caricaturant aussi bien des Français que des Chinois.
"Quelle indécence!" a accusé ce journal proche du Parti communiste chinois, dans un éditorial qui fustige le concept français de la liberté d'expression. Lindingre et ses collaborateurs sont allés rendre visite à des dessinateurs chinois dans le pavillon voisin, pour tenter de s'expliquer.
Ces derniers, "plutôt fâchés" selon eux, ont finalement répliqué par une série de dessins féroces sur la France, avec une Tour Eiffel habillée d'un préservatif
géant ou des Chinois qui découpent le coq français... Beau joueur, Fluide a intégré ces dessins dans son exposition... et de nouveau caricaturé des Chinois dans un nouveau numéro.
"Dans Fluide, les Français ne sont pas moins caricaturés que les Chinois. Mais l'humour ne s'exporte pas. Il va de pair avec la liberté d'expression, c'est une
évidence. Nous avons expliqué que nous nous moquions du cliché français sur le péril jaune", plaide Yan Lindingre.
"Rien n'a beaucoup changé, on a toujours affaire aux curetons, aux cul-bénis, aux militaires et aux bien-pensants", conclut le dessinateur de presse Lefred Thouron, pilier de Fluide, qui dessine surtout dans Le Canard enchaîné. "Mais l'âge moyen des dessinateurs de presse est élevé. Qui prendra la relève?" s'inquiète-t-il.