Samuel, Roger, Diane et Hélène ont été cachés dans la maison d’Izieu en 1943, un an avant la rafle des enfants d’Izieu. L’arrivée dans la maison aux volets bleus, leur quotidien, la douloureuse séparation avec leur famille, et leur rapport à la mémoire... ils racontent leur histoire.
80 ans après, les plaies de la mémoire sont toujours à vif. "J’étais là, dans un lieu inconnu. Ma mère ne sait pas où je suis, elle ne pourra pas venir me chercher donc moi aussi je suis perdu" raconte Samuel. À l’automne 1943, alors petit garçon, il a 6 ans et vit à Annecy avec sa mère lorsqu’une rafle fait écrouler son monde. Dans la panique, pour sauver l’enfant, sa mère le confie à une inconnue. Pris en charge par un réseau d’entraide, Samuel est ensuite conduit dans la colonie des enfants d’Izieu. Dans cette grande maison aux volets bleus, à cheval entre Ain et Isère, plusieurs dizaines d’enfants juifs sont accueillies depuis le printemps 1943. Grâce à l'engagement de sa directrice Sabine Zlatin et de son mari, ils y sont cachés jusqu’au 6 avril 1944, lorsque les 44 enfants présents ce jour-là sont raflés puis assassinés à Auschwitz.
Comme Samuel, Roger est passé à Izieu l’année d’avant la rafle. Originaire de Nice où il réside avec sa mère, il est envoyé à Lyon avec son grand frère face au danger d’une rafle qui devient de plus en plus grand. Pris en charge par l’entraide catholique et l’œuvre de secours aux enfants, ils arrivent à Izieu à l’automne 1943 : "on n’avait plus de protection paternelle. Notre père, il avait déjà été arrêté, il était à Auschwitz-Birkenau".
Hélène, 8 ans à l’époque, arrive du Luxembourg avec deux de ses frères. Longtemps, sa mémoire occulte les souvenirs de la maison d’Izieu."C’était ma force de ne pas me rappeler, je me suis enfermé là-dedans" explique-t-elle.
Diane, elle, passe tout son été 1943 à la colonie d’Izieu du haut de ses 3 ans, puisque sa famille d’accueil est venue prêter main-forte auprès de la directrice de la maison et son mari. "Madame Zlatin m’a sauvé la vie, sinon je ne serai pas ici" témoigne-t-elle.
Une apparente normalité
Au sein de la colonie d’Izieu, les encadrants tentent de préserver un peu d'insouciance de l'enfance. Car, en apparence, la grande maison a tout du lieu de vacances idyllique, entourée de nature et surplombant un village tranquille. Les journées sont rythmées : Mademoiselle Perrier, l’institutrice, donne classe l’étage. Pour les plus petits, des activités dessin sont organisées. Le reste du temps, les enfants jouent dans le jardin et se promènent.
"Tout se passe bien, on chante, on apprend des chansons, j’ai appris notamment cette chanson : "vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine. Je m'en suis rappelé récemment, c’est curieux, tout d’un coup, je me suis dit : mais c’est à Izieu ! Ça ne peut pas être ailleurs que j’ai appris cette chanson" se remémore Roger.
"Quand je pense à ce que les gens ont fait là-bas pour garder des enfants et pour les cacher... tout ce qu’ils ont fait, c’est incroyable" raconte Diane, dont la voix se brise d’émotion à l’évocation du souvenir.
La douloureuse séparation familiale
Mais le verni d’une apparente réalité se craquelle le soir venu, lorsque les enfants, seuls dans leur lit, pensent à la séparation avec leurs familles. “Toutes les nuits, ça pleurait beaucoup dans la chambrée où on dormait” se remémore Roger, ses yeux azurés perdus dans les souvenirs. "Des enfants disaient "je veux voir maman, je veux voir papa". J'ai dû faire partie de ces enfants car selon mon frère j’ai beaucoup réclamé ma maman", ajoute le vieil homme.
Une absence difficile dont témoignent également les lettres écrites par les enfants d’Izieu à leurs familles, dans lesquels ils couchent sur le papier le manque de leurs proches. Chaque matin, la venue du facteur est très attendue, avec l’espoir de recevoir une réponse, qui, souvent, n’arrivera pas. Les enfants ne le savent pas, mais nombreux sont ceux qui, au fil des mois, deviennent des orphelins. Dans le reste du pays, les rafles et déportation se sont multipliées.
Hélène a très mal vécu la séparation maternelle. "J’ai voulu compenser en m’occupant de mon petit frère pour pouvoir être utile. Mais ce n’est pas moi qui vivais ma vie, ce n’était pas une vie d’enfant. C’était une survie" soupire-t-elle. Parmi les quatre enfants, seule Hélène a revu sa mère après la guerre.
Aujourd'hui mère et grand-mère, Diane mesure l'incommensurable douleur qu'ont vécue aussi les parents. "Je ne peux pas imaginer confier un de mes enfants, sans savoir si je vais le revoir, sans savoir où ils sont. C'est incroyable, le courage de ma maman d’avoir fait ça. Malheureusement je ne l’ai pas connue", souffle-t-elle.
Le devoir de mémoire
Pour les quatre survivants, Izieu a marqué toute leur vie de son douloureux souvenir. Alors, pour ne jamais oublier les disparus, les témoins passés par Izieu s’engagent, chacun à leur manière, à faire vivre la mémoire. “C’est une sorte d’obligation et c’est un engagement que j’ai pris vis-à-vis des gamins : pourquoi moi, pourquoi pas vous ? Moi je m’en tire et vous non. Et, pour ça, je ne vous oublie pas et je vais parler de vous” explique Samuel.
“Ce que j’ai dans les tripes, c’est qu’il faut sans cesse le dire aux autres. Si on n’effectue pas ce travail de mémoire, qui va le faire ?” abonde Roger.
Ceux qui ont survécu n’oublient pas, et veulent continuer à lutter pour que cette histoire, leur histoire, ne soit jamais oubliée.