Un garçon de 18 ans a fait une chute de 5 mètres lorsqu'un toit de fibrociment a cédé sous son poids. Pratiquant de l'"urbex" - exploration urbaine - il visitait un site interdit d'accès : l'abattoir de la Bresse, à Mézériat, dans l'Ain. Cette friche industrielle, à l'abandon depuis 10 ans, est prisée des adeptes de cette activité à haut risque.
La victime et ses quatre amis - des jeunes de l'Ain - ont pénétré, mardi 2 juillet dans la soirée, sur une friche de sept hectares, désertée depuis dix ans. Le groupe participait à une activité appelée "urbex", pour "urban exploration" en anglais. Il s'agit, pour les pratiquants, surtout des jeunes, de se rendre sur des lieux désaffectés, souvent fermés au public ou difficiles d'accès, afin de prendre des photos et de les partager sur les réseaux sociaux.
Comme d'autres abattoirs, la vaste entreprise, placée en liquidation en judiciaire en 2008 et laissée à l'abandon, est un site de choix pour ses adeptes - de même qu'un "musée à ciel ouvert" pour les graffeurs - malgré les risques encourus. Pour en empêcher l'accès, des grilles ont été installées, des ouvertures murées, des escaliers et des passerelles retirés, mais rien ne semble décourager les plus téméraires, ou les plus inconscients. Mardi soir, l'exploration s'est terminée en accident grave : le jeune homme est passé à travers une toiture et a fait une chute de 5 mètres. Souffrant d'une fracture de la clavicule et d'un traumatisme crânien, il a dû être hospitalisé en urgence et admis en réanimation, mais son pronostic vital n'est pas engagé.
3 accidents graves dont 2 mortels en 15 mois
En un peu plus d'un an, la région a ainsi connu plusieurs drames : le 27 avril dernier, une adolescente est morte après avoir chuté du toit d'un bâtiment désaffecté dans la Loire, et une autre a été grièvement atteinte. En avril 2023, déjà, un lycéen de 17 ans s'était tué en tombant du dôme de l'Hôtel-Dieu, à Lyon. Il voulait photographier le lever de soleil.
"Dans tous les accidents récents, il s'agit d'adolescents qui n'ont pas conscience des risques et des précautions à prendre" explique Aude Le Gallou, docteure en géographie et spécialiste de l'Urbex à l'université de Genève. "Un des principaux risques est celui des toits en fibrociment" explique la chercheuse. En effet cette matière, bien connue des professionnels du BTP pour ses risques de passer à travers n'est pas identifiée comme dangereuse par les plus jeunes ou plus novices. Il s'agit donc de faire un travail ambitieux de sensibilisation. Mais avec cette question clé : "Comment toucher les jeunes concernés? Il faudrait trouver une personne sur les réseaux sociaux ou sur un canal de communication qui leur correspond, quelqu'un qui pourrait avoir de l'influence sur eux" estime Aude Le Gallou. Elle regrette aussi que les modèles des plus jeunes soient souvent des vidéos très sensationnalistes dont les spectateurs ne mesurent pas toute l'expertise de ceux qui les réalisent. "Par ailleurs, l'urbex ne se résume pas à ces recherches de sensations fortes, c'est aussi un vecteur de revalorisation du patrimoine parfois accompagné de beaucoup de précautions".
Comment réagir sur les sites concernés ?
A Mézériat, le maire redoute le pire, car des intrusions sont constatées tous les deux ou trois mois sur l'ancien abattoir de la Bresse : "Il pourrait y avoir un mort ! Le site est extrêmement dangereux : sur place, il y a un château d'eau, des puits, des machines outils qui ont été démontées et constituent de terribles pièges en cas de chute."
Guy Dupuit se retrouve face à une impasse : le gestionnaire de la friche, un liquidateur judiciaire de Bourg-en-Bresse, n'a réussi à vendre que deux bâtiments sur un ensemble de 7 hectares qui ne trouve pas preneur. La sécurité y est particulièrement difficile à assurer : "C'est immense, le liquidataire a fait tous les aménagements demandés, mais le grillage est régulièrement coupé. Ce qu'il faudrait, c'est raser le site".
"L'Etat doit mettre la main à la poche"
Mais avec son budget d'un million et demi d'euros, la commune de 2240 habitants ne peut financer une démolition et une dépollution estimées à 8 millions d'euros... La Communauté de communes non plus. C'est du côté de l'Etat que se tourne l'édile : "J'alerte régulièrement la Préfecture. Il faut désigner une structure adéquate pour prendre en charge les travaux, mais pour le moment personne ne met la main à la poche".
En attendant, le maire prend des mesures au cas par cas : un arrêté de péril vient d'être signé car l'enduit d'un bâtiment situé en bordure de site menace de tomber sur une habitation voisine. Une barrière a été posée, des travaux vont être entrepris pour remédier à la situation... Pas de solution définitive en vue.