REPLAY | Du bocage bourbonnais à Street Art City, découvrez les mystères de l'Allier dans Chroniques d'en Haut

C’est un département plutôt discret dans notre région. Une vaste contrée, vallonnée, parsemée de forêts profondes et de bocages apaisants. Certes, au sud, on y dépasse les 700 mètres. Mais l’Allier est de loin le département le moins montagneux d’Auvergne Rhône-Alpes. Pour autant : la plaine n’est pas synonyme de platitude, bien au contraire !

Situé aux confins de notre région, l’Allier se montre plutôt discret. Pas de grande métropole, un environnement un peu diffus, à la fois en Auvergne mais déjà proche du centre de la France. Ne sachant pas à quoi m’attendre, la surprise n’en a été que plus grande ! D’abord, l’un des avantages de la plaine : c’est qu’il n’y a rien entre le coucher du soleil et vous. Aussi, le premier choc fût cette lumière du soir, intense, dorée. On a pu profiter de ces couleurs jusqu’aux derniers instants, lorsque les rayons obliques du soleil illuminent le bocage bourbonnais, ces champs généreux entrecoupés par des haies, des arbres, donnant ainsi un rythme unique au paysage.

Il faut dire que nous sommes ici au cœur de la France, et de son histoire. Originaire de cette région, la famille royale, depuis Henri IV jusqu’à Louis XVI, a laissé son empreinte. Le château de Bourbon l’Archambault, considéré comme le berceau de cette lignée, en témoigne. Cette histoire profonde se lit au détour de chaque route à travers la campagne. Au fil des kilomètres se succèdent belles demeures et châteaux improbables, fermes traditionnelles et hameaux perdus. Le calme est saisissant. Le fameux bocage, cette façon ancestrale et si particulière d’alterner nature sauvage et prairies, participe à cette suspension du temps.

Voilà pourquoi la découverte de Street Art City, du côté de Lurcy-Lévis, fût encore plus surprenante ! Mais que diable vient donc faire l’art pictural urbain au milieu des vaches et des fermes ? Rien. Et c’est justement cela qui est génial ! Imaginez, au détour d’une route improbable, après des kilomètres réalisés à vue de GPS dans la campagne bourbonnaise : vous tombez sur un ancien complexe immobilier de France Télécom, avec ses immeubles carrés créant des espaces immenses dont les façades monumentales ont été peintes par des artistes venus du monde entier - sans doute équipés d’un bon GPS eux-aussi... Ici, des milliers de mètres carrés de murs, de bâtiments, de hangars et de toits ont été revisités par des graphes, des tags, des fresques, des illustrations et des installations qui racontent toute la diversité de cet art urbain aux accents un peu sulfureux.

Car oui, le Street Art, comme son nom l’indique, est né dans la rue. Donc sûrement pas dans le bocage bourbonnais où l’idée même de "rue" est assez abstraite. Et bien souvent, pour ne pas dire toujours, les artistes ont commencé par dessiner sur les murs des villes, peaufinant ainsi deux techniques vitales : celle de leur art, et celle de la fuite devant les sirènes de police. Mais ici, rien n’est interdit. Au contraire : les milliers de mètres carrés de surface disponible ne demandent qu’à recevoir les rêves, les folies, les cris et les joies de ces artistes. Alors, avec le temps, la liberté, le calme et la bénédiction des propriétaires des lieux Gilles et Sylvie Inessia : les artistes rebelles accueillis ici font mûrir leur art, et mûrissent avec lui.

C’est le cas de Zeso, un des plus anciens résidents de cette cité, qui n’a plus l’âge ni le goût (et probablement plus les jambes non plus) de courir devant les flics après avoir peint un mur interdit à New York, au Japon ou même à Lyon. Le gaillard a une petite quarantaine d’années et son art s’est épanoui, affiné, mais pas assagi pour autant… On y trouve tous les codes de cette culture urbaine, mais avec une finesse et un aboutissement que les murs peints à la sauvette ne permettent pas.

Aujourd’hui, ses toiles se vendent des milliers d’euros. Comme celles de Zach Oreo, de Ted Nomad, et tellement d’autres artistes devenus célèbres dans ce milieu et qui ont passé du temps ici, aux côtés des vaches et des cigognes. Oui, ça m’a étonné, mais on a vu plein de cigognes dans le coin. Pour nombre d’entre eux, il s’agit d’une renaissance, d’un temps passé au calme de la campagne, leur permettant de faire le point et d’extraire sans pression extérieure l’essence même de ce qu’ils ont à exprimer.

Ce petit miracle, on le doit à un couple qui, comme vous et moi sans doute, ne connaissait rien au Street Art avant de créer ce lieu. A ce sujet : vous pouvez d’ailleurs gagner des paris avec vos copains. Vous leur présentez la photo des tauliers mélangée à quelques autres photos de jeunes hirsutes à casquette, en leur demandant qui, selon eux, est à l’origine d’un des sites les plus côtés du Street Art dans le monde… Et vous allez gagner ! Car Gilles et Sylvie Inessia ont tout, sauf le physique de l’emploi. Gilles a des faux-airs de marquis et Sylvie, sa femme, semble sortir d’un salon de thé à Saint Germain des Prés. Pourtant, c’est bien ce couple d’un âge respectable, passionné et passionnant, drôle et un poil perché qui a créé ce site unique au monde. Ils ont appris à connaitre et apprécier cet art, mais aussi et surtout à accompagner les jeunes artistes sans jamais intervenir dans leur création. Comme l’explique Sylvie «nous sommes là pour les aider à sortir le meilleur d’eux-mêmes, sans contrainte, sans interdit. Ils ont un cadre accueillant, des pinceaux, des bombes, de la bienveillance et des surfaces immenses à peindre. Notre bonheur, au fond, c’est le leur. Notre plus belle fierté, c’est la leur, lorsque ces artistes, qui parfois galéraient dans la rue, comprennent que leurs toiles se vendent à des gens qui aiment leur travail ».

Voilà l’ambiance de ce lieu envoûtant. Un dernier mot : si vous le visitez, prévoyez du temps. Outre les 23.000 mètres carrés de murs peints, vous aller aussi découvrir les 128 chambres d’un hôtel fictif, où chaque pièce a été décorée par l’un des nombreux artistes, originaires de tous les continents, venus en résidence dans l’Allier. Un incroyable voyage, le plus étrange, selon moi, de cet endroit à la fois excitant et reposant. Lors de la visite, chaque chambre vous est pleinement destinée. Vous êtes seul pour vous immerger dans chacun des 128 univers…

Puisqu’on parle de voyage, direction Noyant d’Allier. Le village était une ancienne cité minière avant de devenir l’un des lieux les plus cosmopolites de la campagne franchouillarde… Là encore, l’ambiance est unique en son genre. Vous voilà transporté à l’autre bout du monde, avec sa pagode et sa population venue d’Asie du sud-est après la guerre d’Indochine puis, plus tard, la guerre du Viet Nam. Car après la fermeture de la mine, Noyant d’Allier a vu sa population décliner et ses corons désertés. L’état français en fit donc un centre d’accueil pour les rapatriés d’Indochine, puis pour les réfugiés venus avec les bateaux des tristement célèbres boat people dans les années 70.

C’est Caroline N’Gyen qui m’accueille dans le parc de la pagode, où un Bouddha géant domine le bocage bourbonnais, non loin du clocher de l’église du village. Caroline est arrivée en France à 11 ans. Une partie de sa famille était là avant elle, fidèle à la France au point de tout quitter, après la guerre, pour venir s’installer ici. Tout comme sa "Tata", surnom affectueux que les Vietnamiens donnent aux personnes plus âgées qu’elles, bien qu’aucun lien de parenté ne les unisse.

Tata me raconte son arrivée en France durant l’hiver 56, l’un des plus rudes de notre histoire récente, et comment sa mère qui n’avait jamais connu autre chose que le climat tropical du Vietnam avait dû s’adapter. Comment sa famille avait épousé notre pays, nos valeurs, s’y plongeant corps et âme, sans jamais oublier d’où elle venait. Sans oublier ni ses ancêtres, ni ses coutumes, mais cuisinant avec le même raffinement aussi bien les nems que le bœuf bourguignon. J’ai été touché par ces photos jaunies par le temps, seul souvenir de cette époque où ils vivaient là-bas. Touché aussi par leur sincérité et leur gentillesse. La "citronnade vietnamienne" partagée à cet instant (en fait : du jus de citron, de l’eau et du sucre, vous savez faire aussi) avait un goût d’enfance et de réconfort. J’aurais pu écouter Tata et Caroline me raconter leur histoire pendant des heures. Noyant d’Allier a cette particularité, cette richesse : celle d’un petit village de campagne vivant et généreux qui permet de voyager loin sans quitter le bocage bourbonnais…

C’est donc avec ces accents de sincérité dans la tête que j’ai traversé la forêt de Tronçais, célèbre pour la qualité de ses chênes, et par son histoire. Créée par Colbert à l’époque de Louis XIV, elle a su conserver son mystère et sa magie, au point d’en ressentir l’âme des arbres, parfois tricentenaires. Et c’est vrai que, avec le soleil matinal, les oiseaux omniprésents, les odeurs d’humus et d’herbe foulée, on plonge volontiers dans cette forêt comme on le ferait dans l’océan. Petite pause enchantée permettant de mieux intégrer les rencontres passées, avant de reprendre la route. Et quelle route !

La Nationale 7. La route bleue, la route des vacances, chantée par Trenet, est dans toutes les mémoires de nos anciens, et pas si anciens que ça d’ailleurs. Pour ses kilomètres trop longs et ses traversées de villages, de gros bourg, de villes. Pour l’odeur du sky des sièges surchauffés par le soleil d’été à une époque où l’idée même de la climatisation, à fortiori dans une voiture, était inimaginable… La Nationale 7 et ses bouchons, ses toits surchargés de valises sur les Dauphines, les 403, les 2CV et les Simca 1000. De Funès, les Tontons Flingueurs… Vous y êtes ? Bon, c’est que vous n’êtes pas tout jeune non plus…

Et bien figurez-vous qu’à Lapalisse, en Allier, tous les deux ans, une bande de joyeux drilles un peu déjantés mais passionnés nous font revivre cette époque-là, celles de bouchons de la Nationale 7, célèbres partout mais surtout dans cette ville, à cause d’un virage à angle droit qui ralentissait le trafic et provoquait des kilomètres de bagnoles à l’arrêt et des engueulades mémorables.
C’est l’automobile club qui organise cet évènement drôle, festif, très second degré et qui permet en même temps d’exposer une incroyable diversité de voitures de collection, pour la plupart issues des années 50 et 60, à cette époque où l’automobile était reine.

Me voilà donc embarqué dans cette reconstitution des années 60, pour un "revival" des années De Funès, avec un groupe de retraités qui s’en est donné à cœur joie, s’engueulant à l’ancienne - c’est à dire avec virilité mais respect - habillés comme nos grands-parents, jupes courtes, chemises à rayures et robes à pois, pantalon remonté jusqu’au nombril et tenu par des bretelles, tellement heureux de se les remonter justement, pour le plaisir de déconner, avec un poil de nostalgie. Un moment complètement fou !

Je ne connaissais pas l’Allier, j’ai adoré ses couleurs, les couleurs des murs peints, du bocage, de la pierre et des châteaux, et du cœur battant de ceux que nous avons rencontrés ici.

>> "L'Allier aux mille couleurs" un magazine présenté par Laurent Guillaume et réalisé par Yoan Perié, diffusé le dimanche 12 juin 2022 à 12h50 dans "Chroniques d'en Haut" sur France 3 Auvergne-Rhône-Alpes puis disponible en replay dans cet article et sur france.tv

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