Souffrance animale : un élevage de l’Allier condamné à 50 000 euros d’amende pour avoir coupé la queue des cochons

Un élevage porcin de l’Allier a été condamné par le tribunal de Moulins ce mercredi 6 avril pour « mauvais traitements » sur les cochons, pour la pratique du coupage de queues sans anesthésie. L’amende s’élève à 50 000 euros, avec un sursis partiel de 25 000 euros.

Pour l’association de défense des animaux L214, c’est « quasiment historique » : un élevage de l’Allier a été condamné à verser 50 000 euros d’amende, dont 25 000 avec sursis, pour avoir coupé sans anesthésie les queues des cochons. Le tribunal de Moulins a reconnu le Gaec coupable de « mauvais traitements ». L’élevage a également été reconnu coupable de privation de nourriture du fait de l'absence d'un dispositif d'abreuvement mais dispensé de peine. En revanche, le Gaec de Roover a été relaxé pour les faits d’entreposage de cadavres sans réfrigération et de privation de nourriture et aliments. Pour ce qui est de l’action civile conjointe de la SPA et de L214, les deux associations de protection animale ont été reçues comme parties civiles. Le Gaec a été condamné à leur verser 1 000 euros chacune de préjudice moral, ainsi que 2 000 euros pour les frais de procédure.

"C'est une excellente nouvelle"

Pour L214, la condamnation est une grande satisfaction : « C’est quasiment historique qu’un élevage de cochons soit reconnu coupable pour la coupe systématique des queues. C’est une pratique routinière, quasi-systématique dans presque tous les élevages. La France avait été rappelée à l’ordre par la Commission Européenne sur ces faits-là et il n’y a eu aucune action gouvernementale pour faire cesser l’infraction. La coupe des queues est interdite depuis 20 ans. C’est une excellente nouvelle de voir que la justice a vraiment pris en compte la réglementation et son application. C’est normal que ce Gaec soit condamné pour une infraction à la réglementation. On espère que la filière va entendre ce signal très fort, que la réglementation s’applique aussi pour les élevages », se félicite Brigitte Gothiere, cofondatrice de L214.

"On espère que la filière va entendre ce signal très fort"

Brigitte Gothiere

Pour elle, c’est une véritable avancée pour la cause animale : « Sur les affaires qu’on a pu présenter à la justice, on voit une progression de la prise en compte des conditions d’élevage. On a d’abord eu des classements sans suites, la plupart du temps et là, enfin, même sur des infractions « habituelles » où les élevages n’étaient pas inquiétés, on voit que, du côté de la justice, ce n’est pas quelque chose de normal ». Elle « salue le travail du Parquet et du tribunal » et espère que cette décision incitera les éleveurs à modifier leurs pratiques : « L’ensemble des exploitations qui pratiquent la coupe des queues sont bien en infraction avec la règlementation et passibles de sanction. Couper la queue des cochons, c’est une solution de facilité pour les éleveurs. Quand on coupe les queues, les cochons peuvent être laissés dans des conditions de promiscuité très importantes. Quand vous êtes obligés de ne pas couper la queue des cochons, alors il faut que vous fassiez attention à ce qu’il y ait un enrichissement. Les cochons se mordent car ils s’ennuient, car ils sont trop serrés. Si vous ne le faites pas, vous devez leur laisser plus d’espace, vous devez mettre de la litière pour qu’ils soient occupés. En évitant cette infraction on rend un peu moins pires les conditions d’élevage des animaux puisqu’on est obligés de prendre en compte l’ennui, la promiscuité… Les conditions de vies devraient être moins hostiles pour les cochons ».

 

"Cette pénalisation de la pratique est inquiétante"

Maître Pierre Morrier, avocat du Gaec, explique quant à lui que cette décision peut être préjudiciable à la profession : « Cette pénalisation de la pratique est inquiétante. C’est une peine sévère au sujet de la caudectomie (NDLR : le fait de couper la queue) des cochons car cela se pratique dans 99% des élevages de l’Union Européenne. C’est une décision, pour l’élevage en général, qui est inquiétante car des contrôles avaient été faits. On n’a pas de décision équivalente, aussi sévère, jusqu’à présent. On ne peut pas pénaliser toute la pratique de l’élevage. La caudectomie sert à éviter la caudophagie (NDLR :se manger la queue pour les cochons), il n’y a pas d’intention de l’éleveur de maltraiter les animaux, au contraire, l’intention est de les protéger pour qu’ils ne se fassent pas mal entre eux. »

Une vidéo choc

Tout a commencé par une vidéo, dévoilée par l’association L214. On y voit des porcelets écrasés par leur mère, des truies contenues dans des cages pour l’allaitement, des cochons à l’engraissement sur un sol en béton, des animaux malades ou morts, jetés dans des bacs. On y voit aussi des porcelets projetés au sol, claqués comme on dit parfois, sans doutes parce qu’ils sont trop chétifs ou déjà mourants. « Une vidéo sortie de son contexte » a dit Marc de Roover à la barre le 26 janvier dernier, « qui n’est pas notre réalité quotidienne. On travaille pour le bien-être de nos animaux, on connait la quantité d’eau qu’il leur faut, on la dilue dans la soupe et en été lors de la canicule, on a fait des repas d’eau supplémentaires ».  

"C'est une mesure de prévention"

« Si vous aviez à condamner quelqu’un, c’est moi » disait alors Pascal de Roover à la présidente, « le responsable de l’élevage, c’est moi. Cela fait 58 ans que je côtoie des cochons, je suis éleveur depuis 36 ans. Si on fait ce métier depuis si longtemps, c’est qu’on est passionnés ». Puis interrogé sur la coupe des queues des porcelets au cours de leur première semaine : « C’est une mesure de prévention, le cochon est un animal joueur, on ne peut pas s’en passer, c’est pour éviter les mutilations ».

« Ça a été un stress énorme et ça a entrainé la suspension de notre contrat avec Herta » a précisé Loïc de Roover lors des débats. « J’habite sur l’exploitation depuis 1994, 24 heures sur 24, je gère tous les problèmes techniques. Leur couper la queue, on doit le faire pour tous, sinon le but est caduque, les plus forts se jettent sur ceux à qui on ne l’a pas fait ». Et leur avocat Paul Morrier évoquait une pratique courante pour 99% des porcs en France, 98% en Espagne.  

Un procès pour l’exemple ?

Mais de l’autre côté du tribunal, là où se trouvaient le 26 janvier les avocates de l’association L 214 et de la Société Protectrice des Animaux qui s’est portée partie civile, on n’était pas d’accord. « Cet élevage, c’est comme dans 75% des élevages en France, un élevage intensif où les animaux sont dans un milieu extrêmement pauvre dont ils ne sortiront jamais, où l’adaptation de l’animal aux contraintes prime » estimait Maître Caroline Lanty. Et de pointer à nouveaux les faits reprochés : l’absence d’un accès permanent à de l’eau fraîche, l’absence de soins et le fait de ne pas isoler les animaux malades, des installations qui ne seraient pas conformes (des caillebotis aux fentes trop larges où les animaux les plus jeunes se bloqueraient les pattes avant de mourir), la coupe des queues sans anesthésie. C’est toute cette souffrance animale que l’association L214 a voulu dénoncer devant la justice en demandant 3 000 € au titre de son préjudice moral. Sa consœur Anne-Charlotte Boudet pour la SPA a repris les mêmes arguments, demandant 2 000 euros au titre du préjudice moral et souhaitant une peine complémentaire d’interdiction de détenir des animaux pendant 3 ans, ce qui a déclenché quelques réactions parmi la vingtaine d’éleveurs présents dans la salle pour soutenir les frères de Roover.  

Des réquisitions suivies

Le procureur de la République commençait par dresser un tableau moins sombre : « Des correctifs sont intervenus, le GAEC a su réagir, quelque chose a été pris en compte mais avec beaucoup de retard puisque le texte de base est un arrêté de 2003. Les infractions sont caractérisées et ne sont pas contestées, mais il y a eu une marge de progression ». Puis il s’interrogeait sur la nécessité de couper les queues des cochons, doit-elle être systématique ? Ce qui l’amène à demander une peine d’avertissement : 3 750 euros maximum avec sursis pour les 2 contraventions de 4ème classe pour le manque d’eau et les mauvais soins. Pour le délit de maltraitance constitué par la coupe des queues, il demandait une peine de 50 000 euros dont 30 000 avec sursis, mais écarte la demande confiscation des animaux. Enfin il appuyait pour le rejet concernant la non-conservation des cadavres dans un bac réfrigéré, une exploitation n’étant pas soumise aux règles qui s’imposent aux équarisseurs.  

Pierre Morrier, l’avocat des frères Roover et du Gaec plaçait lors de l'audience le débat sur le terrain d’une lutte engagées par L 214 contre l’élevage intensif et la consommation de viande : « Il ne s’agit pas de sacrifier les 3 frères Roover, c’est pourquoi je vous demande de relaxer le GAEC de Roover » concluait-il devant le tribunal.  « J’ai bien compris que je risque 50 000 euros, c’est faramineux. Je pense à la pression que ça va mettre aux autres éleveurs. C’est dommage pour la jeune génération, auront-ils envie de venir ? Ou alors on va se retrouver avec de la viande qui viendra de l’étranger » a dit, dépité, Pascal de Roover à la sortie. Le Gaec a décidé de faire appel de cette décision.

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