“Polluants éternels” : en Ardèche, l’eau contaminée aux PFAS, le silence des pouvoirs publics

On connaissait la pollution des communes du sud est et de l’ouest lyonnais. Mais la présence de PFAS dans la nappe alluviale du Rhône semble bien plus étendue. France 3 Rhône-Alpes révèle aujourd’hui que dans l’eau potable d’une cinquantaine de communes ardéchoises aussi, on retrouve ces polluants éternels. L’affaire a été gérée dans la plus grande discrétion et pourrait présager de nombreux cas similaires en France.

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Bis repetita. Et même, ter repetita. Combien de fois est-ce qu’une pollution de l’eau potable par les PFAS (substances per- et polyfluoroalkylées) devra être révélée par un journaliste ? Combien de rapports d’analyses passés sous silence faudra-t-il déterrer ? Combien de temps avant que la contamination globale de ces polluants toxiques ne soit clairement exposée au public et que ce dernier puisse décider de continuer à boire l'eau du robinet en toute connaissance de cause ?

Après les cas des communes du sud-est et du sud-ouest lyonnais et, plus récemment, de la ville d’Annecy (révélé par nos confrères du Monde), c'est au tour de la rédaction de France 3 Rhône-Alpes de pointer la contamination de plusieurs puits desservant une cinquantaine de communes ardéchoises de la vallée du Rhône, de Limony à Colombier-le-Jeune.

Une pollution passée sous silence

Ah non, je n’ai jamais entendu parler de cette pollution”, assure Jean-Yves Bonnet, maire de Bogy. Les PFAS, ça lui dit pourtant quelque chose. Depuis plus d’un an, la problématique de ces polluants toxiques, aussi appelé “éternels” agite la sphère politique de la France tout entière, et particulièrement de notre région. Car ces molécules anthropiques s’accumulent dans les milieux, mais aussi dans les êtres vivants. Certains PFAS sont cancérigènes, d’autres sont connus pour avoir des effets mutagènes et reprotoxiques. Ils passent à travers le placenta et dans le lait maternel, ils affectent le développement et la réponse immunitaire des nourrissons, même à des doses très faibles. Le Rhône en est saturé, et ses nappes phréatiques avec lui. C'est pourtant là que l'on capte l'eau potable de centaines de milliers d'habitants.

Lire aussi : Polluants éternels : PFAS dans l'eau, l'air, le sol au sud de Lyon, quels risques pour les habitants ?

Après avoir entendu parler du scandale des PFAS à Pierre-Bénite, près de Lyon, Jean-Yves Bonnet s’est donc interrogé “à titre personnel” mais dit n’avoir jamais été informé de la contamination du puits qui alimente, entre autres, les 500 habitants de sa commune. “On a eu un rapport sur la qualité des eaux et point barre. Et moi, en attendant, je continue à boire l’eau du robinet”. 

Témoignage similaire chez plusieurs autres élus de la zone. “On se voit régulièrement avec les autres maires de la communauté de communes Annonay Rhône Agglo, et le sujet n’a jamais été évoqué”, assure l’édile de Colombier-le-Cardinal, 274 habitants. “Ça me surprend un peu, ce que vous dites, parce que je suis quand même au bureau du syndicat [de gestion de l’eau potable], et je n’en ai jamais entendu parler. Nous, on continue à boire l’eau, sans vigilance particulière, sans en informer les gens”, ajoute un autre élu, qui préfère rester anonyme.

Dire que le sujet est sensible serait un euphémisme. De ce que je sais, pour l’instant, on est sous les seuils. L’Agence Régionale de Santé (ARS) a fait des prélèvements dans l’eau de consommation, c’est quelque chose de surveillé, mais les analyses sont bonnes”, affirme, sûr de lui, Yves Fraysse, maire de Charnas et vice-président du syndicat d’eau potable Annonay-Serrières. 

Son confrère, Pascal Balay, président du syndicat voisin, le Cance-Doux, semble sur la même longueur d’onde. “Pour l’instant, on ne s’est pas inquiété de la problématique, parce que l’ARS ne nous oblige pas à faire des recherches... Si on devait en trouver, on se demande comment on ferait pour alimenter les gens en eau... On évite d’aller sur ce sujet qui m’a l’air très délicat”, rapporte l'élu, également maire de Sécheras. 

Des résultats au-dessus du seuil européen

Et pourtant, l’information arrivée il y a un an sur les bureaux des présidents des deux syndicats raconte le contraire. C’était en novembre 2022. Comme dans de nombreux autres endroits de la région, à la suite du scandale de Pierre-Bénite, l’ARS Auvergne Rhône-Alpes a lancé une campagne d’analyse des eaux brutes sur le secteur. 

Verdict : sur les quatre puits de captage ardéchois, alignés le long du Rhône, deux présentent des concentrations élevées de PFAS : elle dépassent 100 ng/L pour la somme de vingt PFAS jugés préoccupants, une norme de qualité indicative établie par la directive-cadre européenne sur l’eau (2020) dont l'application au niveau national n’est pas prévue avant 2026. 

A Peyraud, on retrouve ainsi 104 nanogrammes de polluants par litre (ng/L) d'eau brute. A Arras, 139 ng/L. Dans l’eau distribuée, c’est-à-dire celle qui arrive directement au robinet, l'eau dépasse également les 100 ng/L à Peyraud. Cette information n’a pourtant jamais été rendue publique.

Je ne dis pas que ce n’est pas dangereux, mais il faudrait aussi étudier l’eau des bouteilles en plastique, on ne sait pas si elle est meilleure”, explique encore Pascal Balay, étonné d'apprendre que France 3 Rhône-Alpes ait eu accès à ces résultats.

Car une surveillance trimestrielle a bien été mise en place par les services de l’État. En août 2023, l’ARS a renouvelé sa campagne d'analyse et la sentence reste la même : l’eau de Peyraud dépasse la norme avec 113 nanogrammes par litre. Si l'information a bien été publiée sur la page internet du ministère de la Santé, section qualité de l’eau potable, celui qui ne connaît pas les arcanes du site de contrôle sanitaire ne risque pas de les retrouver. Pourtant, on y lit bien que l’eau d'alimentation est “non conforme aux limites de qualité”. Encore une fois, aucun habitant n’a été prévenu.

En septembre, nouvelles analyses, sur la même commune, mais à un robinet différent. Les résultats chutent à 56 nanogrammes par litre, sans que personne sache expliquer pourquoi. Des variations importantes d’un prélèvement à l’autre que l’ARS constate également à Grigny ou Ternay, dans le sud-est de Lyon, où les taux de PFAS dépassent jusqu’à trois fois la norme européenne.

PFAS : l'omerta ?

Impossible de ne pas se demander si l’origine de la contamination se trouve dans les activités de la plateforme industrielle de Pierre-Bénite, dans le collimateur des pouvoirs publics. Et impossible de l’affirmer...

Nous avons cependant pu consulter le détail des résultats ardéchois et on constate que les PFAS les plus présents à Peyraud et Arras, le PFHxA et le PFHpA sont les mêmes que ceux retrouvés en quantité à Ternay et Grigny. Employés aujourd'hui ou dans le passé par les industriels de Pierre-Bénite, tels quels ou sous la forme de précurseurs d'autres substances chimiques, ils sont susceptibles d'avoir été utilisés par de nombreux autres. Ces molécules ne sont pas considérées comme les plus toxiques, en l'état actuel des connaissances. Aucune valeur toxicologique de référence n’existe en France pour ces deux PFAS que l'état actuel des connaissances ne juge pas comme les plus toxiques.

Le courrier envoyé par l'Agence Régionale de Santé aux syndicats des eaux indique donc que “l'ARS ne recommande pas de restriction de consommation de l'eau”. Il précise cependant qu'en cas de confirmation d’un dépassement de la future limite de qualité, il conviendra d’étudier les mesures de gestion qu’il sera possible de mettre en œuvre (notamment dilution, traitement) au plus tard au 1ᵉʳ janvier 2026, afin de distribuer une eau respectant la future limite de qualité sur les perfluorés”. 

Une politique attentiste qui n’est pas sans faire écho au mail du directeur de l’ARS d’Occitanie, révélé la semaine dernière par nos confrères du Canard Enchaîné. Après un séminaire national de tous les directeurs des ARS de France, Didier Jaffre assure par écrit à ses cadres que “très clairement, nous allons devoir changer d’approche et de discours, il y a des PFAS et des métabolites partout. Et plus on va en chercher, plus on va en trouver”. L’eau “ne doit plus être consommée, mais seulement utilisée pour tout le reste, [il faut] donc privilégier l’eau en bouteille”.

Selon l'hebdomadaire, qui a accepté de partager ses informations avec nous, la directrice de l’ARS d’Auvergne Rhône-Alpes (ARS ARA) serait intervenue pendant le séminaire pour un retour d’expérience sur le sujet "polluants éternels”.  Résumé par le fonctionnaire occitan à ses troupes : Nous avons jusqu’en 2026 pour lancer les contrôles sur les PFAS. Le conseil donné par ARA est pour l’instant de ne pas les faire vu les conséquences engendrées”. Depuis le 1er janvier 2023, pourtant, le gouvernement a décidé d’anticiper la future norme européenne et d’inclure la recherche des PFAS dans les analyses sanitaires des ARS partout où leur présence a déjà été identifiée. 

L’année dernière, la Direction de l'environnement Rhône-Alpes (DREAL) a lancé une vaste campagne de contrôle des sites de la région et identifié une quinzaine d'industriels rejetant des PFAS. La liste n’a toujours pas été rendue publique.

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