ENQUÊTE. Polluants éternels 3/5 : le sud de Lyon, épicentre français de la contamination aux PFAS ?

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Sur la plateforme industrielle de Pierre-Bénite, Arkema rejette dans le Rhône jusqu’à 3,5 tonnes par an de 6:2 FTS. Cette molécule fait partie d’une grande famille de polluants, les PFAS, reconnus comme toxiques mais toujours pas réglementés en France.
Enquête exclusive sur les PFAS : l'ampleur de la pollution en carte ©France Télévisions

Pierre-Bénite, au sud de Lyon, fait partie des sites les plus pollués par les PFAS aujourd'hui en France. Nous avons mené l'enquête pendant un an et découvert que l'environnement, les riverains et les salariés avaient été exposés à ces polluants éternels. Épisode 3 : état des lieux chiffré de cette pollution aux perfluorés.

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C'est un poison inodore, incolore et invisible. Pourtant, dans le sud de Lyon, autour de la plateforme industrielle de Pierre-Bénite, les PFAS sont omniprésents. Ces substances per- et polyfluoroalkylées, mutagènes, reprotoxiques et parfois même cancérogènes, ont été rejetées dans l'environnement pendant des années.

Pendant un an, nous avons étudié, compilé, comparé aux normes étrangères toutes les analyses réalisées par les pouvoirs publics ces derniers mois. Et nous les avons résumées dans une carte interactive. 

Pour plus de lisibilité, tous les résultats ont été convertis en nanogrammes par litre ou par kilo. Nous n'avons gardé que ceux qui nous paraissaient inquiétants ou qui dépassaient certains seuils. L'intégralité des résultats est désormais disponible sur le site de la DREAL.

> Retrouvez l'intégralité de l'enquête "Polluants éternels : un poison en héritage" sur la plateforme france.tv et son application mobile (iOS & Android).

Premier constat : autour de la plateforme industrielle de Pierre-Bénite, les PFAS sont partout. Et partout, ils dépassent les valeurs témoins, les seuils et les niveaux d'alerte. L'endroit est l'épicentre d'une pollution qui peut aussi être en partie responsable de la contamination de l'eau potable d'au moins 120 communes, bien plus au sud de l'agglomération lyonnaise. Seules quelques unes de ces molécules sont aujourd'hui interdites, comme le PFOA, le PFOS ou encore le PFNA. Mais en France, il n'existe aucun texte pour réglementer les rejets dans l'environnement.

Deuxième constat : entre les lignes et les noms de molécules à rallonge, on devine une pollution ancienne et une pollution plus récente.

Une fois que le PFOA et le PFOS, les perfluorés les plus connus, ont été très clairement identifiés comme posant des problèmes toxicologiques, la stratégie a été de faire varier la formule chimique ou les longueurs de chaîne de ces molécules. Mais à aucun moment l'axe directeur, c'est de maîtriser le risque, ou de produire une substance non toxique. Malheureusement, le moteur c'est de continuer à répondre au besoin, analyse Eric Branquet, chimiste et employé par une société spécialisée dans la dépollution des sols.

Sur la plateforme de Pierre-Bénite, les molécules à chaînes longues ne sont plus utilisées (le PFOA a été utilisé jusqu'en 2008, le PFNA jusqu'en 2016). Mais les industriels ont adopté des molécules dites de nouvelle génération (le 6:2 FTS et le PFHxA). Les acronymes peuvent paraître complexes et leur énumération futile, pourant il est essentiel de les retenir pour être précis et pouvoir établir des responsabilités.

Dans les sols

Il n'existe aujourd'hui en France aucun seuil pour déterminer la dangerosité de la présence des PFAS dans les sols. C'est un argument que les pouvoirs publics sont enclins à utiliser. Autre élément de langage : l'imprégnation est globale", comprendre : des PFAS, on en trouve partout. C'est malheureusement exact.

Il est donc difficile de caractériser l'importance de la pollution sud-lyonnaise en se basant uniquement sur des chiffres bruts. Pour avoir de quoi les comparer, la Direction régionale de l'environnement (DREAL) a donc réalisé des prélèvements témoins", au nord de Lyon notamment, et établi une moyenne de contamination sur ces secteurs non pollués (8000 ng/kg pour la somme de 22 PFAS).

Un premier exercice consiste donc à faire des divisions. Par exemple, sur le stade du Brotillon, situé juste à côté de la plateforme industrielle, on trouve des teneurs en PFAS jusqu'à 80 fois supérieures à celles de la moyenne témoin (642000 ng/kg). Parmi les molécules les plus présentes, le PFNA et le PFUndA, perfluorés utilisés par l'industriel Arkema jusqu'en 2016.

Dans le parc Trassarioux, situé à plusieurs centaines de mètres, les teneurs sont 8 fois plus élevées. Dans les jardins partagés de la rue Brotillon, dans la rue Docteur Roux et au parc Manillier, elles sont jusqu'à 5 fois plus élevées.

Deuxième exercice, chercher une norme, un seuil ou une valeur de référence appliquée dans un pays voisin. Le Danemark, par exemple, a déjà planché sur le sujet. Depuis juillet 2021, une valeur guide (1000 ng/kg pour PFOA+PFOS+PFHxS+PFNA) permet de garantir que les utilisations des terres à accès libre pour des utilisations sensibles sont sans danger pour la santé, par exemple les jardins privés, les jardins d'enfants et les terrains de jeu. Nouveau calcul : au stade du Brotillon, où les enfants de Pierre-Bénite jouent tous les jours, nous sommes donc 14 fois au dessus. Mais également 51 fois au dessus de la norme hawaïenne applicable pour les écoles et les parcs pour le PFNA, et 24 fois au dessus de la valeur d'intervention indicative hollandaise pour le PFNA, à partir de laquelle le pays estime qu'il y a un risque d'altération des caractéristiques fonctionnelles du sol pour l'homme, les plantes et les animaux.

Plus on s'éloigne, plus logiquement, les teneurs diminuent. Mais, même à Irigny, commune voisine, on trouve 33000 ng/kg de PFAS dans le sol d'une école. On y dépasse les normes danoises, hollandaises et hawaïennes. Pour Jacob De Boer, professeur en toxicologie à l'université d'Amsterdam et spécialiste de ces molécules : les niveaux retrouvés à Irigny sont sérieusement élevés, et c'est d'autant plus étonnant que cela soit dans le sol d'un jardin d'école. Je ne sais pas quel est l'âge de ces enfants, mais s'ils sont petits, le risque c'est le contact main-bouche.   

Partout, les molécules détectées en plus grande quantités sont donc le PFUnDA et surtout, le PFNA. Des composés moins étudiés que le PFOA mais qui restent parmis les perfluorés considérés comme les plus dangereux au niveau européen. Les enfants sont plus vulnérables à ces substances tout simplement parce qu'ils sont toujours en développement et plus exposés aux doses toxiques car ils sont plus légers. A ce niveau d'exposition, le risque principal c'est  l'impact sur l'immunité, sur les défenses de notre corps. Et plus le taux d'exposition est élevé, plus le risque est grand d'attraper toutes sortes de maladies

Des arguments insuffisants pour interdire l'accès au stade ou décider la fermeture de l'école. Ces données n’appellent pas, en l’état de la réglementation nationale et compte tenu du faible risque d’exposition, de recommandations particulières à l’échelle locale (...). Une recherche bibliographique au sein d’organismes internationaux a permis de compiler plusieurs valeurs repères qui sont purement indicatives et ne sont pas des valeurs sanitaires  , peut-on néanmoins lire sur le site de l'Etat dédié à la problématique.

Dans l'air ambiant

Les services de l'Etat ont également réalisé des analyses de l'air pendant 90 jours en 13 points différents. On y retrouve principalement du 6:2 FTS et du PFHxA, qui sont les nouvelles molécules utilisées par les deux industriels, et que l'on appelle également des composés à chaîne courte.

Les résultats sont rassurants puisque toutes les concentrations en PFAS mesurées sont largement inférieures aux valeurs repères les plus restrictives au niveau international , précisent les pouvoirs publics. 

Mais encore une fois, pour comparer les chiffres, la DREAL a fait des prélèvements témoins, à plus de 5 km des deux usines. Il est intéressant de constater qu'à la gare d'Oullins, en périphétie lyonnaise, on respire 10 fois plus de 6:2 FTS qu'à Vénissieux (point témoin le plus éloigné) par exemple. Ou qu'au parc de Gerland, à Lyon, on respire 33 fois plus de PFHxA qu'au prélèvement témoin.

Ces deux composés étant peu voire pas du tout réglementés, ni en France, ni ailleurs dans le monde, il est impossible de les comparer à une norme ou une valeur limite étrangère.

Dans l'eau

Depuis des années, peut-être même des décennies, les deux usines de Pierre-Bénite rejettent des PFAS directement dans l'eau du Rhône. La pratique n'est pas interdite. Car bien qu'Arkema rejette parfois jusqu'à 2.000.000 ng/L de 6:2 FTS dans le fleuve, son débit et sa force de dilution permettent d'atténuer la pollution des eaux superficielles. On retrouve 280 ng/L de cette même molécule à quelques kilomètres en aval de la plateforme.

Mais ce qui inquiète les autorités, c'est que ces polluants se sont accumulés dans la nappe phréatique. Sous la plateforme industrielle, la pollution est importante, entre 3100 et 3800 ng/L pour la somme de 25 PFAS.

Plus on s'en éloigne, plus la présence des PFAS dans les eaux souterraines est faible. Elle n'est cependant pas négligeable. Car c'est précisément dans la nappe alluviale du fleuve que l'on capte l'eau pour alimenter le réseau potable de nombreuses communes.

Ainsi, dans les captages de Ternay, et dans une moindre mesure dans celui de Grigny, on retrouve des PFAS. Impossible d'affirmer que la présence de ces molécules n'est due qu'à l'activité de la plateforme de Pierre-Bénite. Mais une dizaine de communes boivent aujourd'hui de l'eau dans laquelle on trouve jusqu'à trois fois plus de "polluants éternels" que ce que prévoit la norme européenne (100 ng/L pour la somme de 20 PFAS), qui est appliquée depuis le 1er janvier 2023 dans la région. Dans une centaine d'autres communes, les teneurs flirtent avec la réglementation. Nous avons établi une carte des zones polluées.

Nous avons fait un survol des teneurs dans l’eau potable au Québec et sur plus de 400 échantillons à travers le monde, et nous avons une seule occurrence qui dépasse les 100 ng/L pour la somme des PFAS”, rapporte Sébastien Sauvé, professeur en chimie environnementale à l’Université de Montréal, au Canada. Le scientifique est donc d’avis d’appliquer le principe de précaution. “Je suis très embêté lorsque l’on me demande s'il faut continuer à boire l'eau du robinet, pour toutes les conséquences économiques et écologiques que cela peut avoir… Mais dans ce cas-ci, cela pose beaucoup de questions, les niveaux sont au-dessus de la norme et je serai plus enclin à trouver une alternative… , tente donc le professeur.

L’Agence Régionale de Santé (ARS) Auvergne-Rhône-Alpes a une vision différente. L'organisme d'Etat estime que l’eau reste potable et ne recommande aucune restriction. “On peut parler de pollution trop importante, clairement, et nécessitant que les pouvoirs publics prennent des mesures pour la réduire”, affirme Marielle Schmitt, responsable du pôle santé publique à l’ARS. Mais d’une pollution, inquiétante ? Non, on ne préfère pas. “Il n’y a pas de valeur toxicologique de référence qui permette de dire à partir de ce seuil c’est dangereux”, affirme encore Marielle Schmitt. “Nous ne sommes donc pas inquiets, car les molécules les plus présentes dans l’eau potable ne sont pas les plus préoccupantes”.

Une affirmation que ne partage pas l’ensemble de la communauté scientifique. Les PFAS sont les substances les plus toxiques jamais crées par l’Homme, elles sont industrielles, donc notre corps n’a pas les défenses naturelles pour lutter contre elles. On ne connait pas exactement le seuil de toxicité, c’est vrai, mais on sait que ces molécules s’accumulent dans le corps, dans le sang, dans les organes et qu’on ne peut pas s’en débarrasser , ajoute Philippe Grandjean, professeur de santé environnementale à la Harvard TH Chan School of Public Health, aux Etats-Unis.

Dans les œufs

Depuis le 1er janvier 2023, l'Union Européenne impose à ses pays membres des teneurs maximales de PFAS dans certaines denrées alimentaires mises sur le marché, notamment les œufs. Elles ne concernent que les professionnels.

Dans les abords immédiats de la plateforme industrielle, il n'y a pas de producteur ou agriculteur installé, mais la Direction départementale de la protection des populations (DDPP) a quand même prélevé et analysé les œufs de particuliers à Pierre-Bénite et à Oullins. 

Les teneurs en PFOA et PFNA y sont entre 4 et 81 fois plus élevées que la valeur maximale établie par l'Europe. La présence de ces PFAS dans les œufs s’expliquerait par la contamination des sols : en picorant, les poules se contaminent, et contaminent ensuite leurs œufs  , explique la préfecture. Leur consommation, ainsi que celle de la chair des poules est donc fortement déconseillée par les services de l'Etat sur 17 communes.

 

Dans les légumes

Il n'existe pas encore de teneurs maximales fixées pour les fruits et légumes par l'Union Européenne, à l'inverse des œufs, poissons, crustacés et viandes. En revanche, l'Europe conseille une surveillance plus large des PFAS dans les aliments, pour pouvoir, d'ici à 2025, fixer de nouvelles normes. Dans ce cadre là, dit l'Europe, une enquête plus approfondie sur les causes de la contamination devrait être menée lorsque les valeurs indicatives sont dépassées.

Les carottes analysées dans les jardins partagés d'Arkema révèlent un taux 158 fois au dessus de ce seuil indicatif pour le PFNA et 5 fois supérieur pour le PFOA. Les betteraves sont 5 fois au dessus pour le PFOA.

La préfecture insiste sur le fait que ces valeurs repères sont purement indicatives et ne sont pas des valeurs sanitaires", elle n'a donc ni déconseillé ni interdit leur consommation.

On retrouve par ailleurs dans la totalité des légumes prélevés du PFHxA, une molécule jugée préoccupante par l'Europe. Elle fait d'ailleurs partie des 20 molécules visées par la loi européenne sur la qualité des eaux.

D'autres légumes ont récemment été analysés par les services de l'Etat dans certaines communes plus éloignées (Thurins, Chaussan...) mais irriguées avec l'eau du Rhône. Les teneurs retrouvées, si elles excèdent la valeur repère européenne pour les mâches, sont bien moins importantes que celles détectées aux abords immédiats de la plateforme industrielle. On n’est pas du tout sur les mêmes types de teneurs que l’on a pu retrouver dans les produits animaux comme les oeufs, donc globalement, ces chiffres sont plutôt rassurants", commente Bruno Ferreira, directeur régional de de la Direction régionale de l'alimentation, la DRAAF. Mais ces valeurs nécessitent que l’on poursuive les investigations”.

Les pouvoirs publics ont diligenté de nouvelles études sur la présence des PFAS dans les denrées alimentaires, elles seront conduites à l'été 2023. Au cours de ses investigations sur le reste de la région, la préfecture a également identifié treize autres sites industriels potentiellement émetteurs de polluants éternels", sans vouloir en communiquer la liste.

Episode suivant : ENQUÊTE . Polluants éternels 4/5 : la loi du silence, "tout le monde savait, mais personne n'a rien fait"

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