TEMOIGNAGE. Polluants éternels : "Je ne connais pas de métabolisme qui ne soit pas affecté par les PFAS ", raconte une médecin italienne

Cancer du rein, cancer du testicule, fausses couches tardives, problèmes de thyroïde, les effets des "polluants éternels" sur la santé sont nombreux. Alors qu'en France, le sud de Lyon serait la zone la plus polluée aux PFAS, les habitants se demandent quels sont les risques. Nous sommes donc allés en Vénétie, où la pollution au PFOA est connue depuis plusieurs années et leur toxicité mieux documentée. Une médecin y témoigne des effets qu'ils peuvent avoir sur la population locale.

Elle sort un vieux carnet aux coins tous cornés. Dedans, un listing inquiétant : toutes les pathologies possiblement liées à une exposition aux perfluorés. En dix ans, la Dotoressa Elisa Dalla Benetta est devenue une experte en PFAS. Les habitants, dans la petite ville de Vénétie où elle officie, possèdent un taux de PFOA dans le sang de plusieurs centaines de microgrammes par litre. 

"J'ai commencé à me rendre compte que quelque chose clochait 10 ou 12 ans avant de découvrir que nous vivions sur une terre contaminée par les PFAS. Diplômée de l'université de Padoue, je pensais être informée sur la prévalence des maladies dans la population. Et je me suis retrouvée devant des niveaux de pathologies beaucoup plus importants", lâche-t-elle en préambule. 

La "zone rouge" italienne

"Les polluants éternels" font partie des substances chimiques artificielles les plus toxiques jamais inventées par l'homme. La pollution récemment découverte dans le sud de Lyon, et qui concerne au moins 220 000 personnes, suscite donc de nombreuses inquiétudes. Quels sont les risques pour la santé ? Doit-on continuer de boire l'eau potable contaminée par ces PFAS ? De manger les légumes arrosés par l'eau polluée ? Les œufs contaminés ? 

Des inquiétudes et des questions que se sont déjà posées les habitants de l'autre côté des Alpes, dans le nord de l'Italie. En Vénétie, un très important foyer de pollution a été révélé il y dix ans. On parle de zone rouge. On parle de 700 km² pollués et de 350 000 personnes concernées. La molécule est également présente en grande quantité dans l'eau potable de tout le secteur. La comparaison est alors tentante. Mais il faut insister : on parle ici de taux, dans l'eau potable, de 10 à 100 fois supérieurs à ceux relevés au sud de Lyon.

En Italie, les perfluorés sont donc plus étudiés, mieux connus. Nous avons demandé à une médecin italien, le Dr Elisa Dalla Benetta, quels étaient vraiment les risques pour la santé. Et la liste est interminable.

Une infertilité difficilement explicable

"J'ai trouvé un taux d'infertilité masculine très haut. Des personnes, jeunes, saines, qui travaillaient la terre, qui mangeaient des produits ne provenant ni du McDo, ni du supermarché, des personnes vivant au grand air ... Et bien ces personnes ne parvenaient pas à avoir d'enfants. Après avoir procédé à des analyses du sperme, on découvrait une anomalie. Il n'y avait aucun spermatozoïde vivant, ou ceux qui étaient vivants étaient anormaux. Découvrir ces résultats d'analyses, c'était à pleurer."

"Et on voit un patient, on en voit deux, on en voit trois ... Dans le cahier dans lequel j'ai commencé à écrire les choses étranges que je voyais, à la lettre A, j'indiquais azoospermie. Et peu à peu, je me disais "ceux-là, je vais me pencher sur leur cas, car ils ne devraient pas présenter cette pathologie."

Des troubles du métabolisme inquiétants

"J'ai également commencé à constater des tumeurs de la thyroïde. Moi-même, j'ai eu une tumeur de la thyroïde. Et j'ai remarqué que toutes les femmes qui présentaient ce type de tumeur vivaient depuis 10 ans dans ce secteur géographique. Durant ces 10 années, elles avaient bu de l'eau du robinet. C'est le cas par exemple d'une patiente qui venait du centre de Vicenze et qui s'était installée à Zimella après son mariage. Au bout de 10 ans, elle a développé une tumeur à la thyroïde. Autre exemple : une patiente indienne, originaire du Kerala, est venue habiter au village. Et au bout de 10 ans, alors qu'elle ne mangeait que des produits du cru, elle a eu une tumeur à la thyroïde."

"10 ans ont donc suffit pour transformer une Indienne Sikh - qui ne mange pas de produits confectionnés, qui n'a pas de cholestérol élevé, qui est mince et qui ne fume pas -  en une femme atteinte de dysfonctionnements de la thyroïde, jusqu'à en développer une tumeur".

Dr Elisa Dalla Benetta

 

"J'ai aussi des patients avec un cholestérol élevé alors qu'ils sont Sikhs et véganes ! Comment diable font-ils pour avoir un taux de cholestérol élevé ? Ils ne mangent ni saucisson, ni pancetta, ni saucisses. Ces gens ont un bouleversement complet de leur métabolisme, à tel point qu'il produit des graisses qui ne font pas partie de leur régime alimentaire ! Et ils tombent malades !"

" Les PFAS sont des molécules qui vont interagir avec tous les systèmes du métabolisme : le métabolisme du sucre, celui du gras, celui des hormones sexuelles, celui des hormones de la thyroïde. En fait, je ne connais pas de système métabolique qui ne soit pas affecté par ces polluants"

Fausses couches tardives

"Ensuite, j'ai commencé à constater chez mes patientes des fausses couches tardives. Les grossesses étaient normales et de toute évidence se déroulaient sans accrocs. Cependant au 5e, 7e ou 8e mois  ... deux enfants sont mort-nés en fin de grossesse ! Ils étaient viables. Je suis allée les voir à la morgue. C'était des enfants magnifiques qui ressemblaient à des poupons, tout à fait sains en apparence. Des autopsies ont été pratiquées, aucune malformation n'a été trouvée et pourtant ils sont morts ! " 

Elle poursuit, encore émue.

" Assurer le suivi d'une femme enceinte, puis pleurer avec elle parce qu'elle doit enterrer son enfant au bout de 8 mois de grossesse... impossible d'oublier tout ça ! Alors j'ai continué à prendre des notes dans mon cahier. Mais en tant que mère, je suis aussi concernée. Cette histoire m'est arrivée".

"Mon 4e enfant est au cimetière, parce qu'à mon 5e mois de grossesse, une nuit, à l'improviste, j'ai accouché et c'était un garçon. Et je me suis aperçue le jour de l'enterrement, que tous ces enfants qui reposaient dans le même carré, étaient des garçons. Dans les 15 dernières années, on trouvait dans ce carré de cimetière des garçons, morts lors de grossesses très avancées. (...)

"Ça ne devrait pas exister dans un pays où la mortalité infantile est très basse ! Nous ne sommes pas en Afrique, et je sais de quoi je parle, j'ai travaillé en Afrique. Ici, il ne devrait pas y avoir de tombes d'enfants, et pourtant ... il y en a au moins 7 au village.

Dr Elisa Dalla Benetta

"Ce fait aussi je l'ai noté dans mon cahier tout en me disant que ce n'était pas normal, mais j'ignorais alors pourquoi." 

"J'ai appris plus tard que les PFAS provoquaient de l'hypertension. Lorsqu'une femme qui n'a aucun problème cardio-vasculaire développe une hypertension gestationnelle, cela peut alors causer des dommages mortels à l'enfant ! Mais ces dommages se font précocement, alors que l'hypertension n'est pas encore notable. Quand on se rend compte que la tension est élevée, dans les derniers mois, le fœtus a déjà eu son lot de problèmes. Et c'est là que la grossesse s'interrompt ou alors qu'il y a accouchement prématuré. Et nous avons dans la région un taux important de naissances prématurées"

Tumeurs du rein

"Après avoir perdu mon enfant, je suis restée chez moi pendant deux semaines. Ma remplaçante au cabinet était très jeune et venait d'un autre secteur. Elle a vu mes patients, mes relevés, mes notes et m'a questionnée : "Mais Docteur, qu'est-ce qu'il y a dans votre sous-sol ? Il y a beaucoup trop de tumeurs du rein ici !"

"J'ai par exemple deux patients, mari et femme, qui présentent tous les deux une tumeur du rein. Mais il n'y a pas de lien génétique entre eux, ils sont juste mariés, par contre ils ont mangé et bu la même chose !".

Problèmes cardio-vasculaires

"J'ai aussi constaté qu'il y avait des cardiopathies congénitales, c'est à dire des enfants qui naissent avec différentes anomalies cardiaques. Sur mon petit village de 5000 habitants, j'ai deux jeunes, une enfant et une ado, qui ont une grave malformation cardiaque. Une cardiopathie rarissime qui se nomme TGV. Avoir deux pathologies identiques sur un territoire si petit est assurément en lien avec les PFAS. Ce devrait être une sonnette d'alarme. "

"Je comprends alors que quelque chose cloche et que je suis face à des pathologies environnementales ! Mais ce n'est qu'en mai 2017 que j'ai fait le lien avec les PFAS, après avoir assisté à une conférence publique dans laquelle un médecin de l'environnement a expliqué ce qu'étaient ces substances". 

"J'ai appris qu'en Virginie occidentale, dans l'Ohio, un fleuve grand comme notre Pô, une chose similaire s'était produite et avait touché 67 000 personnes. Nous, nous sommes 300 000 personnes mais il faut tenir compte de plusieurs facteurs :  la nappe phréatique qui se déplace de 1,3 km chaque année, l'eau d'irrigation utilisée pour l'agriculture, la vente de nos produits agricoles ... on arrive ainsi à 800 000 personnes ! Et la chose va empirer."

"Cela faisait 2 ou 3 ans qu'on en parlait dans la presse. Mais ce qui transparaissait, notamment chez les politiques, c'était : "il n'y a aucune toxicité, il n'y a rien de prouvé, nous n'avons pas de données ". 

"Comment il n'y a pas de preuves ? J'ai lu toutes les études concernant la Virginie occidentale et j'ai découvert que tout avait déjà été fait ! Impossible pour nos dirigeants d'ignorer que de l'autre côté de l'océan, il existe des études ! Elles ont révélé qu'au moins 6 pathologies sont en lien avec les PFAS."

6 pathologies directement liées aux PFAS

Le premier rapport, sorti en 2008, à l'issue d'une très vaste et très longue étude épidémiologique réalisée aux USA met en évidence le lien entre de nombreuses pathologies et le PFOA. 

" L'hypertension durant la grossesse, les problèmes de thyroïde, hypercholestérolémie, tumeur au rein, tumeur du testicule, usure du foie"

Des pathologies que le Dr Dalla Benetta a toutes rencontrées sur son territoire.

"L'EFSA, l'organisme européen compétent en matière de sécurité alimentaire, a déclaré en 2018 en faisant une analyse des études mondiales, que ces pathologies ne sont pas seulement corrélées avec les PFAS, elles en sont les conséquences. Le lien n'est plus à prouver". 

"A cela s'ajoutent de nombreuses autres études, plus récentes. Elles mettent en évidence un risque pour le développement du fœtus, une diminution du poids de naissance des bébés, un risque de fausse couche, de naissances prématurées, de malformations congénitales"

"On constate aussi une mauvaise réponse aux vaccinations (pas de développement d'anticorps) et des problème de conception, masculine surtout, mais aussi de fertilité féminine."

"Il y a aussi des problèmes de maladies auto-immunes et des pathologies chroniques et inflammatoires comme des problèmes articulaires, le diabète, des problèmes de peau ... autant de maladies auto-immunes".

Le PFOA a été classé "cancérogène prossible" par le Centre international de recherche sur le cancer en 2016.

Des molécules dans le lait maternel

Selon l'étude de 2018 menée par les experts de l'EFSA, les enfants sont le groupe de population le plus à risque. L'exposition pendant la grossesse et l'allaitement est le principal contributeur à l’apport en PFAS chez les nourrissons.

"Les femmes sont en quelque sorte avantagées concernant l'exposition aux PFAS par des mécanismes d'élimination physiologique. Mais cet avantage est lourd de conséquence. Car l'un des moyens d'éliminer les PFAS, c'est d'allaiter.  J'ai allaité mes propres enfants (j'en ai 5), pendant 5 ans et demi de ma vie, j'ai donc aujourd'hui un pourcentage de PFAS très bas et mes enfants ont hérité des PFAS que je leur ai transmis !

"On pense faire un geste naturel en allaitant son enfant et on l'empoisonne !"

Dr Dalla Benetta

"C'est pour cela que l'ONU est intervenue et non l'OMS.  Parce que c'est une violation très grave des droits fondamentaux, au delà du droit à l'information. C'est le droit d'être certain de transmettre la vie en sécurité. L'observateur des Nation Unies qui a été envoyé chez nous en décembre 2021 a retenu dans son rapport une phrase prononcée par une mère : "J'ai empoisonné mon fils et je ne savais pas que j'étais en train de l'empoisonner". 

L'effet cocktail

"On sait qu'il existe dans le monde une contamination de fond de quelques nanogrammes par litre de sang. Tout le monde en a. Ici, nous nous sommes à 50, 70, 100,  400 et même 1000 nanogrammes de PFOA par millilitre de sang. C'est la substance qui a été la plus étudiée. Mais il n'y a pas vraiment d'études sur l'effet cocktail, c'est à dire sur la somme cumulée des PFAS"

"Pourtant, il doit y avoir on ne sait combien de centaines ou de milliers de PFAS que nous ne sommes pas capables de mesurer mais qui existent, on pense entre 4000 et 10 000 molécules au moins, mais on ne les recherche pas toutes".

Des effets à court terme

"En réalité, contrairement à ce qu'on veut nous faire croire, les conséquences ne sont pas forcément visibles à long terme. Peut-on encore parler de long terme lorsque l'on constate à l'échelle de quelques années, une hausse du cholestérol à l'origine de démence précoce, une mortalité cardio-vasculaire ou de l'obésité à l'origine du diabète ?"

"Non, les effets se voient aussi sur le moyen terme et même sur le court terme car chez des enfants déjà contaminés par les PFAS au moment de leur conception, tout s'accélère. Le procédé est beaucoup plus rapide. On constate des troubles spécifiques de l'apprentissage, des troubles de la concentration et de la mémoire, des troubles moteurs très précoces. Certaines personnes déclarent une maladie de Parkinson à 55 ans et non à 75 ans ! De la démence sénile ou la maladie d'Alzheimer à 60 ans et non à 88 ans ! Ce ne sont pas des effets à si longs termes !". 

Les PFAS à "chaines courtes" : tout aussi toxiques

Suite au scandale Téflon, le PFOA a été progressivement abandonné par les industriels, puis carrément interdit par la Convention de Stockholm en 2019. La chimie moderne a inventé de nouvelles molécules PFAS dites à "chaînes courtes", c'est-à-dire avec moins d'atomes de carbone. Elles sont présentées par les industriels comme moins persistantes et donc moins toxiques, mais elles sont encore relativement peu étudiées par le monde scientifique. A Pierre-Bénite, Arkema utilise du 6:2 FTS depuis 2016, un polyfluoré à chaîne courte. Daikin utilise du PFHxA.

"En réalité, des études de chimie et de botanistes sur les cultures ou de bio-persistance dans l'environnement, ont mis en évidence que ces "molécules courtes" sont beaucoup plus dangereuses car elles voyagent plus rapidement. Elles sont plus "hydrosolubles". Elles vont plus facilement dans le cerveau, dans les poumons, les seins ... elles font des désastres. Elles pénètrent plus profondément dans les tissus". 

"On sait donc qu'on a du PFOA dans le sang mais on ne sait combien de nanogrammes d'autres chaines courtes sont présentes dans nos poumons, notre cerveau, nos reins, notre foie, nos seins. Car il y a des PFAS dans les tissus que seule une autopsie peut révéler. En Espagne, à l'Université de Tarragone, des autopsies de personnes peu exposées ont été réalisées et des PFAS ont été retrouvées pratiquement partout et même de manière assez conséquente, et même des PFAS à molécules courtes"

"Les PFAS, c'est la mort"

"Les PFAS sont indestructibles. Le temps ne les affecte pas. Ces substances sont  tellement fortes et persistantes qu'une fois entrées dans un système, elles le paralysent, elles le pétrifient. La vie dans notre organisme peut se résumer par des ondes sinusoïdales. Toutes nos fonctions vitales (jour/nuit, productions hormonales, niveaux de glycémie et tension artérielle) doivent varier. C'est l'oscillation de la vie. Quand en revanche on introduit une molécule chimique anthropique, qui n'existe pas dans la nature, qui bloque tout et qui égalise tout, alors c'est la mort." 

La médecin a développé un fichier informatique dans lequel elle note toutes les pathologies de ses patients, leur taux de PFOA dans le sang et leurs voies de contamination. Elle collabore désormais avec de nombreux scientifiques, notamment le professeur Carlo Foresta de l'Université de Padoue, dont les récentes études scientifiques confirment les effets des polluants éternels sur la santé.

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