Entre 2010 et 2017, une soixantaine d'enfants placés par l'ASE du Nord dans un réseau de familles d'accueil sans agrément rapporte des faits de violences multiples et de travaux dissimulés. Les deux hommes à la tête du réseau ont été reconnues coupables et condamnés à 6 ans de prison pour l'un et 4 ans pour l'autre.
Le tribunal correctionnel de Châteauroux vient de livrer son jugement dans l'affaire des enfants placés dans des familles d'accueil sans agrément par l'Aide Sociale à l'Enfance (ASE) du Nord. Les enfants avaient été confiés à des familles de l'Indre, de la Creuse et de la Haute-Vienne.
Deux mois après une semaine de procès éprouvante pour revenir sur du travail dissimulé ainsi que de nombreuses violences infligées aux enfants, le verdict est tombé. Des peines diverses ont été prononcées, visant particulièrement Julien M. et Bruno C., considérés comme les cerveaux de l'opération.
Les prévenus reconnus coupables
Les réquisitions de la procureure de la République de Châteauroux, Amélie Trochet, étaient lourdes, tout comme les faits reprochés. Si les avocats des prévenus remettaient en cause la parole des enfants et dénonçaient des "réquisitions disproportionnées", la magistrate a été entendue. Julien M., considéré comme à la tête d'un réseau plaçant des enfants dans des familles d'accueil et auteur de multiples faits de violence, se voit condamné à la plus lourde peine : 6 ans de prison avec mandat de dépôt différé et 20 000 euros d'amende. Son ex-compagne écope de 12 mois de prison avec sursis.
Sans aucune formation, Julien M. avait réussi à récupérer l'agrément de ses parents, Antoine et Colette, qui "savaient", selon Amélie Trochet. La mère a "délibérément violé la réglementation", et "a mis des enfants en danger en parfaite connaissance". Antoine, le père, est lui reconnu coupable de nombreuses violences envers les enfants. Le couple est condamné à 10 mois de prison et 20 000 euros d'amende pour la mère et 12 mois de prison et 10 000 euros pour le père.
À l'encontre du bras droit de Julien M., Bruno C., déjà condamné pour des faits viols répétés sur sa fille, sept ans de prison étaient également requis. Il est aussi reconnu coupable et doit purger une peine de 4 ans de prison et 5000 euros d'amende. De leurs côtés, les familles qui accueillaient les enfants dans l'Indre, la Creuse et la Haute-Vienne sans agrément sont sanctionnés à des amendes de 3000 euros, et relaxées du chef d'exécution en bande organisée de travail dissimulé.
Violences et travaux forcés
De 2010 à 2017, une soixantaine d'enfants ont été confiés illégalement par l'ASE du Nord à une structure d'accueil située dans l'Indre, qui ne disposait pas de l'agrément nécessaire. À la tête de celle-ci, Julien M., qui assure avoir récupéré l'agrément de sa mère, Colette.
Selon la procureure, Amélie Trochet, "la dignité humaine, [Julien M.], il s'en fichait pas mal", dénonçant des motivations uniquement "financières" : "accueillir toujours plus de mineurs, dans les moindres recoins". S'il dénonce un complot, il reconnaît un "appât du gain". La structure faisant office de lien entre l'ASE du Nord et les familles d'accueil a reçu 640 000 euros d'argent public, non déclarés.
Si je lui ai uriné dessus, je ne m’en souviens pas. Je m’excuse. C’est inhumain.
Julien M., principal prévenu
Les enfants étaient accueillis dans des conditions parfois déplorables, certains logeaient dans une caravane sans eau, ni électricité. À cela s'ajoute les faits de violence. L'affaire est révélée quand, en 2017, Matthias, un enfant dont s'occupe Julien M., refuse de retourner dans sa famille d'accueil après avoir été hospitalisé. Un signalement au parquet est alors fait et l'enquête démarre.
À la barre, Mathias raconte une soirée particulièrement traumatisante. Confronté à ce récit, Julien M. nie d'abord avant de déclarer : "Si je lui ai uriné dessus, je ne m’en souviens pas. Je m’excuse. C’est inhumain."
De nombreux autres enfants évoquent des coups, des strangulations, des gifles, des menaces à l'arme blanche. Julien M., de son côté, parle de "recadrages". Nombreuses victimes, âgées à l'époque de 12, 14 ou 16 ans, ont également rapporté des "travaux forcés", "déscolarisées" pour s'atteler à des travaux de rénovation.
Dans ce procès horrifique, l'ASE du Nord, pourtant au cœur des débats, a brillé par son absence. Ni la structure, ni ses responsables n'ont été poursuivis. "Nous pouvons placer le projecteur sur l'aide sociale et ses dysfonctionnements", avait concédé la substitut du procureur. Mais "ce n'est pas l'ASE qui a, je reprends les mots de la procédure, 'pissé sur Matthias'".
À présent, toutes les parties ont 10 jours pour faire appel de la décision du tribunal correctionnel de Châteauroux.