Les avocats des 19 prévenus du procès de Châteauroux se sont succédés pour leurs plaidoiries, en conclusion de ces cinq jours, ce vendredi 18 octobre. Chacun a tenté de démontrer que son client a eu un rôle bien plus réduit, dans le réseau de familles d'accueil sans agrément, que ce que la procureure avait voulu dire.
Qui héritera de la patate chaude de la culpabilité ? Cette question, les avocats de la défense se la sont posée, ce vendredi 18 octobre, en clôture du procès du réseau de familles d'accueil sans agrément, au tribunal correctionnel de Châteauroux.
Les avocats des familles ont d'abord rejeté la culpabilité sur "l'empire" de Bruno C., de Julien M. et de ses parents. Les avocats des parents ont chargé Bruno C., dont l'avocat a chargé Julien M. Bref, chacun à tenter de renvoyer l'autre face à ses responsabilités, en dédouanant son client le mieux possible. "C'est le jeu", ironise une avocate.
Des "réquisitions disproportionnées"
Après l'intervention de la procureure en début de journée, tous les conseils se sont au moins entendus sur un point : "les réquisitions sont disproportionnées" de la part d'un "ministère public qui souhaite se racheter", comme l'estime Me Delphine Durançon, avocate d'un homme ayant accueilli plusieurs jeunes à l'époque des faits.
Elle insiste sur le fossé qui sépare, selon elle, "le banc des organisateurs", où siègent notamment Julien M. et ses parents, et "le banc des pantins, des pigeons". Les familles d'accueil sans agrément, reléguées sur les bancs de l'assistance, se seraient fait entraîner "par ignorance, par absence de curiosité, par malléabilité".
Nathalie Gomot-Pinard enfonce le clou, et pointe les manquements de l'Aide sociale à l'enfance (ASE) :
Comment peut-on en vouloir à ceux-là d’avoir été bernés si l’institution elle-même a été bernée ?
Me Nathalie Gomot-Pinard, avocate de famille d'accueil
Elle se dit "sidérée" que soit requise contre son client une peine de prison plus lourde que celles demandées contre Antoine et Colette M., "ceux qui ont tout organisé", lance-t-elle. "C’est bien un ivrogne, une des familles auxquelles on confierait le moins nos enfants. Mais il n’est pas poursuivi pour violences, pour hébergement indigne, ou pour surdosage de médicaments." Contrairement à plusieurs autres prévenus.
Tous les conseils des familles d'accueil demandent au tribunal de relaxer leurs clients, assurant qu'ils ont agi avec le bien des enfants en tête. Ils nient aussi le qualificatif de "bande organisée". "Mon client n'est pas le cerveau d'une bande organisée, il a été leurré, il n'a pas agi en connaissance de cause."
De responsable en responsable
La responsabilité a ensuite été niée par Julian Christen Coat, avocat de Gabrielle S., ex-épouse de Julien M., trésorière de l'association qui recevait les enfants placés. "Elle n'a pas accueilli d'enfants, elle n'a pas commis de violences, et je la pense aussi victime dans ce dossier", débute-t-il. Car sa cliente est "une gérante de paille" dans cette association, un outil sans responsabilités. Les "gérants de fer, ce sont Julien et Bruno".
S'il reconnaît qu'elle avait la compétence de déclarer l'activité de l'association aux autorités fiscales (ce qui n'a pas été fait), il rejette "le critère d'autorité" : "La voyez-vous donner des ordres et des directives à Julien et à Bruno ? La voyez-vous contrôler ? La voyez-vous sanctionner leurs éventuels manquements ? C’est tout l’inverse." Selon lui, elle a été victime de "violences psychologiques et verbales" de son mari, et a agi sous contrainte. Il enrobe l'ensemble de sa longue plaidoirie par des points précis et techniques de droit, réclamant la relaxe de tous les chefs de prévention pesant sur sa cliente.
Tous les conseils prennent le temps, par ailleurs, de saluer la prise de parole des jeunes parties civiles, anciens enfants placés. Leur "courage", et "l'émotion" que ces témoignages leur ont provoquée. Lesdits jeunes et la majorité de leurs avocats ne sont cependant pas revenus sur les bancs de la salle d'audience après la pause midi, laissant le premier rang entièrement vide.
Qui est le "gourou" ?
Voilà le tour de l'avocate d'Antoine et Colette M., qui met en avant "la bonne réputation" du couple avant le déclenchement de l'affaire. "Que s'est-il passé pour que, d'une famille exemplaire, on arrive à ce qui nous conduit aujourd'hui devant vous", interroge-t-elle. La réponse est toute trouvée : Bruno C., qui vient à la rescousse du couple, alors sous le coup d'un contrôle fiscal, en 2016. "C'est un mauvais génie, on lui fait confiance, poursuit-elle. Je ne vais pas dire que c'est un gourou, mais presque."
Alban Briziou, avocat de Bruno C., reconnaît d'entrée la difficulté de sa position. "Je défends un ignoble, un immonde, que personne ne voudrait fréquenter." Il juge pourtant que son client constitue un parfait bouc émissaire dans la procédure : "Il faut qu'il paye, il faut qu’il prenne plus. C’est un pervers sexuel. Il vérifiait les sous-vêtements des filles. Il a violé sa fille." Sa demande au tribunal : "Juger uniquement Monsieur à l'aune de l'ordonnance de renvoi."
En l'occurrence, pour faux et usages de faux, travail dissimulé en bande organisée, hébergement indigne, administration de substances nuisibles, et violences. La peine de 7 ans de prison requise ? Trop lourde pour Bruno C., qui serait un simple "numéro 2", derrière Julien M. "Il joue un rôle important dans le recrutement des familles", reconnaît-il. Mais l'organisation frauduleuse de l'association qu'il gère ne serait pas de son fait. "C'est le prolongement d'une activité délictuelle créée toute seule par Colette", lance-t-il.
La parole des jeunes remise en cause
Cathy Bouchantouf, avocate de Julien M., clôt cette séquence de plaidoiries, avec la tâche de faire face aux accusations de tout le monde. Elle le sait, son client "va être condamné". Mais, estime-t-elle, "on ne peut pas faire reposer tous les malheurs du monde sur ses épaules". La lourdeur des réquisitions (7 ans de prison aussi), elle l'explique par "le déchaînement médiatique" et "les coups d'éclat" des parties civiles "devant les caméras".
Pour Me Bouchantouf, Julien M. n'est qu'un "rouage" d'une organisation dont il n'est pas le cerveau. "Qui place les enfants ? Qui recrute les familles ? C'est [Bruno C.] !" En l'absence d'éléments probants, elle demande la relaxe sur plusieurs points.
Ainsi que sur plusieurs chefs de violences contre certains des enfants placés. Pas contre Matthias, Julien M. ayant bien reconnu qu'il lui avait uriné dessus. "C'est condamnable, c'est inhumain." L'avocate insiste sur d'autres violences, reconnues aussi par son client, et qu'elle qualifie de "légères" : les gifles.
Pour les autres, elle considère que les preuves sont souvent insuffisantes. Des violences sur l'un des jeunes ? "Il n'y a rien, à part sa parole." Un autre "reçoit un coup de boule, mais ne sait même plus de qui, Julien ou Antoine". Pour un troisième, elle juge que "ses paroles [à la barre du tribunal mercredi, ndlr] avaient l'air complètement dictées".
De manière plus générale, elle pointe du doigt des évolutions de déclarations de la part des anciens enfants placés, entre leurs auditions à l'époque des faits et celles à la barre cette semaine. Et remet en cause la sincérité de certaines déclarations. "Depuis, il a vu un avocat, et sa parole a été modifiée." Pour Cathy Bouchentouf, Julien M. a agi "pour le bien des enfants", prenant pour preuve qu'il dénonce à l'ASE les coups de cravache portés par Bruno C. contre le jeune Damien. "Il sait que, en faisant ça, il risque sa place. Démonstration est faite que le plus important pour lui, c'est le jeune."
La journée, et avec elle le procès, s'est achevée par les dernières prises de parole des prévenus. L'un d'eux, qui fut famille d'accueil, semble ne pas avoir entendu les vœux de Cathy Bouchentouf. Pointant Julien M. et Bruno C., il ne prononce qu'une phrase : "Que les accusés prennent cher !"
La décision a été mise en délibéré, et sera rendue le 18 décembre.