Pendant cinq heures, Julien M. a dû se justifier des infractions multiples qui lui sont reprochées, de travail dissimulé à faux et usage de faux, en passant par les nombreuses violences dont l'accusent des enfants placés chez lui par l'ASE du Nord. À l’époque, il semble être la tête de pont du réseau, l’interface entre l’ASE du Nord et les familles d’accueil sans agrément. Ce mardi, il a tenté de minimiser les violences, voire de les nier complètement.
En trois briques : "Jamais", "Je ne sais pas", et "Recadrage". Ainsi peuvent être résumées les cinq longues heures d’explication de Julien M., l’un des principaux prévenus dans le procès des fausses familles d’accueil pour enfants placés par l’Aide sociale à l’enfance (ASE) du Nord.
"130 euros par enfant"
Ce mardi 15 octobre, à la barre du tribunal correctionnel de Châteauroux, au deuxième jour du procès, l’homme de 44 ans s'est défendu. Il a tenté - comme il pouvait - de se souvenir, d’expliquer, de nier aussi une bonne partie des multiples faits de violences que de nombreux jeunes l’accusent d’avoir commis entre 2010 et 2017.
À l’époque, il semble être la tête de pont du réseau, l’interface entre l’ASE du Nord et les familles d’accueil sans agrément chez lesquelles il envoie les jeunes confiés. Il touche alors "130 euros par enfant". En 2013, il reprend l’affaire de sa mère, qui disposait d’un agrément "jeunesse et sport", par "appât du gain", reconnaît-il. Mais "un agrément n’est pas héréditaire", ironise le président du tribunal.
"Aucun diplôme ni formation" d'éducateur
Si bien que, jusqu’en 2017, il s’occupe d’encadrer des dizaines de jeunes en grande difficulté, "sans aucun diplôme ni formation", souligne Me Myriam Guedj Benayoun, avocate de parties civiles. Le dossier est clair, selon le président : ces années-là, Julien M. semble se vanter d’évoluer hors cadre, et en tire une certaine assurance.
Assurance qui lui aurait, selon de très nombreux témoignages concordants de jeunes (victimes et témoins), permis d’en violenter certains. Durant tout l’interrogatoire, il se défausse. "J’ai donné des claques, des gifles, mais jamais de coups." Selon un témoignage, cela pouvait être "des grosses claques, pas du genre qu'on met à un enfant".
Plusieurs jeunes adolescents disent avoir reçu des coups de poing et de pied. Le président lit l’audition du jeune Damien qui, après une fugue, a la malchance d’entrer dans un bar où se serait alors trouvé Julien M., "bourré". "Vous le saisissez à la gorge avec une main et vous lui mettez des coups de poing". "Dans le bar ? Je ne m’en souviens pas." L’un raconte aux enquêteurs que Julien M. le "massacrait". Des témoins qualifient le jeune en question de "souffre-douleur" du prévenu. Un autre l’accuse de lui avoir serré les testicules à travers le pantalon. "Jamais." Les coups de poing, "jamais". Les strangulations de plusieurs jeunes "jusqu’à quasi-suffocation", dit le président ? "Jamais."
Des violences ? Non des "recadrages"...
Tout au plus confesse-t-il des "recadrages", des gifles, des claques. "Mais ce n’était pas ce qui était important. L’important, c’était la discussion après, l’intensité dans les yeux, assure le prévenu. J’ai toujours essayé de parler, de faire avancer les choses." Des bancs des parties civiles, où plus d’une dizaine d’anciens confiés à Julien M. se sont entassés, montent des soupirs d’exaspération.
Ce "recadrage", qui apparaît comme un bel euphémisme, reviendra dans sa bouche à chaque fois qu’une violence autre qu’une gifle est relatée. Pendant de nombreuses minutes, les avocats des parties civiles tentent d'obtenir sa confession, sans succès. "Jamais." Mais alors, comment expliquer ces témoignages, qui l’accusent frontalement ? "Je ne sais pas." Puis, il évoque de "l’animosité" de certains envers lui, notamment après des "recadrages", encore. Et les témoignages, parfois nombreux et concordants, de personnes ne se connaissant pas forcément ? "Je ne sais pas. Mais je ne peux pas laisser tout dire." Il suggère à demi-mot un complot des jeunes contre lui.
Pendant la procédure judiciaire, il avait aussi réfuté toute violence, mais avait assuré que "certains l’auraient mérité". "Je ne peux plus le penser aujourd’hui", assure-t-il à la barre.
Tous se souviennent, sauf Julien M.
À part les gifles et autres "tapes sur la tête", il ne reconnaît qu’un seul évènement. Et encore, il assure n’en avoir aucun souvenir, tout en ayant reconnu que quelque chose s’était passé, lors de sa garde à vue.
L’un des jeunes, Matthias, alors âgé de 15 ans, revient au sein de l’association de Julien M. en 2017, après un passage chez les parents de ce dernier l’année précédente. Ce jour-là, Julien M. et Bruno C, autre prévenu, boivent de manière importante. D’après des témoins (les enfants de Bruno C. notamment), le prévenu insulte Matthias. Il l'avertit quant à son comportement, après des précédents lors de son dernier séjour.
"Vous vous considérez comme professionnel, vous savez que vous allez recevoir des enfants difficiles, potentiellement violents", liste Me Guedj Benayoun. "Et vous buvez, quand on sait que votre femme a dit qu’elle vous a déjà vu devenir violent sous l’effet de l’alcool." "J’étais un peu impulsif à l’époque", reconnaît-il.
Impulsif, c’est le moindre des qualificatifs à utiliser lorsque l'on parle des faits en question. Selon Matthias et plusieurs témoins, Julien M. saisit le jeune par la gorge. Puis, un peu plus tard, lui urine dessus. "J’étais ivre. Je n’ai aucun souvenir de cette soirée", assure le prévenu. "C’est un peu facile, ça", souffle Me Jean Sannier, avocat de partie civile.
"Je ne me suis pas maîtrisé"
Derrière lui, alors que le récit de la soirée est détaillé, Matthias sanglote au premier banc des parties civiles. Contraint, Julien M. lance : "Si je lui ai uriné dessus, je ne m’en souviens pas. Je m’excuse. C’est inhumain." "Vous avez encore un doute que ça s’est passé ?" Il marque un temps. "Non."
Je dis pardon à Matthias, accepte mes excuses.
Julien M.
Matthias dessine un léger non de la tête. "Est-ce que parce que c’est un enfant difficile, on a le droit de lui taper dessus ?", l’interroge Me Guedj Benayoun. "Non." Il prétend vouloir "assumer" ces actes (cet épisode précis du moins), et attendre ce que "la justice fera".
D’autres faits sont encore énumérés au cours de l’après-midi. Il aurait menacé un jeune avec un couteau. "Non, jamais." Il peine à se justifier sur un évènement qu’il avait parfaitement admis en garde à vue, en ces termes : "Je lui ai mis un genou sur la carotide pour lui faire comprendre ce que c’est que de péter un plomb. Je ne me suis pas maîtrisé." "Pourquoi avez-vous dit cela en garde à vue", lui lance la procureure. "Je ne sais pas."
"Les faits que j’ai commis, je les ai admis." Il s’en tiendra là, ne lâchant rien de plus que ce qu’il avait prévu de lâcher.