Un procès hors norme s'ouvre ce lundi 14 octobre à Châteauroux. Brutalisations, humiliations, travail forcé : 19 personnes sont jugées pour avoir accueilli illégalement des enfants placés par l'Aide sociale à l'enfance du Nord.
Ce lundi 14 octobre, le tribunal de Châteauroux va ouvrir un dossier renvoyé le 8 janvier dernier. Sur le banc des prévenus, 19 personnes. De 2010 à 2017, elles auraient accueilli, sans agrément, une soixantaine de mineurs, placés par l'Aide sociale à l'enfance (ASE) du Nord chez deux habitants de l'Indre.
Qu'est-ce qui est reproché aux accusés ?
Une récente enquête de la cellule investigation de Radio France révèle, témoignage à l'appui, ce qui est reproché à ces 19 prévenus. Pendant sept ans, de 210 à 2017, une soixantaine d'enfants a été placée par l'ASE du Nord auprès de deux habitants de l'Indre, jouant le rôle de tête de réseau. Ces derniers s'occupaient d'accueillir les mineurs, et d'en répartir certains chez des proches, des membres de leur famille et des amis.
Ces "familles d'accueil", sans aucun agrément, se trouvaient dans l'Indre, la Creuse et la Haute-Vienne. Pour certaines d'entre elles, un agrément antérieur avait été révoqué après des faits d'agressions sexuelles sur mineur. De son côté, l'ASE versait des indemnités au duo berrichon pour chaque enfant accueilli, jusqu'à 630 000 euros dont pas un centime n'aurait été déclaré au fisc.
Dans quelles conditions les mineurs ont-ils été accueillis ?
Sur les soixante jeunes, la plupart sont devenus adultes, et il a été difficile pour les enquêteurs de tous les retrouver. Alors que vingt victimes ont été identifiées, moins d'une dizaine sera représentée pour l'instant. "On a mis énormément de temps à retrouver cinq victimes", témoigne Me Myriam Guedj Benayoun, avocate de 7 parties civiles.
Beaucoup sont SDF, ou en prison, ou complétement traumatisées. L'une d'entre elles n'est pas sortie de chez elle depuis trois ans et refuse de se faire représenter.
Maître Myriam Guedj Benayoun, avocate de 7 parties civiles
C'est pourtant leur témoignage qui a permis de mettre en lumière les conditions intolérables dans lesquelles elles auraient été accueillies.
Cette vingtaine de personnes témoigne en effet avoir subi diverses violences, principalement de la part des deux têtes de réseau. "Il y a eu des violences morales et physiques", affirme Romane Brisard, journaliste de la cellule investigation de Radio France.
Des témoignages de coups de poing, de coups de pied. Des traces de strangulation. Des humiliations. On urinait sur certains de ces enfants, on leur mettait la tête dans les WC.
Romane Brisard, journaliste
Certains enfants auraient également été victimes de surdosages volontaires de médicaments, notamment des anxiolytiques, neuroleptiques et autres antidépresseurs, pour les calmer chimiquement. Selon l'enquête, ces produits ont été acquis avec la complicité de médecins ne les ayant jamais examinés.
Enfin, certains mineurs ont aussi été amenés à réaliser des travaux "qu'on peut qualifier de forcés", explique Romane Brisard. Plusieurs ont ainsi été "utilisés pour rénover la maison d'une des personnes de ce groupe de familles d'accueil illégal", maison située dans l'Indre.
Quelle responsabilité de l'ASE ?
Grande absente du procès, l'ASE du Nord ne sera pas sur le banc des accusés. Tout en étant, pour beaucoup, responsable. "Qu'est-ce qu'ils ont fait ? Rien, s'exclame Me Jean Sannier, avocat d'une partie civile, auprès de France 3 Hauts-de-France. "Ils n'ont vérifié ni l'agrément, ni même le casier judiciaire [...]. Ils ne se sont pas inquiétés non plus des conditions dans lesquelles les enfants étaient accueillis, et ils ne les ont pas crus quand ils rapportaient les violences".
Les référents de l'ASE "étaient parfaitement au courant" de ce que vivaient les jeunes, affirme pour sa part Me Alban Briziou, avocat de Bruno C., l'un des prévenus.
Il y a eu des signalements : les enfants se sont plaints auprès des référents, mais les référents ont fait des mots à leur hiérarchie en disant que les méthodes pédagogiques portaient leur fruits, qu'il n'y avait pas de raison d'aller plus loin ni de faire un signalement au procureur.
Alban Briziou, avocat de l'un des prévenus
Pendant quatre jours, le procès des enfants placés du Nord va devoir démêler les motivations et les responsabilités. Mais l'affaire a déjà révélé une vérité cruelle : celle d'enfances brisées, aux mains d'adultes cupides, maltraitants, ou tout simplement impuissants à les protéger.
Propos recueillis par J-P Elme.