Maltraitances d'enfants dans les crèches privées : les communes sont-elles responsables des dérives ?

Avec la sortie du livre-enquête de Victor Castanet, "Les Ogres", le sujet de la maltraitance dans les crèches fait de nouveau grand bruit. Si la ville d’Orléans déclare ne pas connaître cette problématique grâce à des contrôles efficaces, des voix s’élèvent pour dénoncer le manque de moyens et de coordination dans le département du Loiret.

Société
De la vie quotidienne aux grands enjeux, découvrez les sujets qui font la société locale, comme la justice, l’éducation, la santé et la famille.
France Télévisions utilise votre adresse e-mail afin de vous envoyer la newsletter "Société". Vous pouvez vous désinscrire à tout moment via le lien en bas de cette newsletter. Notre politique de confidentialité

Par son livre-enquête Les Ogres, le journaliste Victor Castanet dénonce les agissements des plus gros groupes de crèches privées, visant à réaliser du profit en réduisant drastiquement les coûts. C'est un nouveau séisme dans le monde de la petite enfance, et le privé n’est pas le seul concerné, pointe le journaliste : "Le cas du low-cost implique la responsabilité des mairies, des collectivités et des ministères ".

Il en veut pour preuve les délégations de service public accordées à ces grands groupes privés. Quand le berceau coûte environ 12 000 euros par an, certains groupes privés proposent aux collectivités de réduire ce prix à près de 4 000 euros. Mais avec des prix cassés de la sorte, ce sont les familles, les enfants et les professionnels qui sont les premiers à trinquer, entraînant de nombreux cas de maltraitances institutionnelles.

Après un été agité, la crèche Le Baron rouvre progressivement

Mais les crèches de grands groupes privés ne sont pas les seules à connaître quelques dysfonctionnements. À Orléans, en juin 2024, la crèche publique Le Baron a, elle aussi, connu son imbroglio. La mairie a décidé de fermer l’établissement trois semaines avant les vacances scolaires car des propos déplacés y avaient été tenus par certains professionnels. "J’ai été alerté par l’administration quant à des suspicions de propos inappropriés et d’attitudes pédagogiques qui ne s’inscrivent pas dans le projet éducatif de la ville et que je ne peux tolérer", avait alors déclaré Gauthier Dabout, adjoint à la ville d’Orléans en charge des solidarités et de la famille. Une enquête administrative avait alors été lancée envers les agents suspectés.

Quelques mois plus tard, l’enquête est toujours en cours, et devrait "livrer ses conclusions dans les prochains mois", assure Gauthier Dabout. En attendant, la crèche Le Baron a rouvert le 2 septembre dernier, mais en effectif réduit à 25 enfants. "On n'a pas voulu rouvrir à effectif complet dès le début, l’idée, c’est de repartir sur des bases saines avec un nombre d’enfants un peu réduit, explique l’élu. Le moment venu, l’idée, c’est de retrouver la capacité maximale de 45 enfants." En attendant, il s’attache à conserver un lien avec les familles de manière à les rassurer.

Des crèches privées, mais pas pour économiser ?

Gauthier Dabout se dit "extrêmement choqué" par les révélations du livre-enquête de Victor Castanet. Sur les 29 structures d’accueil pour enfants que comporte la ville, 17 sont privées, dont une en délégation de service public. "Nous avons, comme toutes les collectivités, des systèmes de garde multiple pour répondre aux besoins des parents", justifie-t-il. Interrogé, André Laignel, maire d’Issoudun et vice-président de l’Association des maires de France, explique de son côté que "l’immense majorité des municipalités ne fait pas appel au privé" et qu’il s’agit "d’une infime minorité", selon les données en sa possession.

Gauthier Dabout se défend de toute volonté de faire des économies en faisant appel aux établissements privés. "Le tarif par berceau est à peu près le même si on le réserve dans une crèche privée que publique, donc l’objectif n’est pas de faire des économies. L’objectif, c’est plutôt d’avoir une offre assez équitable sur tout le territoire. L’idée, c’est d’avoir une proposition de garde dans tous les quartiers. Si nous n’avions que des crèches publiques, nous aurions des grosses crèches mais qui ne couvrent pas tout le territoire. Il y a aussi des crèches privées qui ont des horaires élargis ce qui est fondamental pour les gens qui travaillent tard", justifie-t-il.

Ce n’est pas tant une question de moyens que de contrôle des établissements et de comment on prend les choses.

Gauthier Dabout, adjoint à la ville d’Orléans en charge des solidarités et de la famille

Le livre-enquête de Victor Castanet n’a "malheureusement pas été une surprise", pour Julie Fallon. L’ancienne directrice d’une micro-crèche privée de Saint-Denis-en-Val avait dénoncé les agissements de deux de ses employés maltraitants les enfants de son établissement. Elle a depuis quitté la profession et se concentre sur des formations en prévention et sécurité notamment dans la petite enfance. Elle déplore le cas des crèches low-cost, comme celles du groupe People & Baby, particulièrement visé dans les dernières révélations. "Dans ce genre de structure, l’enfant n’est plus une personne mais un numéro, déplore-t-elle. En plus du manque de moyens, il n’y a pas de quoi occuper les enfants, il n’y a pas de quoi faire des activités et [les professionnels] n’en ont même pas le temps."

Des trous dans la raquette du contrôle

À la mairie d’Orléans, l’adjoint en charge des solidarités et de la famille, n’observe pas la même problématique. Gauthier Dabout considère plutôt que la solution se trouve dans le contrôle exercé par ses équipes au sein des établissements. "Nous n’avons pas attendu la sortie du livre pour s’assurer de la bientraitance des enfants dans les crèches privées comme publiques. C’est un sujet que l’on se doit d’avoir en priorité. Nous rencontrons assez souvent les directeurs d’établissements, et je m’y rends aussi pour me rendre compte de comment ça se passe. On a des liens très étroits dans les crèches dans lesquelles on a réservé des berceaux", insiste-t-il.

Mais selon Julie Fallon, il y a tout de même des trous dans la raquette. "En tant qu’organisme indépendant, on ne fait pas ce qu’on veut. On est vraiment sous le contrôle de la Protection maternelle et infantile (PMI). Mais en huit ans, je n’ai pas eu le moindre contrôle", se souvient-elle. Avant de continuer : "Il y a un manque de communication et de professionnalisme à la PMI du Loiret. Pour mon cas, je ne demandais pas de l’aide mais au moins que l’on réfléchisse ensemble à ce qu’on pouvait mettre en place, et je n’ai jamais eu de réponse."

Ils ont senti qu’ils avaient fauté avec moi et donc ils ont contrôlé tous les établissements. Il y a une structure qui a dû changer du papier peint. Est-ce utile de demander à changer de papier peint pour de la garde d’enfants ?

Julie Fallon, ancienne directrice de crèche

La municipalité d’Orléans peut-elle combler ces manques par des contrôles qui lui sont propres ? Difficile, selon Julie Fallon : "Ils ont un droit de regard, oui, mais quelle compétence ? Ce ne sont pas des gens de la petite enfance. Que vont-ils vérifier ? Je ne vois pas ce que des élus ou des agents municipaux - à moins qu’ils aient une puéricultrice ou une éducatrice du métier - peuvent faire."

Plus encore que des contrôles, l’ancienne directrice en appelle à la responsabilité de chacun. Julie Fallon en veut à la mairie d’Orléans : "Une des salariées que j’ai dénoncées a travaillé à la ville d’Orléans, elle a été prise pour des faits similaires et a simplement été remerciée. Donc je l’ai embauchée et elle a recommencé. Si la mairie d’Orléans avait vraiment fait son boulot, moi je n’aurais pas eu cette situation derrière !"

"Malgré les précédentes révélations, rien n’a changé "

Tout comme Gauthier Dabout, l’adjoint à la mairie d’Orléans, l’ancienne directrice de crèche ne veut pour autant pas en faire une généralité. "Il faut rassurer les familles, ce n’est pas partout, déclare Julie Fallon. Il faut qu’elles se fassent confiance aussi : elles connaissent leurs enfants. Si elles observent quoi que ce soit, un changement de comportement des enfants ou des attitudes déplacées, il faut qu’elles en fassent part rapidement, y compris si ça paraît anodin." Une des seules solutions réellement efficaces en l’état actuel d’après elle.

Car le sujet n’est pas nouveau. Après le rapport alarmant de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) en avril 2023 sur la qualité d’accueil et la maltraitance dans les crèches, le livre Le prix des berceaux, des journalistes Daphné Gastaldi et Mathieu Périsse dénonçait déjà, de la part de certaines structures privées, une course aux profits en dépit de la condition des enfants. "Pourtant rien n’a changé et c’est même pire, le métier est de moins en moins attractif", alerte Julie Fallon.

Elle réclame des moyens supplémentaires "plus que nécessaires", et une meilleure réglementation de la profession. En mars 2024, l’ex-ministre déléguée chargée de l’enfance et des familles, Sarah El Haïry annonçait lancer une "mission de contrôle des grands groupes de crèche". Depuis, aucune communication n’a encore été effectuée par le gouvernement.

Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité