"Une journée en psychiatrie coûte 600 à 900 euros à l'État, en prison, c'est 150" : comment sont gérés les détenus atteints de troubles psychiatriques

À Fleury-les-Aubrais, près d'Orléans, l'hôpital psychiatrique Daumézon accueille une unité unique en Centre-Val de Loire. Elle est spécialisée dans l'accueil des détenus atteints de troubles psychiatriques.

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Est-ce la prison qui rend fou, ou les fous, qui vont en prison ? Le vocabulaire est réducteur, mais la question, pas si lunaire. Alors que la France bat des records de surpopulation carcérale, avec près de 78 000 détenus, et que deux nouvelles unités spécialisées dans les soins psychiatriques sont en construction, France 3 Centre-Val de Loire est allé en immersion au sein de l'une des neuf structures déjà installées dans l'hexagone, à Fleury-les-Aubrais (Loiret).

 

La prison rend-elle fou  ?

"Je ne peux pas dire que la détention rende fou, mais nous savons que les prisons sont de plus en plus remplies de personnes avec des troubles" note la directrice médicale de la structure. Parfois, le "choc carcéral" place des détenus dans des situations de crises : "c'est lorsque l'arrivée en détention est brutale". Un enfermement 22h/24, la rupture des liens familiaux, mais aussi la découverte d'un quotidien rythmé par les ouvertures et fermetures de portes peut mener à de forts états d'anxiété. "La plupart du temps, les patients souffraient déjà avant d'arriver chez nous," explique Dr Coralie Langlet, directrice médicale de l'UHSA. 

Il arrive que les pathologies soient identifiées par les équipes médicales "pour des personnes qui pouvaient être en errance jusque-là" détaille la directrice psychiatre de la structure. 

Pour le responsable pénitentiaire de l'UHSA, Ludovic Hénon, c'est aussi une histoire d'argent :

Une journée en psychiatrie coûte 600 à 900 euros à l'État, en prison, c'est 150.

Ludovic Hénon, responsable pénitentiaire de l'UHSA

Au total, la structure gère un spectre d'établissements pénitentiaires de plus de 4 500 détenus. Il inclut les prisons du Centre-Val de Loire, mais aussi les villes de Troyes, Nevers ou encore Auxerre. 

"En détention classique, les rez-de-chaussée des maisons d'arrêt et centres de détention sont souvent dédiés à des personnes que l'on considère atteintes de troubles" affirme Ludovic Hénon. En moyenne, un tiers des détenus est concerné par des problématiques psychiatriques modérés à graves, selon les chiffres du ministère de la Santé. Et ce, à leur sortie de détention. 

7 fois plus de suicides en détention 

Selon l'enquête menée pour le ministère de la Santé : L’ensemble des troubles psychiatriques est surreprésenté en prison. Des troubles de l’humeur (tout particulièrement la dépression), anxieux, mais aussi les stress post-traumatiques ou encore troubles psychotiques.

Dans le Nord et le Pas-de-Calais, un travail sur l'ensemble des maisons d'arrêt (petites peines et détenus en attente de jugement), dresse un constat alarmant : les troubles psychiatriques sont en moyenne trois fois plus fréquents à l’entrée en détention que dans la population extérieure. La comparaison est faite avec des personnes de même sexe et du même âge, vivant dans les mêmes départements, souligne l'étude.  

Globalement, les suicides sont alors plus fréquents derrière les barreaux : en moyenne sept fois plus que dehors. "Les automutilations et blessures auto-infligées sont aussi fréquentes" souligne ensuite l'enquête. 

Une prise en charge largement sous-dimensionnée 

"On a de la place, mais 15 personnes en liste d'attente" regrette la psychiatre Coralie Langlet. Seuls vingt lits sont actuellement ouverts dans la structure, alors qu'elle pourrait en accueillir le double. Vingt lits, pour 4 500 détenus, dont un tiers est concerné par des troubles "modérés à sévères" donc.

Fin 2022, l'établissement a d'ailleurs dû fermer ses portes par manque de bras. "Il fallait casser le cercle vicieux du manque de personnel qui entraîne la surdose de travail pour les autres et des absences de plus en plus nombreuses de ce fait". 

Mais "ça va mieux". Avec un équivalent de presque deux temps pleins de médecins psychiatres, la capacité de la structure pourra passer à 30 lits dès octobre 2024, puis à une ouverture totale dans les mois à venir.

Les renforts sont venus de l'étranger, avec des psychiatres qui doivent encore faire valider officiellement l'équivalence de leur diplôme en France. Si leurs compétences ne font aucun doute aux yeux de la directrice, reste que pour l'instant, ces professionnelles ne sont pas autorisées à signer des documents, comme les certificats d'hospitalisation sous contrainte.  

Urgences à gérer et autorisations en chaîne 

Les admissions à l'UHSA sont réglementées. Deux options : l'hospitalisation volontaire, ou sous contrainte. Cette seconde méthode est la plus fréquente, elle concerne les trois quarts des patients. Le but est ensuite de transformer cette admission forcée en une adhésion aux soins de la part du patient. 

Souvent, les détenus atteignent des états de "crise aiguë", explique Coralie Langlet. S'ensuit une série d'autorisations. D'abord, celle d'un médecin extérieur à l'établissement pénitentiaire, qui ordonne l'hospitalisation. Il faut ensuite la rédaction d'un arrêté préfectoral. "Légalement, l'institution a 72 heures pour se décider" explique Ludovic Hénon.

En réalité, la démarche est validée sous 24 à 48h, assure-t-il. La direction interrégionale des services pénitentiaires donne aussi son coup de tampon "c'est un peu comme notre assurance de travail" explique le chef pénitentiaire. Avec ces documents, l'escorte peut partir en direction de l'UHSA visée. À son arrivée, le détenu devenu patient est vu par un médecin de la structure, qui doit aussi donner son aval.

Convaincre les patients d'entamer un suivi 

Les hospitalisations volontaires sont soumises à moins de démarches, mais prennent plus de temps, puisque l'UHSA gère en priorité les urgences. 

Les démarches restent ensuite très strictes pour ceux qui ne sont pas arrivés volontairement. Leur état est réévalué après 24h, puis 48h. Souvent, cette arrivée est couplée avec un passage en chambre d'isolement "pour faire descendre la pression, sans aucun stimuli extérieur" explique un médecin. 

Entre le cinquième et septième jour d'hospitalisation, un juge des libertés et de la détention s'entretient avec le patient, dans une salle dédiée dans l'hôpital. C'est lui qui décidera de la poursuite, ou non, de la mesure. En moyenne, une hospitalisation dure 26 jours. "La plupart du temps, on va passer d'une contrainte à l'accord du patient une fois l'état de crise passé". Dans le but d’entamer un accompagnement sur le long terme.

Au cours des échanges entre les soignants, des mises en contraintes chimiques ou physiques sont évoquées pour les patients les plus à risque, sur des durées limitées, "ça peut questionner vu de l'extérieur" reconnaît un soignant. La directrice de la structure insiste de son côté : "il ne s'agit pas de soigner de force, mais de convaincre, expliquer et rassurer". 

Des activités aux buts thérapeutiques

Dans un espace entre les deux unités A et B de la structure, plusieurs salles sont dédiées aux activités de groupe. Une bibliothèque, qui s'alimente pour l'instant grâce aux dons des équipes soignantes.  

Mais aussi une cuisine que les patients affectionnent particulièrement, "le fait de retrouver le goût des aliments ou de toucher les textures peut être très bénéfique chez des patients atteints de dépression par exemple" détaille la psychiatre Coralie Langlet. 

D'autres temps sont dédiés à des activités sportives douces, "pour se réapproprier leur corps". Les groupes sont construits en fonction des besoins thérapeutiques spécifiques des patients, mais aussi de leur capacité à être ensemble. 

Le théâtre "peut permettre à quelqu'un de s'intégrer" explique un soignant. "Tout le monde fait les mêmes gestes, tout le monde est pareil dans ce moment-là, donc ça peut permettre à certains de se confier" explique un soignant. 

"Ici, on prend le temps de nous écouter" assure un patient. Incarcéré depuis les années 90, c'est la seconde fois qu'il passe un séjour en hôpital psychiatrique.

Au début, j'avais peur de faire du mal à ma famille en venant ici, qui voit la psychiatrie comme un mauvais endroit.

Icham, patient de l'UHSA de Fleury-les-Aubrais

"Lorsque l'on sent que quelqu'un n'est plus dans le soin, mais dans un certain confort ici, il n'est pas question de le garder" tient à souligner la Dr Coralie Langlet.  

Autre constat marquant, détaillé par le ministère de la Santé : "la prévalence des traumatismes subis dans l’enfance". Plus de 98% des personnes interrogées "ont été exposées à au moins un traumatisme (négligence ou abus) dans l’enfance". 

Et après l'hospitalisation ? 

"Ici, le temps est dédié au soin" détaille la psychiatre, "mais souvent, ils sont dans le déni de leur maladie". Tenir un traitement, c'est difficile, d'autant plus en détention. Prendre ses médicaments, c'est accepter d'être souffrant. "Ils ont souvent l'impression que ça leur met une étiquette de vulnérabilité sur le front". La prise médicamenteuse est moins régulière en détention, les troubles se manifestent ensuite de nouveau, et les détenus reviennent "c'est frustrant" reconnaît Coralie Langlet. 

"L’enjeu de l’identification des troubles psychiatriques avant la libération est crucial puisque ces derniers sont associés à la fois à une surmortalité (par suicide notamment) mais aussi à la réitération des infractions" détaille quant à elle l'étude menée en 2023 pour le ministère de la Santé. Une piste, pour tenter de réduire la récidive dans l'hexagone. 

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