Quatre détenus participent à des séances de médiation animale, au centre pénitentiaire de Châteauroux. Un lien qui permet de travailler sur la gestion des émotions, lutter contre la violence et préparer la sortie de détention.
"Comment ça va mon fils ?" à son arrivée, Liam* se dirige immédiatement vers monsieur Hugo. Le petit chien noir déclenche immédiatement des sourires sur les visages des quatre détenus du centre pénitentiaire de Châteauroux. Une fois par mois, ils travaillent sur la gestion de leurs émotions grâce à l'intervention d'Isabelle Mathoux et ses animaux.
La médiation animale loin du "gadget"
"Ce n'est pas un gadget" prévient Eric Lostanlen, directeur fonctionnel du Service Pénitentiaire d'Insertion et Probation (SPIP) de l'Indre, "la médiation animale bénéficie à des personnes au parcours cabossé, abîmé, avec des carences affectives".
Pour cette séance du mois de novembre, Isabelle est venue accompagnée de Pacha, un petit cheval. Avec son association, le centre Mathioux, elle intervient en prison, mais aussi auprès d'enfants et personnes âgées, ou en situation de handicap.
L'heure se déroule donc en extérieur, sur le terrain de sport de la prison. "Quand je le vois je ressens la nature, la liberté, la vie, l'extérieur, autre chose que de la violence en tout cas", Sebastien semble prendre une bouffée d'air au contact des animaux.
Il sort pourtant d'une unité spécialisée pour les détenus violents : "Ici j'ai rencontré des gens formidables qui m'ont fait rencontrer les animaux. Ça m'aide beaucoup, ça me fait oublier la prison, ça m'aide à me détendre."
Gérer ses émotions pour être plus serein
En début de séance, Isabelle fait la "météo des animaux". Chacun doit choisir un animal en fonction de son humeur quand il arrive. Sébastien* a choisi le lion "j'aime bien avoir le contrôle de la situation". Ils sont alors amenés à en choisir un second, qui les définirait lorsqu'ils s'énervent.
Sébastien préfère en parler au passé : "Quand je m'énervais, je faisais beaucoup couler de sang, un peu comme le requin. Mais là je suis dans l'objectif de rester posé, tranquille, un peu comme le dauphin."
Quand on marche avec animal on va réfléchir, on va se poser des questions, se remettre en question, on va faire la part des choses et du coup je trouve que ça m'apaise.
Sébastien, détenu au centre de détention de Châteauroux
A 29 ans, le jeune homme a déjà purgé huit ans de sa peine : "Il me reste un an." Avant d'intégrer le centre de détention de Chateauroux, le jeune homme était dans une unité spécialisée pour les détenus violents.
L'incarcération génératrice de frustrations
Face au sentiment de colère, il a appris à s'apaiser : "Je me mets comme si j'étais avec les animaux, je me dis qu'avec eux je ne réagirais pas de la même façon." C'est sa sixième séance, il souhaite garder un lien avec les équidés en sortant de prison, en s'impliquant dans une écurie, pour apporter les soins aux animaux, ou encore nettoyer les boxes.
Parmi les quatre participants, tous sont au centre de détention, c’est-à-dire qu'ils purgent des peines supérieures à 2 ans, mais pas assez longues pour la maison centrale.
"Je crois qu'il ressent ma colère, je ne vais pas trop le toucher pour l'instant", quand Sébastien touche Pacha en arrivant, le cheval a un mouvement de retrait. Apprendre à entrer en relation avec l'animal, en faisant attention à ses réactions, c'est justement le but de cette séance. "L'autre a des émotions, des sentiments, détaille Isabelle Mathioux, nos actions ont forcément des conséquences sur autrui".
En fait ici en prison, ce sont les animaux qui nous redonnent notre humanité.
Un détenu lors d'un bilan d'accompagnement
Tous les quatre posent des questions, "ils font preuve d'une grande délicatesse" résume l'intervenante. Sans surprise, Pacha impressionne les quatre hommes au début.
Casque sur la tête, tous ont pu expérimenter la montée à cheval. "Vous savez combien de muscles ça travaille ?" lance Isabelle Mathioux. "Trois cents" annonce-t-elle devant des paires d'yeux étonnées.
Isabelle utilise certaines remarques comme "regarde monsieur Hugo il est jaloux" pour expliquer par exemple que la jalousie n'existe pas chez les animaux. "Ça s'appelle une demande attentionnelle" détaille-t-elle.
Pendant l'heure, monsieur Hugo est parti faire le tour du stade avec deux détenus, une configuration qui aurait été impossible, sans avoir tissé de lien de confiance entre l'animal et les deux hommes. Le froid automnal se fait sentir ce matin-là, le petit chien devient compagnon de footing pendant quelques instants pour se réchauffer.
Sortir avec les outils pour se réinsérer
Si la prison a la mission de punir ceux qui commettent des délits ou crimes, elle doit aussi leur permettre une meilleure réinsertion dans la société. C'est dans ce cadre que la direction du centre pénitentiaire de Châteauroux travaille avec le SPIP du département, "notre partenaire institutionnel" explique Yann Carcreff, directeur adjoint de la prison.
L'incarcération, désocialisante, est souvent vectrice de "frustration". Les mêmes qui ont parfois menées les détenus jusqu'à leur cellule. Il faut alors, par plusieurs leviers, permettre de donner d'autres outils que le passage par la violence.
Mais ce n'est pas la seule mission de la médiation animale. Elle vise aussi à prévenir les situations de suicide pour ceux qui subissent le "choc carcéral".
"Ce qui est important c'est ce que ces personnes étaient il y a 6 mois et ce qu'elles seront dans 6 mois" assure Yann Carcreff. Chacun retrouvera, un jour ou l'autre, à l'extérieur. "Il ne s'agit pas de les rendre meilleurs moralement, mais de leur donner les clés pour vivre en société".
On appuie là où ça fait du bien, pour faire ressortir leurs qualités, parce qu'ils en ont.
Isabelle Mathioux, responsable du centre Mathioux
Une activité parmi d'autres, qui permet de sortir de cellule et combattre l'oisiveté, à laquelle les détenus peuvent être parfois confrontés. Le tout pour "resociabiliser et démarginaliser", souligne Yann Carcreff.
À Châteauroux, Isabelle intervient depuis le mois de février 2023, pour ce programme de gestion des émotions.
Face aux résultats observés depuis plusieurs années, les équipes du SPIP de l'Indre réfléchissent à mettre en place davantage de séances, pour permettre à plus de détenus de profiter de cet accompagnement.
*Les prénoms des détenus ont été modifiés.