"Mon premier travail, c'était en prison" : à la maison d'arrêt, un job dating pour préparer la réinsertion

Pendant une semaine, neuf jeunes détenus de la maison d'arrêt de Tours ont pu refaire leur CV, apprendre à se présenter, et défendre leur profil. Le but : faire face à plusieurs entreprises au cours d'un job dating, vendredi 15 septembre.

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"Je ne suis plus du tout dans le même état d'esprit que lundi." L'air songeur, David essaie de se replonger quelques jours plus tôt : "quand je suis arrivé, j'étais perplexe, je ne savais pas si j'allais m'investir ou être passif."

Sortir de sa zone de confort

Le jeune homme de 24 ans fait partie des neuf détenus de la maison d'arrêt de Tours qui ont participé à une semaine d'ateliers autour de l'emploi. Vendredi 15 septembre, ils ont fait face à plusieurs recruteurs pendant un job dating.

Pour David, c'est une sorte de révélation : "Avant je comprenais ce que j'avais envie de comprendre. Là je suis sorti de ma zone de confort." Zélim, lui, est même "choqué" de lui-même.

Après cinq jours d'ateliers, Sabine Léonard, cheffe de détention, constate l'investissement de tous, "ils ont plus d'aplomb, ils participent, ils ont réussi à être soutenants avec les autres, sans se juger". 

Première confrontation à un entretien d'embauche

"Pour la plupart, c'est la première fois qu'ils passent un entretien" explique Sabine Léonard. Lorsqu'elle est allée les chercher en cellule au petit matin, "ils étaient très stressés".

Quelques sueurs froides qu'ils ont appris à gérer pendant la semaine, notamment pendant des exercices de yoga, de respiration ou encore de méditation. "Je le referai chez moi" affirme Sofiane, 24 ans. Il n'était pourtant a priori pas très convaincu par ce genre de discipline.

Je le certifie, respirer avec la cage thoracique, ça fonctionne.

Sofiane, 24 ans, détenu à la maison d'arrêt de Tours

"Le stress ça peut nous paralyser, et nous faire paraître comme une merde". C'est d'ailleurs ce qu'a remarqué Emilie Desmarchelier, chargée de projet justice pour la mission locale. "En arrivant, ils avaient tendance à s'auto-sabrer, en disant qu'ils n'ont pas de diplôme."

Avant, je me serai présenté à vous comme un détenu, maintenant, je suis un chercheur d'emploi.

David, 25 ans, détenu à la maison d'arrêt de Tours

Ce job dating, c'est avant tout un moyen de transmettre à ces jeunes, qui ont entre 18 et 25 ans, quelques bases. La ponctualité, la posture, la tenue correcte, autant de choses qui n'étaient pas forcément naturelles.

Retrouver un rythme de vie compatible avec un emploi

"Beaucoup d'entre eux ont beaucoup de mal à se lever le matin" détaille Sabine Léonard. En détention, toute notion de rythme s'efface. Le jour et la nuit se ressemblent, et l'oisiveté peut rapidement prendre le pas, pour ces adultes encore en construction.

Pour David, la conclusion est plutôt simple : "Si je me lève à huit heures, que j'enfile un jean et que je vais à un entretien ici, pourquoi pas le faire dehors ? " Lui qui a, d'habitude, le plus grand mal à émerger dès les premières heures du matin, explique son enthousiasme toute la semaine : "c'est comme quand on est petit et qu'il y a une sortie scolaire le matin".

Un entretien, c'est pas que mental. C'est aussi physique, il faut avoir la bonne posture, les bons vêtements. C'est tout un art.

David, 25 ans, détenu à la maison d'arrêt de Tours

Certains des participants sont en détention provisoire, d'autres purgent une peine, et ne sortiront pas forcément dans les mois à venir. Alors ces outils pourront aussi être utiles pendant d'autres types d'entretiens. Face à des juges, par exemple.

Dégager une meilleure image en toutes circonstances

"Avant je dégageais une image renfermée, négative, et c'est pas ce que je veux" explique Zélim, 22 ans. Face aux magistrats, "le stress nous paralyse". "Je me suis retrouvé dans le box" se souvient le jeune homme "j'avais préparé tout un texte, et en face, tout est tombé à l'eau". "Je n'arrive même pas à les regarder dans les yeux" ajoute David.

La mission locale de Touraine, le Service Pénitentiaire d'Insertion et de Probation (SPIP) d'Indre-et-Loire se sont associés pour cette initiative qui fête sa deuxième édition. Émilie Desmarchelier explique que les jeunes ont été sélectionnés par leur motivation, "il était important qu'ils soient aussi prêts pour ce genre de dispositif".

Se sentir "comme tout le monde"

Pour Zélim, hors de question de jouer les victimes : "on a fait des erreurs de parcours, et on les assume". À écouter les uns et les autres, ils accordent une importance particulière à se sentir "comme les autres". "Ça nous rappelle aussi que la vraie vie, elle est dehors" détaille David. 

Si les contrats d'embauche ne sont pas forcément signés pendant ces entretiens, il s'agit surtout de commencer à se créer un réseau, et des contacts à solliciter à l'extérieur. 

Mon premier travail, c'était en prison.

Sofiane, 25 ans détenu à la maison d'arrêt de Tours

Benjamin Boutineau, manager pour l'agence d'intérim Adworks, est plutôt convaincu par les profils qu'il a vu défiler : "Une fois en semi-liberté ou sous bracelet électronique, quatre des cinq que j'ai rencontré pour l'instant ont un emploi s'ils me contactent."

Faire ses preuves dans le monde professionnel

Enthousiaste, il n'en est pas moins lucide, et souhaite qu'aux belles paroles succèdent les actes "le principe est de commencer par des contrats courts, si tout se passe bien, on peut ensuite miser sur des CDD plus longs ou des embauches".

Comme lui, Christine Martin-Boyer est convaincue que ces jeunes peuvent saisir leur chance. Elle est DRH pour le groupe Rouillaud, entreprise spécialisée dans le bâtiment : "mais je suis transparente avec eux, il va falloir se lever parfois très tôt, aller sur des chantiers, et toucher un SMIC à la fin du mois". A l'ambition, se heurte aussi la réalité, pour la plupart, les jeunes détenus n'ont pas beaucoup de diplômes.

Ce qui n'empêche pas de faire naître des idées. David a passé son CAP cuisine, sur le plan théorique pendant ses mois de détention provisoire. À sa sortie, il espère pouvoir poursuivre la pratique. D'autres affirment déjà qu'ils se lanceront dans des formations. Ce "déclic" comme il l'appelle, c'est ce qui lui permettra de ne plus remettre un pied en détention "pendant ma première incarcération, je ne faisais rien". 

Voir au-delà des murs de la prison

"Là où je suis satisfaite, c'est qu'ils se sont sincèrement investis, pour eux, et pas seulement pour sortir de leur cellule" remarque Sabine Léonard.

Des entretiens individuels seront poursuivis par Emilie Desmarchelier, au nom de la mission locale de Touraine, mais aussi avec les conseillers pénitentiaires. Sur la première session, trois jeunes ont désormais un emploi ou une alternance sur les huit qui avaient suivi la semaine. Trois n'ont pas investi leur suivi, et un est encore en détention.

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