Procès de Châteauroux : Entre témoignages des victimes et justifications des prévenus, les cinq temps forts de la semaine

Maltraitances, agressions sexuelles, violences, insultes, humiliations, travaux forcés… Cette semaine à Châteauroux, 19 personnes étaient jugées pour avoir accueilli illégalement des enfants placés par l'Aide sociale à l'enfance du Nord. 7 ans de prison ont été requis contre les deux principaux prévenus et du sursis pour les familles d'accueil. Le jugement a été mis en délibéré au 18 décembre 2024. Retour sur cinq jours de procès hors normes.

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Le "procès de Châteauroux" s’est ouvert ce lundi 14 octobre 2024. Dix-neuf personnes comparaissent durant cinq jours devant le tribunal. Elles sont accusées d’avoir joué le rôle de familles d’accueil, sans aucun agrément, et d’avoir maltraité des enfants placés par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) du Nord.

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Ces "familles d'accueil" se trouvaient dans l'Indre, la Creuse et la Haute-Vienne. De 2010 à 2017, une soixantaine d'enfants a été placée par l'ASE du Nord auprès de deux habitants de l'Indre. Ces derniers accueillaient dans un premier temps les mineurs, avant de les répartir chez des proches – des membres de leur famille et des amis.

 Colette M. affirme que les enfants mentent et n’en démord pas

Colette M., 72 ans, fait partie des prévenus – tout comme son mari et son fils. Ce lundi, ses déclarations n’ont pas manqué de choquer les parties civiles. Me Myriam Guedj Benayoun, l’une des avocates, se disait ainsi "dépitée du manque d’empathie et de bravoure" affichée à l’issue de son témoignage.

Après un parcours d’éducatrice puis de famille d’accueil, l’agrément de Colette M. lui est retiré en 2009, suite à la condamnation de son mari pour agression sexuelle sur mineure  – il a depuis été relaxé en appel.

Je n’ai jamais vu de violences à la maison, ni de mon mari, ni de mon fils quand il était chez moi.

Colette M.

prévenue

Cette femme est ainsi accusée d’avoir accueilli des jeunes placés par l’ASE du Nord chez elle dans la Creuse, sans agrément et ce pendant plusieurs années. Elle est également jugée pour des faits de travail dissimulé et de fraude fiscale. Au total, elle a reçu 230 000 euros de l’ASE ; une somme qui n’a pas été déclarée au fisc.

Devant le tribunal de Châteauroux, elle réfute les accusations de violences, d’humiliation, de travail forcé à l’encontre de son fils ; tout comme les accusations de violences à l’encontre de son mari. "Je n’ai jamais vu de violences à la maison, ni de mon mari, ni de mon fils quand il était chez moi", a affirmé Colette M. à la barre.

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Aux questions du tribunal qui soulignent les maltraitances rapportées par les plaignants, elle répond : "C’est ce qu’ils disent !". Elle parle de remontage de bretelles et d’une "petite tape sur la tête pour certains". Elle va jusqu’à renvoyer la faute sur les jeunes accueillis : "Ils couchaient dans la rue, ils faisaient du trafic de drogues, ils étaient complètement déstructurés." Pour Colette M., "quand on est adopté, on fait des efforts !" À la barre, la dame affirme ne plus avoir d’empathie pour les adolescents.

En tout, une vingtaine de jeunes ont parlé de violences au sein de cette famille. Antoine M., le mari de Colette, dément ces accusations. Leur fils, Julien M., a quant à lui reconnu une partie des faits.

 Julien M., la tête du réseau, s’explique pendant cinq heures 

Il serait à la tête du réseau : Julien M. est accusé d’avoir fait le lien entre l’ASE du Nord et les familles d’accueil sans agrément.

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Des coups de poing, de pied, des strangulations "jusqu’à quasi-suffocation", des menaces avec un couteau, des jeunes qui affirment se faire “massacrer” et des témoins qui parlent d’un "souffre-douleur"... Malgré la quantité de témoignages à son encontre, ce mardi devant le tribunal de Châteauroux, Julien M. minimise les violences, voire les nie complètement.

Si je lui ai uriné dessus, je ne m’en souviens pas. Je m’excuse. C’est inhumain.

Julien M.

prévenu, à la tête du réseau

Lui, parle de "recadrages", de "gifles", de "claques", de "tapes sur la tête". Julien M. reconnaît seulement un seul événement, tout en assurant n’en avoir aucun souvenir. Il s’agit d’un épisode, rapporté par Matthias, l’un des mineurs victimes. Pour France 3, le jeune homme de 22 ans était revenu récemment sur les faits de maltraitances et de violences qu’il avait subies. Il racontait ainsi une soirée durant laquelle Julien M., ivre, l’aurait saisi par la gorge et lui aurait uriné dessus.

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Devant le tribunal, alors que le récit de la soirée est détaillé, Matthias sanglote au premier banc des parties civiles. "J’étais ivre. Je n’ai aucun souvenir de cette soirée", assure Julien M.. "C’est un peu facile, ça", estime Me Jean Sannier, avocat de la partie civile. Le prévenu admet finalement : "Si je lui ai uriné dessus, je ne m’en souviens pas. Je m’excuse. C’est inhumain."

 Bruno C., "coordinateur général" du réseau, se justifie concernant son comportement de pervers

Bruno C., 61 ans, est le seul prévenu à être actuellement incarcéré. L’homme a été condamné à 20 ans de réclusion criminelle pour viols sur sa fille et a déjà été condamné pour agression sexuelle sur une autre de ses filles.

Il comparaît ce mercredi pour des faits de faux et usages de faux, travail dissimulé en bande organisée, hébergement indigne, administration de substances nuisibles et violences. Comme les autres prévenus, Bruno C. se dédouane en partie : "Je n’étais pas dans la magouille", affirme-t-il.

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Pourtant, l’homme accueille bien des enfants de l’ASE chez lui – une caravane sans eau ni sanitaire, jugée impropre par les services de l'Indre. Le sexagénaire reconnaît une partie des faits qui lui sont reprochés, notamment des scènes de violences. Il n’a de cesse, cependant, de faire peser la responsabilité de ses actes sur Julien M. : "Si Julien dit que c'est bon, je le faisais sur autorité. On me demandait de le faire..."

À travers de longues explications alambiquées, Bruno C. reconnaît ainsi avoir poussé la jeune Maëva. Concernant les accusations d'agressions sexuelles des jeunes filles qui ont habité chez lui, il affirme ne pas être "plus libertin qu'un autre." Plusieurs d’entre elles l'accusent de leur avoir interdit de porter des sous-vêtements et de leur avoir touché les parties génitales "chaque jour" pour vérifier. Il affirme : "Je préconisais qu'elles n'arrivent pas avec du linge sale. Et si elles n'en avaient pas de propre, je demandais qu'elles n'en mettent pas."

Je préconisais qu'elles n'arrivent pas avec du linge sale. Et si elles n'en avaient pas de propre, je demandais qu'elles n'en mettent pas.

Bruno C.

prévenu, "coordinateur général" du réseau aux côtés de Julien M.

D’autres l’accusent de les avoir obligées à porter des minijupes et des décolletés plongeants. "Elles mentent", estime-t-il. "Non, non, je demandais juste une tenue correcte. Et certaines ne correspondaient pas du tout à mes critères."

Des déclarations qui n’auront pas manqué de dégoûter les personnes présentes dans la salle d’audience. Même son avocat, Me Alban Briziou, a dû essayer à plusieurs reprises de recadrer son client. "Ça n'a pas été bénéfique du tout", déplore-t-il.

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Les victimes livrent leurs témoignages poignants

Après les déclarations des accusés, le tribunal de Châteauroux a donné la parole aux victimes. Les tout jeunes adultes ont témoigné des sévices qu’ils ont subi durant leur enfance. Tous sont passés au sein du réseau de familles d'accueil sans agrément mis en place par Julien M. et Bruno C. entre 2016 et 2017.

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Bien sûr, Matthias raconte son histoire. C’est grâce à cet adolescent, alors âgé de 15 ans, que l’affaire a éclaté. Il parle de cet épisode durant lequel Julien M. lui aurait uriné dessus : "J'étais paralysé. J'étais vide, le néant. Je ne ressentais plus aucune émotion." Il revient également sur son traumatisme crânien.

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D’autres – Maëva, Angelina, Damien, Marius, Vincent – se succèdent à la barre. L’ampleur des violences décrites est insupportable.

Des coups de poing (...) pas dans la tête, mais dans le corps, là où ça ne se voit pas.

Vincent

victime de violences

Vincent détaille les étranglements, les gifles, les insultes, les moqueries et le rabaissement qu’il subit auprès de Julien M. et de ses parents Antoine et Colette. 

Marius parle des coups et des insultes racistes. 

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Maëva décrit les conditions déplorables dans lesquelles elle loge chez Bruno C., sans eau ni électricité, la "grosse gifle" qu’il lui assène et la blesse.  

Angelina rapporte les agressions sexuelles répétées et les insultes qu’elle subit de la part de ce même homme. Elle se souvient aussi, avoir été témoin d’un viol de Bruno C. sur sa fille, “attachée”, ou encore de l’avoir vu frapper un autre enfant.

Ils nous interdisaient de mettre des sous-vêtements. Il me touchait les parties intimes pour vérifier.

Angelina

victime d'agressions sexuelles

Damien relate les gifles et coups Julien M., les coups de cravache de Bruno C., les intimidations, les humiliations, la prise de médicaments neuroleptiques "avec du whisky" pour calmer son hyperactivité.

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Tous les jeunes témoignent également des séquelles de ces violences sur leur vie : ils sont tombés dans la drogue, l’anorexie ou la prostitution ; plusieurs ont fait des tentatives de suicide ; d’autres parlent de trous de mémoire, de scarification, de problèmes psychologiques divers.

Victimes et avocats pointent du doigt l'absence de l'ASE du Nord

Le procès laisse un goût d’inachevé pour les parties civiles et leurs avocats. Car tous remarquent une grande absente : l’Aide Sociale à l’Enfance du Nord, qui a placé les enfants sans vérifier les agréments des familles d’accueil. "Ce n'est pas qu'un dysfonctionnement institutionnel, c'est l'effondrement d'un système", affirme ainsi Me Christel Jousse. “Notre société tout entière est jugée lorsque les droits fondamentaux, la dignité d’un enfant est bafouée", estime quant à lui Me Sannier, qui a chargé le président du conseil général du Nord de l'époque des faits.

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Les victimes se disent en colère contre l'ASE. "S'ils avaient fait leur travail, Julien n'aurait pas pu mettre en place son réseau." Matthias souhaite que ce procès "puisse changer les choses pour les jeunes aujourd’hui et à l’avenir". "C’est aussi pour ça que je me suis battu", affirme le jeune homme.

En quittant la barre, chaque jeune laisse derrière lui une fleur, représentant une anémone, fleur de l'abandon "de la justice et de l'ASE". "On la laisse à la barre pour dire que ce parcours est derrière nous."

Avec Thomas Hermans, journaliste qui a assisté aux cinq jours de procès

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