Troisième journée d'audience au procès de l'enfance placée à Châteauroux dans l'Indre. Un ancien éducateur spécialisé du Nord a été entendu ce mercredi 16 octobre. Un témoignage "touchant" selon une avocate des victimes.
Chemise bleue, calme, Guillaume se présente comme témoin à la barre de la salle d'audience du tribunal de Châteauroux. L'ancien éducateur spécialisé de l'aide sociale à l'enfance du Nord ne laisse que peu de place à l'émotion. Quand il parle, il se veut précis. S'il doute, il le dit.
En 2017, Guillaume prend en charge Mathias, l'un des plaignants dans ce procès pour maltraitance d'enfants placés. L'ancien éducateur raconte le jour où il dépose l'adolescent dans l'Indre. Au sujet de Julien Martinez, l'un des principaux prévenus, il décrit "un homme qui accepte de recueillir des jeunes sans solution". Guillaume n'a pas de soupçons : "Pour moi, à l'époque, je peux, je dois travailler avec Julien Martinez. Il était comme n'importe quel autre partenaire".
"J'ai l'impression d'être terni, trompé"
Surtout, l'ancien éducateur a "le feu vert" du Département du Nord. Jamais il n'imagine que cette famille n'a pas d'agrément : "Je n'avais pas vérifié si le feu était bien réglé". Mathias et les autres jeunes plaignants vivront un calvaire. Coups, insultes, travaux forcés, humiliations. Ce n'est qu'après l'hospitalisation de Mathias en 2017 que son placement prendra fin.
Alors que Guillaume parle, Mathias pleure. Le jeune homme sort un instant de la salle avant de revenir. Les deux hommes n'ont jamais évoqué l'affaire ensemble. À la barre, Guillaume explique les turn-overs à l'aide sociale à l'enfance du Nord. "J'ai l'impression d'avoir été terni, trompé, d'avoir mal fait mon travail et je m'en veux".
Il nous a dit qu'il croyait Mathias et ça c'est très important. Très important pour nous, pour Mathias et pour sa reconstruction. Il a avoué que le système a merdé.
Maître Myriam Guedj-Benayoun, avocate de l'association Innocence en danger
Au palais de justice de Châteauroux, le témoignage de cet ancien éducateur est très précieux. Sans doute un tournant dans ce procès. Un témoignage "très touchant" pour l'avocate de l'association Innocence en danger. "Il nous a dit qu'il croyait Mathias et ça c'est très important. Très important pour nous, pour Mathias et pour sa reconstruction. Il a avoué que le système a merdé".
Pas un éducateur "qui n'a pas craqué dans cette affaire"
Pas question pour Maître Myriam Guej-Benayoun d'en faire le bouc émissaire de cette affaire. Devant les caméras, elle défend même les éducateurs et autres travailleurs sociaux impliqués : "Ils font ce qu'ils peuvent. (…) Est-ce qu'on ne repose pas tout le système sur ces gens-là ? Je pense que la réponse est oui. Et on est en train de les broyer. Combien d'éducateurs font des burn-outs ? Il n'y en a pas un seul qui a tenu le coup dans ce dossier". Guillaume, lui-même, a démissionné après deux burn-outs.
Le récit d'un échec collectif dans un procès où le Département du Nord n'a pas été appelé à témoigner. Sa responsabilité est pourtant questionnée en permanence dans ce procès. "L'ASE du Nord, c'est tout sauf la protection de l'enfance", déplore Jean Sannier, avocat des parties civiles. "L'ASE du Nord est totalement défaillante. Le Président du Conseil départemental aurait dû avoir le courage de venir à cette audience. Courage qui encore une fois n'est pas démontré".
Pour Maître Guedj-Benayoun, c'est un choix du Parquet pour qui "l'ASE doit être emmenée devant un tribunal administratif et non un tribunal correctionnel. Selon eux, il n'y a pas de fautes pénales". Et d'insister : "Selon eux".
"Je m'excuse, je suis désolé d'avoir été un salaud"
Dans l'après-midi de ce troisième jour d'audience, la tension est montée quand Bruno Cloud est venu à la barre. Il parle fort, beaucoup, se fait souvent reprendre par le juge. Mais Bruno Cloud veut dire la "vérité". Devant les juges, il reconnaît l'intégralité des faits qui lui sont reprochés. Mathias lance timidement un "merci" dans la salle d'audience.
"Je m'excuse, je suis désolé d'avoir été un salaud", lance Bruno Cloud à Maëva, une autre jeune victime. Elle avait été giflée par Bruno Cloud et était tombée au sol face à la violence du coup. "Il assume, il avoue mais avec le sourire", nous dira-t-elle la voix tremblante après l'audience. "Ça me détruit, ça me fait mal. Je n'oublierai pas. Je sens toujours ce vide". Le jeune Damien, qui avait été frappé à coups de cravache, se sent au contraire soulagé : "Ça change des choses. Il n'a pas remis ma parole en doute. On a été écouté. Ça fait du bien".
Le quatrième jour de procès sera dédié à l'audition des enfants et des familles d'accueil sur le banc des prévenus.