Témoignage. “Je me suis réveillé à l’hôpital” : Mathias raconte les sévices qu’il a subis en famille d'accueil

Une soixantaine d'enfants du Nord placés et maltraités dans des familles d'accueil entre 2010 et 2017 : le procès débute ce lundi 14 octobre 2024 à Châteauroux. Mathias, victime désormais âgée de 22 ans, raconte les maltraitances qu'il a subies. C'est grâce à son témoignage que l'affaire a pu éclater.

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Mathias est né à Maubeuge. Âgé aujourd'hui de 22 ans, il est l'un des enfants placés par l'ASE du Nord, victime de maltraitances dans sa famille d'accueil. Comme lui, des dizaines d'enfants du département ont été placées dans des familles d'accueil sans agrément dans l'Indre, la Haute-Vienne et la Creuse. Ils ont subi des violences entre 2010 et 2017.

Mathias a fait deux séjours de quelques mois dans une famille de la Creuse, en 2016 et 2017. Là-bas, il a été contraint à des travaux forcés et a subi des violences physiques. Au point, un jour, de se retrouver dans le coma, hospitalisé à l'hôpital de Limoges.

C'est par lui que l'affaire éclate, lorsque les soignants s'aperçoivent qu'il est terrifié par sa famille d'accueil. Dès lundi 14 octobre, au tribunal de Châteauroux, il sera sur le banc des parties civiles – face aux 19 prévenus dans cette affaire. Il raconte son histoire.

Strangulation et urine

“Les faits remontent à 2017, j’avais 14-15 ans. J’ai fait deux séjours de trois ou quatre mois là-bas. Il y avait d’autres enfants, on était tous répartis dans des familles diverses. Mais on passait tous chez Bruno, l’adjoint du patron de l’association. Et après on était répartis dans une dizaine de familles. Moi, j’étais dans une famille d’accueil où on était deux enfants."

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"Le premier jour où je suis arrivé, dans la soirée même, ils ont ouvert une bouteille d’alcool, pour fêter je sais pas quoi, X années d’amitié apparemment. Et pendant la soirée, je me suis retrouvé dans un coin, avec eux deux en face de moi, le patron et l’adjoint. Ils me faisaient culpabiliser vis-à-vis de mon comportement avec ma mère et ils me rabaissaient."

"Après, le patron a mis ses doigts sous ma gorge. Mes talons étaient surélevés du sol. J’avais vraiment des difficultés à respirer, c’était très très très compliqué. Après il a baissé mon pantalon. Je l’ai remonté. On ne voyait pas mes parties génitales heureusement. Après c’est lui qui a baissé son pantalon et qui m’a uriné dessus."

Il a mis ses doigts sous ma gorge. Mes talons étaient surélevés du sol. J’avais vraiment des difficultés à respirer, c’était très très très compliqué.

Mathias, 22 ans

victime de maltraitances dans sa famille d'accueil

"Ça s’est passé assez vite. Je n’ai pas regardé, mais j’ai senti, forcément. Après c’est un peu flou, je suis choqué. Je n’avais pas mangé durant cette soirée. J’ai pu me laver. Je prends ma douche. Après je suis obligé de redescendre car le patron m’appelle parce qu’il s’en va. Il repart complètement ivre en voiture. C’est indécent. Après, je suis resté quelques jours chez l’adjoint. Puis je suis allé chez la famille d’accueil."

Des coups, jusqu'au traumatisme crânien

"Je suis arrivé au mois de mai 2017, jusqu’au mois de juillet où je suis parti en camp scout avant d'y retourner. Au mois de septembre, je me réveille à l’hôpital, suite à un traumatisme crânien. Qui apparemment serait dû à un accident de vélo. Mais bon, je n’y crois pas forcément."

"Le réveil est un petit peu flou. Mais je me souviens être resté une dizaine ou une quinzaine de minutes avant qu’une infirmière arrive. Et à partir de ce moment-là, j’ai dit que la personne qui était rentrée dans ma chambre, je ne voulais plus la revoir, qu’elle ne rentre plus dans ma chambre. Parce que j’avais peur d’y retourner en fait. Parce qu’inconsciemment je savais déjà ce qu’il s’était passé."

Je me réveille à l’hôpital, suite à un traumatisme crânien.

Mathias, 22 ans

victime de maltraitances dans sa famille d'accueil

"Ils ont commencé à se poser des questions et j’ai été auditionné quelques jours après. Je suis resté aux urgences deux ou trois jours et ils m’ont envoyé en pédiatrie avec d’autres jeunes. La suite, c’est qu’on me renvoie sur Lille, où mon référent social de l’ASE va venir me chercher."

"Quatre ou cinq ans plus tard, quand j’étais à la rue, j’ai eu ce flash-back de ce qu’il s’était passé à ce moment-là. Apparemment ce serait des violences physiques, où on m’aurait poussé sur un poteau métallique. Je serais tombé sur un caillou – j’ai une cicatrice. Et après on m’aurait mis des coups de pied au niveau de la tête… Gratuitement au final. Je me suis retrouvé avec un hématome interne et une perte de connaissance à longue durée. Une sorte de coma."

Des travaux forcés

"Pendant cette période, j’ai vécu des périodes de violences physiques au départ, quand je suis arrivé. Sinon c’était plutôt des violences morales, un peu subtiles, vicieuses. Le quotidien quand j’étais chez la famille d’accueil, après ce passage chez l’adjoint, c’était : je me réveillais le matin, je pouvais manger, après on ne s’occupait pas forcément de moi et pendant une heure ou deux je pouvais me balader ou faire du vélo. Le matin on devait travailler, jusqu'à midi. Et pareil pour l’après-midi."

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"On allait les aider pour la moisson, la récolte du maïs. Même une fois je me souviens avoir conduit la moissonneuse-batteuse. Des comportements un peu à risques au final… Même des fois quand ils récoltaient le maïs, ils nous laissaient tout seuls dans la voiture, sous le cagnard. C’était pas très agréable. Après sinon on devait aussi découper des stères de bois, mais vraiment beaucoup, c’était long, il y en avait beaucoup. C’était dur. C’était à peu près ça le quotidien."

On découpait des stères de bois, mais vraiment beaucoup, c’était long, il y en avait beaucoup. C’était dur.

Mathias, 22 ans

victime de maltraitances dans sa famille d'accueil

"Personnellement à ce moment-là, je n’étais pas au courant que les travaux forcés, on ne devait pas faire ça. Ce n’était pas ce qui avait été promis à mes parents. Et c’est après que j’ai appris que les travaux forcés, c’était un crime, parce que j’étais trop jeune, j’avais moins de 15 ans. À ce moment-là, je n’étais pas au courant donc c’était “normal” pour moi."

"En fait, je n’arrivais pas à parler [de ce qu'il se passait, NDLR]. J’ai été adopté, à l’âge de sept ans. Et j’avais déjà des difficultés avec mes parents avec cette communication, cette compréhension. Je ne parlais pas trop, en fait. La première fois que j’en ai parlé c’est durant l’audition et à l’infirmière, parce que j’avais peur."

Des années plus tard, les cicatrices toujours présentes

"Il n’y avait pas de place pour le suivi psychologique, ce qui m’aurait bien aidé je pense, à ne pas tomber dans la drogue après. Et aussi, pas de place pour l’école. Ça m’aurait permis de ne pas avoir ce décrochage scolaire juste après le brevet. En 3ème, je suis allé en cours trois ou quatre mois. À mes 15 ans, j’étais inscrit en seconde, je n’y allais pas du tout."

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"Je ne pense pas qu’on oublie la douleur qu’on a vécue. On sait qu’elle est là et elle est un peu mise de côté… Si l’émotion est trop importante, le cerveau met ça dans un coin. Le sentiment aujourd'hui, c’est beaucoup de colère, de frustration et d’incompréhension. Ma colère est plutôt basée sur cette incompréhension : je me dis, “pourquoi ?” "

J'ai besoin de parler en fait. Pour moi, pour me sentir reconnu, face à cette dignité qu’on nous a volée.

Mathias, 22 ans

victime de maltraitances dans sa famille d'accueil

"J'ai besoin de parler en fait. Pour moi, pour me sentir reconnu, face à cette dignité qu’on nous a volée. Je dis “on” parce qu'on est plusieurs évidemment. Je pense que ma plus grosse colère, c’est vis-à-vis de l’ASE. Je ne le savais pas au départ, mais c’est véridique en fait. Ce qu’ils ont fait, c'est inconcevable. Ils n’ont pas fait leur travail, ils ont un travail humanitaire, ils ont des responsabilités énormes, parce qu’on est des enfants. Les trois quarts du temps, on a déjà vécu des choses horribles. Personnellement, avant mon adoption, j’avais déjà vécu un viol, du harcèlement."

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"De ce procès, j’attends un soulagement, déjà. Que ça puisse m’aider sur mon mal-être. Ça me fera déjà du bien, de me dire que j’ai été écouté, que j’ai été compris. C’est un pas de plus dans la guérison. Après, j’attends que ça change pour les jeunes, à l’avenir. Et pour l’ASE, qu’ils ne refassent pas les mêmes erreurs. On apprend de nos erreurs et je suis bien placé pour le savoir.”

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