Ce jeudi 17 octobre, plusieurs anciennes familles d'accueil ayant officié sans agrément, en 2016 et 2017, ont tenté de se justifier à la barre du tribunal de Châteauroux. Pour beaucoup, la ligne de défense est similaire : elles ont accordé leur confiance à Julien M. et Bruno C., les instigateurs du réseau, sans prendre les précautions suffisantes.
Les déclarations se suivent, et se ressemblent. Tour à tour, des hommes et des femmes se succèdent à la barre du tribunal de Châteauroux. Mardi soir d'abord, puis ce jeudi 17 octobre, dans l'après-midi. Tous ont été des familles d'accueil dans le réseau monté, en 2016 et 2017, par Julien M. et Bruno C. entre l'Indre, la Creuse et la Haute-Vienne.
À tous, il est reproché d'avoir servi de famille d'accueil pour des enfants placés par l'Aide sociale à l'enfance (ASE) du Nord, sans aucun agrément, et de n'avoir pas déclaré leurs revenus. Dans le jargon judiciaire : travail dissimulé, et accueil de mineurs à caractère éducatif sans déclaration préalable.
À la barre, chacun aura tenté de l'affirmer : ils ont fait du mieux qu'ils ont pu avec les enfants, se sont fait berner, ont fait les mauvais choix. Interrogés par le président, certains reconnaissent leur culpabilité, d'autres la réfutent, affirmant avoir fauté par ignorance.
"On a fait confiance"
Tous décrivent un mode opératoire similaire. Ce sont souvent des connaissances plus ou moins vagues de Bruno C. qui, au détour d'une conversation informelle, leur parle de son projet commun avec Julien M. "Il m'a demandé des nouvelles de mon entreprise, ça n'allait pas fort, il m'a parlé de l'association, sachant que ma femme a fait des études dans le domaine de l'enfance, se souvient Benjamin. On se dit que ça nous donne l'occasion de faire quelque chose d'utile." Et de percevoir un petit complément de revenus.
Même approche pour beaucoup de familles, qu'elles soient a priori un minimum qualifiées, ou pas du tout. Pour Laurent et Fabienne, le critère retenu : "On est originaires du Nord." Elle se souvient que Bruno C. lui affirme avoir "une jeune à accueillir en urgence, alors on a dit pourquoi pas, on a fait confiance". Officiellement, dans chaque cas, les séjours doivent être courts. Mais certains s'éternisent. "En général, c'était deux trois semaines, mais Leslie, on l'a gardée trois mois", explique Benjamin.
Le tout sans signer le moindre papier, le moindre justificatif, la moindre déclaration.
On a demandé les papiers, ils nous ont dit : "Ne vous inquiétez pas, il y a toujours un délai avec l'ASE, mais dès qu'on les a, on te les envoie. On est une association, ils ne donnent pas les enfants à n'importe qui."
Laurent
Benjamin, de son côté, promet que "les démarches sont une des premières questions qu'on a posées à Bruno et Julien, il devait demander l'agrément". Ce qui ne sera jamais fait.
"Quand on a redemandé les papiers, Julien nous a menacés"
Tous sont rémunérés par l'association. Officiellement, il s'agit de remboursements pour les divers frais engendrés par la garde des enfants. Pour l'accueil de deux jeunes filles entre avril et juin 2017, Laurent et Fabienne ont touché environ 6 000 euros. À chaque fois, c'est le même discours : Julien M. est censé s'occuper d'obtenir l'agrément des familles, tandis que Bruno C. les dissuade de déclarer quoi que ce soit. "Des remboursements, ça ne se déclare pas, disait Bruno." L'un demande à son expert-comptable. "Il m'a dit que c'était bon, qu'il lui fallait juste la fiche."
Plusieurs familles prétendent avoir flairé l'embrouille. "Quand on a redemandé les papiers, Julien nous a menacés", lance Eva, qui commence à pleurer. "J'avais peur d'aller chercher à l'école." D'autres ne se rendent compte de rien. Comme Angélique, absente de l'audience, qui reconnaît les infractions "sans l'élément intentionnel", explique son avocat. Il la décrit comme quelqu'un de "fragile intellectuellement, sous curatelle", ayant "fait confiance".
Globalement, ce sont "des profils similaires, des familles misérables et esseulées pour beaucoup", résume Nathalie Gomot-Pinard, avocate d'une famille, à la sortie de l'audience. "Ils ont fait confiance." Tous utilisent cette ligne de défense. "Ils avaient un numéro de Siret", explique Fabienne.
Un retournement de situation en pleine audience
Qu'elles le reconnaissent ou non, la plupart des familles ne sont poursuivies que pour travail dissimulé et absence d'agrément. Mais la justice reproche à certaines des conditions indignes d'hébergement, notamment au niveau de l'hygiène.
Laurent et Fabienne, eux, ont découvert pendant l'audience que l'une des anciennes enfants accueillie chez eux les accusait de l'avoir fait travailler, récurer la maison "tous les jours, de fond en comble", lance Me Jean Sannier. Il lit une déclaration de la jeune fille : "Un jour, elle m'a dit : "Fais ta valise et barre-toi", elle m'a saisi le bras très fort, elle ne m'a pas frappé."
Le vieux couple se décompose. Elle sanglote. "Vous pouvez m'accuser de ce que vous voulez, mais pas de méchanceté." "On est simples d'esprit, on a fait de mauvais choix, mais en aucun cas, on ne ferait travailler un enfant, ni lui faire du mal", complète-t-il, s'essuyant quelques larmes.
La jeune femme, présente dans la salle d'audience, sort. Puis revient quelques minutes plus tard, et fait passer un message par la voix de Me Sannier. "Elle s'excuse si sa mémoire est hasardeuse, elle s'en veut..." "Moi aussi, je t'en veux", lui lance Fabienne. "Elle est émue par votre émotion, elle s'effondre en se demandant : est-ce que je me suis trompée ?" Fabienne fond en larmes.
"J'ai honte d'avoir travaillé avec ces pourris véreux"
Coralie aussi a beaucoup pleuré à la barre, après avoir raconté comment elle est devenue famille d'accueil, notamment pour Matthias. "J'avais une mère violente, j'ai été placée à 6 ans, j'ai été agressée sexuellement en famille d'accueil... et 25 ans plus tard, les erreurs sont les mêmes, voire pires !" Elle crie en direction des principaux prévenus. "J'ai honte d'avoir travaillé avec ces pourris véreux, ces enfants ils ont été brisés. C'est ignoble ce qu'ils leur ont fait", ajoute-t-elle, en référence aux nombreuses accusations de violences pesant contre Julien M., son père Antoine et Bruno C.
Tandis que Coralie se livre à la barre, Matthias se penche, depuis le banc des parties civiles, vers Jean Sannier, lui chuchotant à l'oreille. L'avocat finit par prendre la parole. "Matthias a un message pour vous : il a trouvé chez vous de l'amour et de la bienveillance. Il est heureux d'être passé chez vous."
Après les plaidoiries des avocats des parties civiles, achevées ce jeudi, les réquisitions contre les 19 prévenus du procès sont attendues dès la reprise d'audience, ce vendredi matin.