Procès de Châteauroux : "Je veux confronter ceux qui m'ont détruite et traumatisée", les anciens enfants placés racontent leurs vies brisées

Deux femmes et trois hommes, âgés de 19 à 23 ans, sont passés à la barre du tribunal de Châteauroux, ce jeudi 17 octobre. Ils ont détaillé les violences dont ils ont été victimes ou témoins, lors de leur passage au sein du réseau de familles d'accueil sans agrément mis en place par Julien M. et Bruno C. entre 2016 et 2017.

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Depuis trois jours, presque toutes les personnes passées à la barre du tribunal correctionnel de Châteauroux ont parlé de lui, raconté son calvaire. Cette fois, ce jeudi 17 octobre, Matthias va enfin parler en son nom. Il s'avance à la barre, une fleur à la main.

Lundi, il était là dès le début du procès du réseau des familles d'accueil sans agrément mis en place par Julien M. et Bruno C. pour placer des enfants confiés par l'Aide sociale à l'enfance (ASE) du Nord. Ces trois jours ont été "très durs" pour lui. "Hier midi, mes forces m’abandonnaient. Heureusement, mes collègues, mes parents, ma sœur et ma copine me soutenaient."

"Je ne ressentais plus aucune émotion"

C'est par lui que l'enquête est déclenchée, en 2017, après un accident de vélo qui l'amène à l'hôpital. Au personnel de l'hôpital, il confie ne plus vouloir voir Julien M., la tête de pont du réseau, professionnel autoproclamé, décrit par plusieurs comme "redresseur de torts". Et accusé, notamment, de violences diverses envers plusieurs enfants.

Au tribunal ce jeudi, il ne s'étend pas sur un épisode en 2017 déjà abondamment évoqué lors des débats. Celui lors duquel, selon plusieurs témoins, Julien M. a uriné sur Matthias, alors âgé de 15 ans. "J'étais paralysé. J'étais vide, le néant. Je ne ressentais plus aucune émotion."

Quant à l'accident de vélo, qui lui a causé un traumatisme crânien, il n'avait à l'époque aucun souvenir de ce qu'il s'était passé. Il y a quelque temps, il dit avoir eu "un flash" : "J'ai visualisé le poteau, la grange, je savais où j'étais. On me pousse, je tombe, ma tête claque sur un caillou. Et des coups de pied dans la tête pendant, deux, trois minutes, voire plus." Mais qui a fait ça ? Il ne se souvient pas du visage. "J'ai une petite idée. Mais c'est ma petite idée."

"Personne ne m'a écoutée"

Toujours à la barre, Maeva lui emboîte le pas. Elle a aujourd'hui 23 ans, et a passé dix jours chez Bruno C. Dix jours qui ont suffi à la "détruire". C'est elle qui, pour la première fois, loge dans la caravane "sans eau ni électricité", près du logement du sexagénaire. "J'y ai été obligée", assure-t-elle, quand le prévenu a soutenu, lui, qu'elle s'était proposée. Avait-elle accès la nuit à la maison ? "Non, j'allais faire pipi derrière la caravane." Entourée de trois avocats de la défense, elle pleure, lit un texte pour l'aider.

Elle confirme que Bruno C. lui inflige une "grosse gifle", ce qui la fait tomber et la blesse. Elle s'enfuit, prévient les forces de l'ordre. "J’ai tout expliqué devant eux, Bruno rigolait en me faisant passer pour une folle. Ils m’ont écoutée et m’ont ramenée avec eux." Les gendarmes l'emmènent dans un foyer à Châteauroux. "C'était la fin de mon calvaire, j'ai pu dormir sur mes deux oreilles. Mais personne ne m'a écoutée."

Angelina aussi est passée par le domicile de Bruno C., et par la caravane. Elle raconte des agressions sexuelles répétées, elle qui avait alors 12 ans. "Ils nous interdisaient de mettre des sous-vêtements", explique-t-elle. "Il me touchait les parties intimes pour vérifier." L'intéressé, lors de son audition la veille, a tenté d'expliquer qu'il ne voulait pas que les enfants (seulement les filles) qui passaient chez lui portent des sous-vêtements sales. "Non ! Je ne suis pas une crasseuse ! Juste, il ne voulait pas !"

Avec d'autres jeunes filles, elle se fait "insulter de pute, de grosse", continuellement. Évènement le plus traumatisant : un soir, elle entend la fille de Bruno C. "crier". Depuis la caravane, où elle aussi a "résidé", Angelina se précipite vers la maison. L'épouse du prévenu lui ouvre. "Et là, j'ai vu [Bruno]..." Sa voix se brise. "Violer sa fille qui était attachée", termine à sa place Me Jean Sannier, à ses côtés. "Il dormait tous les jours avec elle, et personne n’a bougé, personne n’a rien fait, et lui trouvait ça normal", s'étrangle la jeune femme, en pleurs. Des faits pour lesquels Bruno C. purge, actuellement, une peine de 20 ans de réclusion criminelle.

Des neuroleptiques avec du whisky

Damien, 22 ans, parle de son côté de violences que lui auraient infligées Julien M. et Bruno C. Gifles et coups du premier, coups de cravache du deuxième. Et des intimidations, des humiliations. On lui fait prendre des médicaments neuroleptiques "avec du whisky" pour calmer son hyperactivité. "Je dormais toute la journée."

Angelina assure ne jamais avoir été frappée, mais est témoin d'un épisode violent sur un adolescent placé.

J’ai vu Julien le défoncer, l’étrangler, il n'arrivait plus à respirer. Il essayait de se débattre.

Angelina

"Mais on était petit..." Elle s'effondre en larmes. "On ne pouvait pas se débattre, c'était impossible."

Des vies détruites

Pour ces jeunes, c'est évident : leur passage chez Julien M. et Bruno C. a ruiné un morceau de leur vie. Pour Matthias, son séjour a été le début d'un engrenage, le menant à "la scarification", puis "à la rue, à la drogue, aux délits". Il en est sorti, a été soutenu par une association qui aide les jeunes à la rue. Il souffre de trous de mémoire depuis son traumatisme crânien. "Le plus dur, ce sont les relations sociales. Quand quelqu'un me parle, je ne suis pas là, je pense à autre chose. Je ne trouve plus mes mots, j'ai un mal-être qui m'étouffe." Son calvaire : réussir à "accorder [sa] confiance à quelqu'un."

Quand on nous enlève à ce point notre dignité, comment peut-on réussir à, ensuite, se respecter soi-même ? Ça m'a tué.

Matthias

Il y a quelques mois, peu après avoir commencé à travailler sur le procès, "j'ai voulu me suicider". Il a débuté un suivi psychologique. "Je me rends compte que je ne peux pas régler tout ça tout seul."

Maeva aussi a fait une tentative de suicide il y a trois ans. Après son placement chez Bruno C., son placement est levé. Elle tombe dans la prostitution. "Aujourd'hui, je suis en contrat de réinsertion, pour reprendre confiance en moi, pour arriver à parler de moi en positif." Elle dit avoir eu souvent "peur que Julien et Bruno me retrouvent".

Pour parler des conséquences de son passage chez Bruno C., Angelina sort un court texte, qu'elle lit comme elle le peut entre les larmes. Son avocate l'enlace.

Je n’ai aucune confiance en moi. Je me trouve moche, grosse et sale. Je me sens sale parce que je me souviens que, chaque jour, Bruno me touchait les parties intimes pour vérifier que je n’avais pas de sous-vêtement. Depuis, je refuse l’évolution de mon corps.

Angelina

Souffrant d'anorexie, elle "mesure tout" ce qu'elle mange. "Je n’ai aucune force, j’ai un manque de fer, j’ai tous les jours la tête qui tourne." Elle a récemment perdu un emploi "parce que je fais un malaise tous les quatre matins".

Laisser l'abandon derrière eux

Les cinq anciens enfants placés qui se sont exprimés ce jeudi matin attendent tous une part de reconnaissance, et que "justice soit faite". Damien tremble. "Ça fait sept ans que j'attends ça, qu'ils soient reconnus coupables. Je veux demander à Julien et Bruno : pourquoi ils ont fait ça ?" "Je veux pouvoir confronter les personnes qui m'ont détruite et traumatisée", indique de son côté Maeva.

Tous se disent en colère contre l'ASE. "S'ils avaient fait leur travail, Julien n'aurait pas pu mettre en place son réseau." Matthias souhaite que ce procès "puisse changer les choses pour les jeunes aujourd’hui et à l’avenir, c’est aussi pour ça que je me suis battu".

En quittant la barre, chaque jeune laisse derrière lui une fleur, représentant une anémone, fleur de l'abandon "de la justice et de l'ASE". "On le laisse à la barre pour dire que ce parcours est derrière nous."

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