VIDEO. Pollution aux PFAS : « Nous sommes peut-être à l’aube d’un scandale sanitaire important »

Émilie Rosso, 34 ans, est la journaliste qui a réalisé le magazine « Polluants éternels : un poison en héritage », diffusé le mercredi 7 juin sur France 3 Auvergne-Rhône-Alpes. Son reportage est l'aboutissement d'une enquête d'un an, qui lui a permis de mettre en évidence que certains habitants de Pierre-Bénite (Métropole de Lyon) ainsi que les salariés de la plateforme industrielle avaient bien des PFAS dans l'organisme. Interview.

Émilie Rosso, pourquoi vous êtes-vous intéressée à la pollution aux PFAS, qu’on appelle aussi perfluorés ou polluants éternels. Qu'est-ce qui vous a amenée à vous pencher sur ces molécules produites pour leurs propriétés, antiadhésives, imperméabilisantes ou résistantes à la chaleur, et qui servent dans le textile, les ustensiles de cuisine ou les cosmétiques ?

Les PFAS, on en parle depuis un an, depuis que France 2 a diffusé, dans le magazine Envoyé spécial, une enquête du journaliste Martin Boudot, qui a fait des prélèvements et qui a décelé une grande quantité de composants perfluorés dans l’air, la terre, l’eau (du Rhône) autour de Pierre-Bénite. Avec Vincent Diguat et Delphine Mollard, nous avons voulu aller plus loin et savoir si le scandale environnemental se doublait d’un scandale sanitaire : est-ce que les salariés et riverains avaient des PFAS dans le corps ? Et est-ce que les industriels connaissaient la toxicité des produits qui sortaient de leurs usines ?

Qu’est-ce qui vous a motivée à consacrer autant de temps à cette enquête ?

Il y a d’abord une motivation de citoyenne : j’habite dans le secteur et je suis maman. Je me suis interrogée sur les risques que je courais, s’il y avait une telle pollution invisible, inodore et incolore près de chez moi. Et puis, il y a les motivations professionnelles : je suis journaliste à France 3 Rhône-Alpes et notre rôle, c’est de suivre les dossiers et d’accompagner les populations sur le temps long, contrairement aux médias nationaux qui viennent en région, tirent la sonnette d'alarme et sont contraints de passer à autre chose. Enfin, mon engagement dans le métier, c’est de donner une voix à ceux qui ne peuvent pas prendre la parole. Et de participer à la prise de conscience des problèmes de notre temps.

Vous aviez le bagage scientifique pour vous attaquer à ce sujet ?

Je suis plutôt littéraire mais ça fait longtemps que je m’intéresse aux questions environnementales. Aujourd’hui, je cherche à me spécialiser dans ces sujets, ce qui m’amène à toujours essayer de comprendre et de décrypter. Pour ce magazine, j'ai analysé toutes les études scientifiques pour comprendre ce qu'étaient les PFAS et les procédés des industriels; j'ai lu tous les rapports d’inspection de la DREAL (Direction régionale de l'environnement) et des autorités publiques, tout en consultant régulièrement les meilleurs spécialistes de la chimie, en France et à l’étranger. J'ai rencontré de nombreux habitants de Pierre-Bénite, ainsi que des salariés. En fait, je me suis astreinte à une extrême rigueur : ainsi, les scientifiques que j’ai consultés, je ne les ai pas interviewés une fois seulement, ils m’ont littéralement accompagnée pendant un an. Et, à chaque étape, nous avons soumis nos éléments aux entreprises concernées : au début, Arkéma nous a ouvert les portes et donné des informations, avant d’invoquer le secret industriel ou le secret médical.

Votre travail d’investigation s’est donc heurté à des résistances ?

C'est vrai que ça a été compliqué d’obtenir des réponses, d’abord parce que les PFAS sont des polluants émergents. Ils sont encore très peu connus et pas tous réglementés. Le sujet est complexe aussi parce qu'on parle d'une grande famille de polluants : il y en a plusieurs milliers, avec des molécules de nouvelle génération et d’autres qui sont d’ancienne génération. Avec aussi, à chaque fois, des effets différents sur la santé. C’était difficile, enfin, parce que les usines sont encore en activité. Du coup, les salariés, qui craignent pour leur emploi, parlent peu. Il faut comprendre enfin que la plateforme industrielle de Pierre-Bénite est vraiment ancrée dans le paysage, elle est là depuis un siècle, donc les gens ont appris à vivre avec. Il y a une forme d’omerta, voire de déni chez certains habitants.

Vous avez poussé l'enquête jusqu'à faire analyser des prélèvements sanguins des riverains ?

On l'a fait parce que c'était une demande de la population et des associations et parce que les pouvoirs publics se refusaient à les faire. On a sollicité un laboratoire indépendant, qu'on est allé chercher en Belgique. Le but n'était pas de faire une étude scientifique : on a pris un petit échantillon de 10 personnes afin de voir si, à l'instant T, ils avaient ces polluants dans le corps. Et ils en ont bel et bien.  Leur taux de perfluorés dans le sang est 7 fois supérieur à la moyenne nationale. Et puis, une autre chose nous a motivés : si on attend que les industriels aient arrêté d'utiliser ces PFAS, ce qui est prévu pour 2024, ou que les gens aient arrêté de boire l'eau et de manger les œufs, forcément on va trouver moins de PFAS dans leur corps mais ça ne voudra pas dire qu'ils n’auront pas été exposés et qu’ils ne développeront pas plus tard des pathologies.

Qu'est-ce que vous retenez de cette année d’enquête ?

Je retiens l’aventure professionnelle. Et la satisfaction d’avoir fait avancer la connaissance sur la pollution et sur la responsabilité des industriels : nous avons établi qu'ils savaient que leurs molécules s’accumulaient dans l’environnement et dans le sang des salariés. Aux Etats-Unis, les leaders de la chimie savaient aussi, depuis les années 1960, qu’elles étaient probablement toxiques, même si on ne peut pas dire à partir de quel niveau, de quel dosage, elles déclenchent des cancers, des problèmes endocriniens ou immunitaires. Mais au moment où ils les utilisaient, ces PFAS ne faisaient l’objet d’aucune interdiction. On est peut-être à l'aube d'un scandale sanitaire important. Cela concerne Pierre-Bénite mais aussi d'autres sites de la région et d'autres sites en France. 

Enquêtes de région - Polluants éternels : un poison en héritage, présenté par Julien Le Coq, diffusé sur France 3 Auvergne-Rhône-Alpes ce mercredi 7 juin 2023.

Déjà disponible ici: https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/programmes/france-3_auvergne-rhone-alpes_enquetes-de-region-alpes

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