Auvergne-Rhône-Alpes : "on ne sait même plus comment on s’appelle", quand la nouvelle région tarde encore à convaincre

Allez, on ne va pas se raconter d’histoires ! Cette région Auvergne-Rhône-Alpes, cela fait 5 ans que l’on y vit : de Thonon-les-Bains à Aurillac, de Montélimar à Moulins. Alors, Auvergno-rhônalpins, Auralpins ? Qu’importe leur nom, les habitants d’Aura parlent...

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« Aura, oui… mais alors sans hourra ! » Le jeu de mot est facile, c’est vrai. Il aurait pu être lancé de la terrasse d’un bouchon lyonnais, sur une plage autour du lac du Bourget… Mais, non, c’est sur une terrasse du roannais que Robert l’a pour ainsi dire jeté à la cantonade ; histoire de rigoler un peu ! C’est que « l’Aurazien » est blagueur à ses heures. « Bien obligé d’avoir de l’humour quand on ne sait même plus comment on s’appelle ! » poursuit le ligérien, entre deux clins d’oeil aux copains attablés en sa compagnie. « Ah, on n’a pas la chance des bretons, des normands ou des alsaciens, nous ! De « rhônalpins », qui ne correspondait déjà à rien ; on est devenu des « chercheurs d’Aura ».


Si Aura était un mot : « Bizarre ! »

« C’est pourtant vrai qu’elle est bizarre cette nouvelle région » ! Une paire de jumelle à la main pour observer les sommets du Vercors qui font face à son habitation, Gilles Bourassel, jeune retraité des alpes depuis deux ans, ne cache pas son scepticisme face à ce qui reste pour lui "un drôle d’attelage". « C’est tout de même étrange que l’on ait récupéré l’Auvergne. Moi qui suis parisien d’origine avant de débarquer avec mes parents en haute Savoie ; puis de venir, par amour, dans le Dauphiné, je ne me suis jamais posé de question sur la région où je vivais : c’était les alpes ! Quand on me parlait de Rhône-Alpes, c’était déjà une notion assez floue pour moi…Alors quand on m’a dit il y a 5 ans : à présent tu vis en Auvergne-Rhône Alpes ; ça a été le choc ! Les volcans d’Auvergne, c’est superbe. Mais comment m’identifier à des voisins qui habitent à 4 heures de route, qui voient des volcans en sommeil à la place du Vercors ou de la Chartreuse. En plein centre de la France, alors que les alpes sont proches des frontières : ouvertes sur l’Europe ! »

Attiré par la Suisse lorsqu’il résidait en haute Savoie ; aimanté désormais par l’Italie depuis qu’il a épousé une dauphinoise d’origine sicilienne, Gilles n’est certainement pas le seul « alpin » à éprouver un certain malaise face à la construction de la « super région » de 8 millions d’habitants portée sur les fonts baptismaux il y a 5 ans.


Si Aura était un humain : un métis, au sang (drôlement) mêlé !

« Pour moi, c’est une association qui devrait tomber sous le sens ». Mathias Bernard, président de l’Université Clermont-Auvergne, a vécu à Lyon jusqu’à l’âge de 25 ans avant sa grande migration vers l’Auvergne en 1996. « Mais voilà, l’Auvergne, on sait ce que c’est ; Rhône-Alpes.. ? », précise l’universitaire, avant d’ajouter après un grand blanc : « c’est une construction hétérogène entre lyonnais, Savoie, Dauphiné, midi moins le quart drômois…bref différentes identités»

« Si l’on ne parlait qu’en termes économiques, vu l’extrême déséquilibre (1,3 millions habitants en Auvergne ; 6,2 millions en Rhône-Alpes) entre les deux ex-régions, on pourrait dire qu’Auvergne-Rhône-Alpes n’est ni plus, ni moins qu’une fusion absorption. C’était d’ailleurs, la grande crainte des auvergnats : que Lyon, plutôt que l’ensemble Rhône-Alpes, mette la main sur l’Auvergne ».

« En fait, on peut dire que globalement, cela ne s’est pas trop mal passé. Avec des épisodes douloureux quand même : des symboles forts comme le nouvel hôtel de Région de Clermont, à peine construit et déjà déserté par ses élus ; des élus envoyés par navette dans la nouvelle capitale régionale. Idem pour de nombreux services de l’Etat…Je suis bien placé pour savoir que les arbitrages de nombreux dossiers universitaires d’importance relèvent désormais de Lyon, plus de Clermont. »

Le multi « sang-mêlé » Aura aurait donc un problème de centre de gravité. D’où une certaine difficulté à faire emprunter à tous les aspects de sa personnalité, le même chemin.


Si Aura était un symbole : une anti-étoile ? (corps céleste hypothétique composé d'antimatière)

« En fait les gens ne s’y retrouvent pas », explique Claude Devès, professeur émérite des universités, spécialiste de droit public. « L’Auvergne, c’est une région de culture occitane, avec en son centre une capitale de 280 000 milles habitants dont les liaisons avec l’extérieur sont catastrophiques. Et celles avec Lyon n’échappent pas à la règle. Et pourtant, c’est avec elle et sa région (de langue et tradition franco-provençale) que l’on doit s’entendre pour former une nouvelle entité », s’étonne l’universitaire auvergnat.

« C’est typique d’une réforme qui manque de fond, en faisant fi des identités locales », conclut-il.

« On a beaucoup craint pour la place de Clermont dans la nouvelle maxi-région, poursuit son collègue Mathias Bernard. En fait, la capitale de l’ex-auvergne s’en est plutôt pas mal sortie grâce à son tout nouveau statut de métropole. Elle garde son rôle polarisant sur l’auvergne, même si elle reste la plus petite métropole de la région Aura, derrière Lyon, Grenoble et Saint Etienne… En revanche, pour les petites villes du Cantal ou de l’Allier, la fracture territoriale s’est accentuée avec l’éloignement du centre politique et administratif à Lyon ».

« Le sentiment qui reste, je crois, 5 ans après la disparition de la région Auvergne, ce n’est plus celui de la révolte, mais plutôt celui d’une immense frustration », analyse Claude Devès. « Ceux qui pensaient : nous mettre avec les riches améliorera peut-être notre situation, sont certainement très déçus ! »

Aura aurait donc des allures d'étoile mort-née en Auvergne?


Si Aura était une montagne : volcan ou aiguille du midi ?

A près de 300 kilomètres de là, pourtant, tout au bord de l’autoroute qui mène au grand cirque blanc savoyard, on croit déjà dur comme fer à la bonne étoile de la nouvelle région : une étoile… des neiges ! « C’est tellement plus simple depuis que l’on est en Auvergne-Rhône-Alpes », se félicite Jean-Marc Silva, directeur de « France Montagne », la structure qui fédère les principaux acteurs du tourisme en montagne français.

« Quand 70% de votre territoire est constitué de montagnes ; qu’elles soient faites de volcans ou d’aiguilles alpines, elles véhiculent les mêmes valeurs auprès du public. Surtout après la période de Covid que l’on vient de vivre », analyse celui qui vient de donner le top départ d’une campagne nationale de promotion pour lancer la saison d’été des massifs alpins et auvergnats. « 500 000 euros pour inviter nos touristes à aller se relaxer en toute quiétude ; pas forcément plus loin, mais surtout plus haut ».

« Et puis, la grande région a un effet d’entrainement sur les autres décideurs. Si Auvergne-Rhône-Alpes tourisme dit : « on y va » ; les autres partenaires lui emboîtent le pas tout de suite : Savoie, Isère, massif du Sancy…on gagne vraiment du temps ! »


« Ouais… », laisse tomber, pas franchement convaincu l’Isérois Jean-Michel Asselin. Quand, entre deux expéditions, trois articles ou des dizaines de récits sur la montagne, il se promène dans sa ville de Meylan, près de Grenoble et qu’il tombe sur le logo de la maxi région « Aura », l’alpiniste reste de granit. « Ce n’est pas seulement une question d’identité. C’est plutôt une union qui ne dit pas ses raisons : purement « marketteuses », politiciennes. Et c'est au final dégrader le territoire de chacun. L’Auvergne mérite de régner sur elle-même. De même que les Alpes ont besoin de se percevoir comme une « unité montagne ». Et ce n’est pas une revendication de fermeture sur soi. On est d’autant plus proche, plus attentif aux autres qu’on est ancré dans sa culture ».

Et de conclure : « Il fut jadis un slogan, « small is beautiful »…On en est loin ! »


Si Aura était un personnage : un Guignol… toujours lyonnais mais moins gai


« Tout ce qui est petit, est joli » ! Une maxime que Gérard Truchet, qui préside la Société des Amis de Lyon et de Guignol, ferait volontiers sienne, lui, l’ancien postier aux deux amours : Lyon et son plus célèbre petit habitant : Guignol.


« Cette région Aura, en fait, ça ne change pas grand-chose pour les associations comme la nôtre. La seule fois où j’ai demandé quelque chose à la région Rhône-Alpes à l’époque, on m’a dit d’aller voir ailleurs, alors vous savez… ! Non, moi ce que je n’accepte pas, c’est que l’on ait mis l’Auvergne avant Rhône-Alpes ! Auvergne-Rhône-Alpes, non mais quoi encore ? »

« La région Rhône-Alpes, elle a toujours existé. Par sa langue déjà : le franco provençal. Dans le Rhône, l’Isère, l’Ain et jusqu’en Suisse et en Italie : c’est notre langue commune. Eh oui, parce que Rhône-Alpes, c’est grandiose, Monsieur ! Alors que l’Auvergne, c’est tout petit…Je suis scandalisé par le fait qu’on les ait laissé arriver en maître et placer leur nom, avant le nôtre ! »

Auvergne-Rhône-Alpes : c’est deux fois : non…et nom, pour Gérard ! Et n’espérez pas le faire décolérer en revenant aux personnages de son théâtre de marionnettes préféré. « Nous à Lyon, on est pas virulent. Mais quand même. L’Auvergne, pour moi, c’est l’orphelin que personne ne veut, car il faut subvenir à tous les besoins qu’il n’a pas les moyens de se payer ! »


Si Aura était une raison d’être : l’Economie

Des opinions bien tranchées, des envolées passionnées… que ne renieraient pas les maîtres italiens de la « commedia dell’arte » ! D’un théâtre à l’autre… d’un voisin l’autre : mais que pensent nos partenaires européens de nos maxi-régions à la française ?


« Vous imaginez, du jour au lendemain, un gouvernement à Rome qui déciderait de donner une partie de la Lombardie ou de l’Emilie-Romagne au Piémont ? Mais ce serait la révolution ! » Annibale Fracasso di Torrepaduli connait bien la France en tant que secrétaire général de la Chambre de Commerce Italienne de Lyon. Il sait en distinguer depuis longtemps le bien, du moins bien dans son organisation politique et administrative.

« L’avantage chez vous, c’est que lorsque le gouvernement décide, la mise en application est généralement rapide et efficace. Pour une décision comme celle de faire fusionner des régions, ce que Hollande a fait en un an, il en aurait fallu au moins 10 en Italie… car il aurait été contraint de faire passer et repasser son projet devant la conférence des régions. Et les régions ont beaucoup plus d’autonomie chez nous. On l'a bien vu lors de la crise du Covid. Le confinement général est décidé à Rome. Mais dans le détails des mesures d'application, pour les écoles, les hôpitaux, la vaccination... c'est chaque président de région qui décide ».

Plus d’autonomie. Mais surtout, bien davantage de moyens financiers. Il suffit de comparer le budget annuel d’Aura, avec celui de son partenaire transalpin le plus proche pour s’apercevoir que même la seconde région française est un nain financier à l’échelle européenne. (Budget 2020 pour Auvergne-Rhône-Alpes : à peine 4 milliards d’euros, contre 18 milliards pour le Piémont). « L’autonomie financière des régions italiennes fait que les impôts prélevés sur le territoire régional partent à Rome, mais sont redistribués aux régions en fonction de leur PIB (Produit Intérieur Brut). Rome ne garde pas autant d’argent pour lui que Paris ».

« La France s’est construite historiquement sur un modèle unitaire », explique à ce propos, l’universitaire auvergnat précédemment cité, Claude Devès. « Les français sont tellement attachés au principe d’égalité que l’on voit mal un président proclamer dans une loi de décentralisation, un quelconque droit à l’autonomie sur le modèle italien ou espagnol. François Hollande s’en est d’ailleurs bien gardé en créant sa nouvelle carte à 13 régions en 2015 ».

Le résultat, c’est une région Aura qui, dans le concert européen, n’a pas les moyens de ses ambitions. « Cette grande région est une aubaine, poursuit le secrétaire général de la chambre de Commerce italienne de Lyon. Pour nous qui cherchons à mettre en relation les entreprises françaises et italiennes, elle nous ouvre des collaborations possibles non seulement avec le tissu industriel déjà très riche de Rhône-Alpes, mais en plus avec celui de l’Auvergne qui est très performant dans certains domaines : l’automobile avec Michelin, le bois… »

« Il faut comprendre que votre région, pour une entreprise italienne qui veut exporter en France, c’est un banc d’essai, sans passer par Paris. En France, tout doit passer par la capitale, mais pour un patron italien, cela signifie une prise de risque plus élevée. L’idée, c’est que : « Si ça marche en Rhône-Alpes-Auvergne, ça marchera dans le reste de la France ! »

« Un exemple : j’ai été contacté par plusieurs entrepreneurs turinois de l’aérospatiale qui voulaient collaborer avec leurs homologues d’Aura. Ils sont venus visiter vos clusters industriels, vos pôles de compétitivité qui sont très performants. Mais une fois qu’il a fallu parler finance, votre région n’avait pas d’argent pour investir et aider à développer ses activités. En tous cas, pas au niveau de ce que l'on fait couramment en Lombardie, en Catalogne espagnole ou dans le Bade-Wurtemberg allemand. Régions avec lesquelles, Aura fait alliance dans le réseau dit des "4 moteurs de l’Europe" ! » 


Le prochain, ou la prochaine président(e) d’Aura sait donc ce qu’il lui reste à faire. A défaut de carburant supplémentaire venu de Paris, il lui faudra mettre un animal sous son capot pour mériter son rang dans les « 4 moteurs de l’Europe ».

Si Aura était un animal, ce serait certainement : un tigre !

 

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