Quelques mois après la forte mobilisation du monde agricole, la colère gronde à nouveau chez les agriculteurs. Ils refusent surtout la signature d’un accord de libre-échange (Mercosur) entre l’Europe et l’Amérique du Sud. Des actions de contestation ont repris, notamment dans le Cantal.
Mercosur. Ce mot est sur les lèvres de nombreux agriculteurs et risque de mettre le feu aux poudres. Lors du G20 de Rio, au Brésil, les 18 et 19 novembre, un accord de libre-échange est en passe d’être signé entre l’Union européenne et le marché commun des pays d’Amérique du Sud. L'accord devrait permettre aux entreprises françaises et européennes d’exporter davantage de produits industriels et de services. En retour, les producteurs du Mercosur (Argentine, Brésil, Uruguay, Paraguay et Bolivie) devraient pouvoir exporter plus de produits alimentaires et agricoles vers l'Union européenne.
"Le but est de sauver notre agriculture"
Cet accord provoque la colère des agriculteurs en France. C’est le cas de Valentin Delbos, 25 ans, installé depuis 2017 à Chaussenac, dans le Cantal. Il est en GAEC avec son père et son frère, pour élever des vaches laitières et des poules pondeuses en plein air. Ce membre des Jeunes agriculteurs ne décolère pas : “On est focalisés sur la potentielle signature des accords du Mercosur. L’échéance approche. Il faut qu’on arrive à se mobiliser pour montrer qu’on est en désaccord”. Il a notamment emballé des radars automatiques pour exprimer sa colère. Valentin insiste : “On est plus déterminés que jamais. Le but est de sauver notre agriculture. On est en train de lutter pour notre avenir”. Le jeune agriculteur explique son opposition à l’accord avec les pays du Mercosur : “En refusant l’accord du Mercosur, il y a une question de souveraineté mais aussi de défense d’un modèle. Notre modèle agricole est le plus vertueux, le plus respectueux du bien-être animal et environnemental. Il faut qu’on le défende coûte que coûte”.
Des différences de normes
Valentin imagine les conséquences si cet accord était signé : “Toutes les normes qu’on nous impose ne seraient pas respectées. Tout ce qui est interdit chez nous est autorisé chez eux : les produits phytosanitaires, les hormones, les produits phytopharmaceutiques. Face à une telle agriculture, on ne pourrait pas être compétitifs, en termes de prix, de quantité. On n’arriverait pas à lutter face à une concurrence aussi déloyale”. L’éleveur est prêt à ressortir les tracteurs afin d’exprimer sa colère. Il a malgré tout espoir : “En tant que jeune, tous les espoirs nous animent. On espère pouvoir changer le système. Personne ne pourrait le faire à notre place. Ce métier nous fait vibrer : on a l’envie, la passion, la vocation de le pratiquer”.
"Cet accord n’est pas acceptable"
Mathieu Théron, président des Jeunes Agriculteurs du Cantal, syndicat majoritaire avec la FDSEA, est lui aussi mobilisé pour exprimer ses inquiétudes : “On nous avait fait des promesses au printemps. On arrive à l’automne et on n’a toujours pas de réponses à tous nos problèmes. De nombreux sujets n’ont pas trouvé d’écho, notamment à cause de la dissolution”. Il se focalise sur l’accord avec les pays du Mercosur : “Ce qui va devenir le plus problématique, c’est le Mercosur. Cet accord n’est pas acceptable. Près de 80 % des produits qui viennent d’Amérique du Sud ne répondent à aucune de nos exigences. C’est une concurrence déloyale. D’un côté, on nous demande de produire de la qualité et de l’autre, on importe des produits à bas coûts, avec des activateurs de croissance, des antibiotiques, des farines animales. On n’a plus le droit d’utiliser cela chez nous depuis bien longtemps. Si cet accord passe, il peut y avoir un risque sanitaire. On se rappelle la crise de la vache folle dans les années 90, avec les farines animales. On parle d’importer 100 000 tonnes de viande, avec de la farine animale. Cela relance le débat sur la sécurité sanitaire. Il y a aussi un risque de tromperie”. Il en appelle à Emmanuel Macron, pour qu’il utilise son droit de veto sur ce point. Pour Mathieu Théron, la question des revenus est importante : “Certes, on a des produits agricoles qui ont augmenté ces dernières années, mais on a aussi des charges qui sont élevées. Il faut qu’on ait des revenus suffisants pour attirer les jeunes, et ainsi remplacer les agriculteurs qui vont partir à la retraite. C’est le nerf de la guerre. Pour de meilleurs revenus, on a besoin de prix encore plus importants”. Il prévient : “L’hiver dernier, la mobilisation a eu une ampleur inédite. C’était pour une juste cause. Quand on vous a promis des choses et qu’elles n’arrivent pas, une part de colère s’accentue. Si on est sous peu dans la rue, cela sera à nouveau légitime”.
Le président des Jeunes agriculteurs évoque également les inquiétudes sanitaires : “Il y a la MHE (maladie hémorragique épizootique), la FCO (fièvre catarrhale ovine). Cela pèse sur nos élevages. Ce sont des contraintes sanitaires en plus et des coûts supplémentaires. La vaccination est en partie à nos frais”. Son syndicat prépare une action symbolique en fin de semaine : “On va remplacer les noms de villages par des noms de villes brésiliennes. C'est pour faire un clin d’œil au Mercosur”.
"Paysan : c'est un métier"
La Confédération paysanne, troisième force syndicale, prépare, elle aussi, un réveil des actions des agriculteurs. Stéphan Elzière, porte-parole du syndicat dans le Cantal, rappelle : “Les agriculteurs ont quitté la rue l’hiver dernier sans que rien ne soit réglé. La Confédération paysanne avait alerté que l’un des problèmes essentiels était la question des revenus. Il faudrait mettre en place des prix garantis. Le problème des revenus est central. Paysan : c’est un métier. Les agriculteurs sont pris entre le marteau et l’enclume. D'un côté, il faut être compétitif sur le marché international et d’un autre, on demande de respecter l’environnement, ce qui est très bien. Mais cette équation est impossible. La Confédération paysanne demande d’abord de régler les problèmes de revenus. On verra ensuite le sujet de la transition écologique”. Lui aussi est concentré sur les accords possibles avec les pays du Mercosur : “Cela fait 25 ans que la Confédération paysanne lutte contre ces accords de libre-échange. Cela remonte aussi au démontage du Mac Do de Millau. Ces accords tirent les revenus, les normes sociales et les normes environnementales vers le bas. Ces accords du Mercosur marquent le renoncement à notre autonomie financière, à notre souveraineté. Il faut imaginer un commerce mondial qui ne se base pas sur le libre-échange mais sur la souveraineté alimentaire de chaque pays. Si on met en permanence les paysans en compétition, on n’arrivera pas à dégager du revenu et on n’arrivera pas à mettre en place la transition écologique”.
Sur le terrain, les organisations syndicales vont multiplier les actions jusqu’au début du G20. Une façon aussi de se jauger. En effet, les élections professionnelles ont lieu en janvier prochain. Elles seront essentielles pour déterminer leur représentativité et les ressources publiques qui leur seront attribuées.