L’alpiniste cantalien Antoine Cayrol s'inquiète du réchauffement climatique et du tourisme de masse en montagne

Plus de 6 mois après le coup de feu dont il a été victime à Vic-sur-Cère, dans le Cantal, le guide de haute montagne Antoine Cayrol a renoué avec les grands espaces. Il nous livre son regard sans concession sur l’évolution du tourisme en montagne et sur le réchauffement climatique.
 

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Même s’il a gardé encore des séquelles, Antoine Cayrol se présente en forme, mercredi 26 septembre. Plus de six mois se sont écoulés depuis le drame survenu en mars dernier à Vic-sur-Cère, dans le Cantal, où il a été grièvement blessé à la tête par un coup de feu, alors qu’il se trouvait dans le jardin de la maison familiale. L’alpiniste a passé plusieurs jours dans le coma. Le voisin qui a reconnu avoir tiré est, lui, décédé en détention provisoire.

L’enquête est close. Et Antoine Cayrol ne souhaite pas revenir sur cet épisode. Il est d’ailleurs déjà reparti à l’aventure. Cet été, notamment, à bord de l’Atka, le bateau d’un ami, pour une expédition dans l’Arctique dont il vient à peine de rentrer. Le guide de haute montagne sera aussi sur les pistes de la station du Lioran cet hiver, où il est moniteur de ski. L’occasion d’évoquer l’évolution du tourisme en montagne et la question du réchauffement climatique.
 



Vous avez vu le développement de l’activité touristique en montagne aussi bien ici, que dans les Alpes. Quel regard porte-vous sur ce qui s’est passé au cours de ces 20 ou 30 dernières années ?

A. C. "On peut dire qu’il y a une forme de désaffection de l’alpinisme traditionnel qui consistait avant à grimper sur des sommets prestigieux, techniques et difficiles. En revanche, si on trouve moins de monde sur des itinéraires rocheux qui avant étaient très classiques, on trouve beaucoup de monde maintenant, et ça va en augmentant, sur des cimes emblématiques comme le sommet du Mont Blanc, le plus haut sommet des Alpes, ou le sommet du Grand Paradis dans le Val d’Aoste en Italie. Ces montagnes dont l’ascension n’est pas extrême connaissent, elles, un développement qui est assez incroyable (…) Il y a une désaffection de l’alpinisme traditionnel et il y a eu un report de ces masses de grimpeurs sur des choses plus faciles, plus prestigieuses en tout cas dans le nom, et c’est assez effarant de voir la concentration humaine qu’il y a sur le sommet du Mont Blanc par exemple".

Cela vous choque-t-il ?

A.C. "Moi, je suis guide de haute montagne, je ne vais pas être choqué du fait que ces gens-là, pour les guides aussi, représentent une manne commerciale. En revanche, c’est quand même triste de voir sur le Mont Blanc en particulier de telles concentrations humaines, c’est aussi un peu particulier en terme de sécurité, mais ce qui est surtout terrible, c’est de voir des gens qui n’ont aucune technique, qui ne connaissent presque rien à la haute montagne et qui sont là parce que le Mont Blanc, c’est le Mont Blanc et qu’ils veulent aller au sommet (…).
Qui dit concentration humaine dit tout le cortège d’incivilités qui va avec. Maintenant, on n’est pas à l’abri de se faire voler des affaires dans les refuges. On n’est pas à l’abri d’en venir presque aux mains pour une priorité refusée, quant à celui qui descend ou celui qui monte (…) On a affaire à des comportements qui n’ont pas lieu d’être où que ce soit, mais encore moins là
".

Quand on parle de développement touristique, cela implique des aménagements spéciaux en termes de logements, d’équipements. C’est aussi toute une infrastructure qui se développe en montagne. Qu’en pensez-vous ?

A.C. "Pour ce qui est d’aménager la montagne afin que ce soit plus facile d’y amener du monde, je suis assez contre. Je suis contre le fait de faciliter la venue du plus grand nombre sur des sommets, sur des arêtes, sur des parois (…) On devrait communiquer sur la difficulté des ascensions pour que les gens arrivent mieux préparés physiquement et techniquement, plutôt que de leur dire : ‘votre ascension sera facilitée par des aménagements préalables’. Je suis vraiment contre ça. Cela relève aussi d’un point de vue écologiste. Mettre des barres en ferraille pour aménager un itinéraire, c’est contre-nature pour moi".

On sent bien depuis quelques années que s’opère un réchauffement climatique. Vous revenez d’un périple en Arctique. Qu’est-ce que vous avez pu observer là-bas ?

A.C. "Je remercie déjà grandement mon meilleur ami François Bernard qui est le capitaine de l’Atka, un bateau dédié à la cause polaire et pour faire connaître les régions arctiques au plus grand nombre. C’était aussi l’occasion pour moi de revenir sur des endroits où j’ai déjà grimpé quand j’étais plus jeune, j’avais effectivement quelques éléments de comparaison par rapport à ce que j’avais pu observer il y a une bonne vingtaine d’années. Déjà sur la calotte groenlandaise qui est la plus grande masse glaciaire de l’hémisphère nord (…), elle s’écoulait dans les mers qui entourent le Groenland par des grandes langues glaciaires (…) Eh bien, ces langues glaciaires qui arrivaient dans la mer se réduisent comme peau de chagrin, elles remontent très nettement. Bien sûr, il y a toujours des icebergs dans ces coins-là, mais il est certain que les langues glaciaires du Groenland ont assez considérablement diminué (…) En Terre de Baffin, là aussi, complètement à l’ouest du Groenland, il n’y a pratiquement plus de langue glaciaire qui arrive jusqu’à la mer comme c’était le cas avant. Toutes ces langues glaciaires se sont retirées et sont remontées sur les plateaux au-dessus de la mer. On ne voit pratiquement plus de glacier."

Pour vous il y a un changement qui est indéniable ?

A.C "Il y a un changement qui est indéniable (…) Il est certain que la montagne se transforme. Elle ne revêt plus le même aspect visuellement que celui qu’elle avait quand j’ai commencé l’alpinisme, c’est-à-dire quand j’avais une petite quinzaine d’années.
Visuellement, ce qui est très impressionnant dans les Alpes, au-delà de l’expansion humaine, c’est le recul des glaciers. C’est quelque chose d’assez terrible. Le glacier, c’est un peu l’âme de la montagne. Quand on songe qu’au début du XIXe siècle, les glaciers étaient carrément dans la vallée de Chamonix, les hôteliers allaient casser la glace à coup de hache pour en avoir dans leur hôtel, eh bien là, les langues glaciaires sont remontées de presque 800 mètres de dénivelé (…) Les trois les plus spectaculaires étant la Mer de Glace, le glacier des Bossons et le glacier de Taconnaz, ces glaciers ont vraiment réduit comme peau de chagrin.

 

La montagne reste un endroit fascinant



Dans les changements moins visibles, mais qui en tous cas nous touchent, nous alpinistes, c’est les immenses chutes de pierre, les immenses effondrements rocheux qu’on voit maintenant dans les parois. Et ça, c’est lié au recul du permafrost dans la paroi. Les parois rocheuses à l’intérieur, il y a de l’eau, de la glace. Cette glace, à une certaine profondeur reste toujours solide. A aucun moment elle n’est liquéfiée dans l’année. Maintenant, avec les températures qui sont plus hautes et ces étés caniculaires, cette glace fond. Sauf qu’elle agissait comme un ciment. Et comme elle fond, ça génère d’immense chutes de pierre car le ciment n’opère plus (…) Il y a une voie entière qui constituait un monument de l’alpinisme qui s’appelait le pilier Bonatti, le pilier sud-ouest du Dru, qui est parti sous forme de pierraille dans un immense effondrement rocheux sur la Mer de Glace. Maintenant, on craint un peu d’aller grimper dans certaines zones parce qu’on imagine d’immenses chutes de pierre alors qu’on ne se posait jamais la question avant. C’est moins connu du grand public et pourtant c’est une réalité".

On vous sent pessimiste sur l’avenir de la pratique des sports en montagne…

A.C. "Ce n’est pas que je sois très pessimiste. Mais il est certain que la montagne a changé de physionomie, d’allure.... Alors les hommes s’adaptent. On fait des courses de neige – en langage d’alpiniste, la course c’est une ascension, ça ne veut pas dire qu’on fait de la course à pied – les courses qu’on faisait sur de la neige avant en été, on les fait plutôt en hiver ou au tout début de l’été, mais plus au mois d’août, c’est sûr (…) On s’adapte, on fait les choses un peu différemment mais la passion et l’amour de la montagne restent les mêmes. La montagne c’est un formidable univers, même s’il est très sec, même s’il y a moins de glace, moins de neige, ça reste un endroit fascinant et les hommes auront toujours envie de grimper dans les montagnes, en tous cas j’espère".
 
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