INTERVIEW. Jean Dujardin évoque son dernier film « Sur les chemins noirs »

Jean Dujardin était à Aurillac ce jeudi 12 janvier pour présenter en avant-première « Sur les chemins noirs ». Le film, adapté du roman du Sylvain Tesson, a été tournée en partie dans le Cantal. Il livre ses impressions de tournage.

Jeudi 12 janvier, Jean Dujardin était à Aurillac à l’occasion de la projection en avant-première du film de Denis Imbert, « Sur les chemins noirs ». Le film est une adaptation du récit du même nom de l’écrivain Sylvain Tesson. L’acteur y incarne Pierre, un auteur connu, qui décide de cheminer à pieds en suivant la diagonale du vide, après une chute accidentelle qui l’a entraîné dans un coma et lui a laissé de lourdes séquelles physiques. Jean Dujardin raconte comment il a connu le projet du réalisateur : « J’ai lu « Sur les chemins noirs » avant, en une journée. Je l’avais dévoré. Cela m’arrive rarement mais je l’avais posté sur Instagram, en disant, « Si vous voulez lire un livre un peu singulier… ». Evidemment, il y a plein de fans de Sylvain Tesson, mais ce livre, je trouvais qu’il avait quelque chose de différent des autres. Je l’ai posté et quinze jours après, Denis Imbert m’appelle en disant qu’il a acheté les droits, qu’il a adapté ce récit. Il me demande si ça m’intéresserait de le lire. J’ai dit « Oui, ça m’intéresserait ». J’avais déjà très envie de partir, de me perdre sur les chemins. Sur quel support ? Où ? Je n’en savais rien. Mais cette idée de marcher dans un film, de faire le point tout en continuant de faire mon travail, me plaisait bien. J’ai trouvé que ça s’y prêtait bien avec ce projet donc j’y suis allé ».

"J’aime bien marcher"

Bien loin de son personnage de Brice de Nice ou d’OSS 117, l’acteur pourra en déconcerter plus d’un avec ce rôle : « La comédie colle toujours un peu trop. Je n’ai aucun problème avec ça, je cohabite très bien avec mes clowns. J’ai un rapport à la marche qui est assez ancien : j’ai commencé à 13-14 ans. J’étais scout et j’ai encore mes copains scouts. On est 5-6 copains à se retrouver tous les ans et j’aime bien marcher. J’ai fait le chemin des Douaniers, la vallée des Merveilles, la Côte d’Argent. J’aime bien marcher, me perdre avec eux et avancer. De là à dire qu’on est des aventuriers…tout cela est très maîtrisé. Tesson est un véritable aventurier, voire casse-cou. Je suis un rêveur ». L’acteur oscarisé a été touché par la lecture du livre de Sylvain Toussaint, qui se met à nu dans son œuvre : « C’est son aventure la plus intime. Il a d’ailleurs été surpris de voir l’adaptation à l’écran. Peut-être qu’il n’avait pas prévu d’avoir livré autant. Je n’ai pas lu tous les récits de Sylvain mais en ayant lu « Dans les forêts de Sibérie », « Berezina » ou dernièrement « Blanc », mais je trouve que c’est sûrement son trajet le plus intime. C’est celui où il doit réparer son corps, son esprit, son âme. Au fond, c’était un projet de film. Je crois que chaque être humain peut y greffer ses propres tourments, ses maux, ses envies, ses désirs. Je trouve que c’est à chaque fois un fantasme pour un humain, de se barrer. De se barrer en plus dans un pays qui n’est pas si grand que ça et qui offre plein de régions, plein d’émotions différentes dans son « substrat », comme dit Tesson. C’est un chemin de cailloux, c’est un peu un chemin de la repentance, pour se guérir et pour essayer d’expier quelque chose ».

Un chemin intérieur

Le film est avant tout une marche solitaire introspective, selon Jean Dujardin : « J’y vois surtout un chemin intérieur. Pour moi, c’est un road-movie fixe. C’est un truc qui se passe dans son esprit. Je suppose qu’il l’a fait pour se sentir encore humain et encore bipède, pour se dire que ce corps qui ne semblait plus en être un, finalement fonctionne encore. De kilomètre en kilomètre, il avait besoin de se prouver qu’il était encore là. Il se faisait cette promesse-là. Je pense qu’au fond le chemin est beaucoup plus interne. C’est ce qui m’a plu là-dedans. L’affiche ressemble à cela d’ailleurs. On voit un petit homme qui marche car ce n’est pas tellement ça, ce n’est pas « Into the wild », on n’est pas en train de découvrir des espaces complètement fous, encore que la France nous offre la possibilité de nous émerveiller. C’est surtout un chemin très intérieur. C’est comme un pansement, comme une envie de tirer la chasse, pardon pour l’expression. « J’étais ça et il faut que je passe à autre chose ». C’est quelque chose qui véritablement m’attire, l’envie peut-être un jour de tirer la chasse et de me barrer, une fois de plus tout en étant au contact des gens. Il n’est pas question que je me fasse mal, ni de faire n’importe quoi. Me retrouver un jour à marcher huit heures,  me retrouver tout seul un soir, me réveiller tout seul et repartir : c’est effrayant et en même temps très séduisant ».

Un roman qui devient un livre

Le comédien rappelle la difficulté d’adapter à l’écran une œuvre littéraire : « Pour moi, je m’appelais Pierre et pas Sylvain. Dès lors qu’on décide de faire une adaptation, on change de support donc il n’est pas question que je fasse une espèce d’avatar de Sylvain Tesson, déjà, parce que les gens seraient forcément déçus. C’est très difficile d’adapter un récit, une œuvre, un roman parce qu’on ne sera jamais aussi bons que le fantasme ou la pensée des gens. Faut pas rêver. On a encore cette phrase un peu idiote des gens qui disent « C’est moins bien que le livre ». Je dis « Oui, parce que c’est un film en fait. Pardon mais ce n’est pas un livre et pardon je n’étais pas dans ton esprit. C’est une proposition d’un récit. Il faut que tu fasses le changement dans ton esprit. Si tu arrives en te disant que tu veux retrouver le livre, tu seras déçu. Ne viens pas voir le film. Si tu es ouvert, peut-être qu’il peut se passer quelque chose mais laisse-toi faire ». Donc ce n’est pas Sylvain Tesson, c’est Pierre. Oui, c’est un auteur. Il y a évidemment un lien entre nos histoires mais je n’ai jamais voulu jouer Sylvain Tesson. Cela aurait été indécent et stupide ».

Un jeu différent à trouver

Afin d’incarner Pierre, Jean Dujardin a dû trouver une autre façon de jouer : « En sortant d’un film comme « Novembre », qui est un événement qui est dans notre chair, qui est dans un mouvement, là je cassais ce mouvement. J’étais dans une arythmie, dans quelque chose de plus lent. On n’a pas véritablement le sentiment de jouer. Parfois, on est à 100 mètres de la caméra. J’aime bien l’idée que je peux parfois composer, comme sur les comédies, avec des personnages qui tiennent vraiment la route, qui sont facétieux, déconnants et expressifs. Là, j’éteins tout et je suis Pierre dans ses tourments, dans sa pensée. Quand je fais du feu, je fais du feu. Quand je lis, je lis. Quand j’écris, j’écris. Je ne fais pas plus que ça. On est dans une espèce de documentaire, dans quelque chose d’un peu indécent parfois. On donne beaucoup de soi en ne voulant rien faire. C’est assez étrange ». Ces chemins noirs représentent les tourments intérieurs du héros mais ce sont aussi ces petits chemins des cartes IGN : « C’est génial ce que la perspective d’une carte IGN nous offre. Je le savais, j’en connais des cartes IGN mais je ne les avais jamais regardées comme ça, comme je les ai regardées dans le film. On regarde toujours autre chose dans une carte IGN, mais pas ces petits serpents. J’espère que les gens vont attraper cela. S’ils emboitent le pas du personnage, il peut se passer des choses. Ca peut leur faire du bien. Cela correspond au désir de Sylvain de traverser cette France. Certains politiques peuvent maladroitement dire « le couloir de la misère ». Le fait est qu’il y a des régions qui ne sont pas très bien desservies. En même temps, ça les laisse dans un écrin merveilleux mais on passe six heures pour y accéder. J’ai aussi découvert ça. On découvre des gens qui vendent à la fois de la viande, des fringues et des médicaments, parce qu’il faut bien que quelqu’un le fasse. C’est le système D, à la fois sinistre et admirable ».

Cinq jours dans le Cantal

Le comédien a passé cinq jours de tournage dans le Cantal. Il avoue peu connaître ce département : « Je connaissais peu le Cantal. On passe par le Cantal mais on ne va pas dans le Cantal, sauf quand on est Auvergnat. J’ai eu l’occasion de passer par cette autoroute en diagonale. C’est merveilleux. Malheureusement, on nous emmène rarement voir le public dans le Cantal, comme on va rarement dans les Pyrénées. Il y a des villes thermales du XIXe siècle, qui sont totalement en banqueroute, oubliées, murées, magnifiques mais fantômes. J’ai eu parfois ce sentiment en me demandant comment cela se fait que ce petit pays ne fasse vivre finalement que ses grandes villes et quelques villes côtières. Un des problèmes de cette France c’est aussi cela. C’est pas desservi ».

Jean Dujardin évoque un paysage qui l’a profondément marqué : « Quand on arrive au Plomb du Cantal, on se dit qu’on ne peut pas aller en Patagonie. Il faut d’abord passer au Plomb du Cantal. Budgétairement c’est plus malin mais c’est surtout complètement fou. Il n’y a aucune antenne avant je ne sais pas combien de kilomètres. La lumière à 7 heures du matin : c’est complètement fou. J’ai découvert une région. Je voyais les sentiers à moyenne montagne et j’ai eu le sentiment que le Cantal offrait, entre 900 et 1 000 m, des espaces de balades où tout était possible. On pouvait aller à droite, à gauche. L’année prochaine, je risque de me balader dans le Cantal et m’y perdre. Je pense ne jamais m’y perdre car je taperai à n’importe quelle porte en disant que j’ai faim et soif et on me donnera un peu à manger et un peu à boire ».
Le film « Sur les chemins noirs » de Denis Imbert sortira sur grand écran le 22 mars prochain.

Propos recueillis par Laëtitia Théodore / France 3 Auvergne

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