Pendant des années, à cause d'une erreur administrative, il a cru être né sous X. Il n'en est rien. Jean-Pierre Vidal, un habitant du Cantal, avait saisi la justice pour faire reconnaître son préjudice. L’Etat a été condamné à lui verser 15 000 euros et le Département à 5 000 euros. Mais pour cet enfant de la DDASS qui n’a jamais connu sa mère, le compte n’y est pas.
C’est un homme brisé qui sera ce mercredi 6 septembre devant la Cour d’appel de Riom, près de Clermont-Ferrand. Jean-Pierre Vidal, 67 ans, a fait appel du jugement en première instance du tribunal d’Aurillac. En avril dernier, cet habitant du Cantal avait attaqué l’Etat et le Département. Privé de retrouvailles avec sa mère biologique en raison d’une erreur administrative, Jean-Pierre Vidal n’a pas accepté le jugement du tribunal d’Aurillac. L’Etat et le Département avaient été condamnés à lui verser respectivement 15 000 et 5 000 euros. Il a été victime d’une erreur de formulaire au moment de son abandon, et croyait être né sous X. Une erreur qui l’a privé de rentrer en contact avec sa mère biologique, aujourd’hui décédée. Avant son procès, Jean-Pierre Vidal est amer : « Le tribunal d’Aurillac a condamné l’Etat, le Département, l’ASE (Aide sociale à l’enfance). C’est normal. Mais le préjudice moral n’a pas été respecté et le dossier n’a pas été vraiment étudié. Tout le monde connaît mon histoire et la souffrance que j’ai vécue. Pour ne pas aller au tribunal, l’Etat nous avait proposé 20 000 euros et en rester là. Je ne me suis pas tu. Avec mon avocat, nous sommes allés en justice. Quand je vois les dégâts que j’ai eus, comment j’ai été traité, en vérité, on ne m’a rien donné. On a condamné l’Etat et le Département parce qu’il le fallait. On ne m’a rien attribué. En accord avec mon avocat, j’ai voulu faire appel. Je pense que mon dossier sera vraiment étudié en Cour d’appel ».
Un plaignant en souffrance
Le Cantalien nourrit de grandes espérances : « Le premier jugement ne m’a pas arrangé moralement. Il va y avoir deux solutions : soit mon dossier sera jugé à sa valeur, soit la Cour d’appel de Riom confirme le jugement d’Aurillac et je ne connais pas ma réaction. Ma souffrance sera très importante. Tout le monde dit que c’est une question d’argent. A la limite, j’aurais préféré que les personnes qui ont commis cette erreur soient jugées. Mais ce n’est pas possible. La personne en question est décédée. De plus, dans de tels dossiers à l’ASE, on ne condamne jamais la personne qui a fait la faute professionnelle ». Lors du procès en première instance, son avocat, Me Jacques Verdier avait demandé une indemnisation de 400 000 euros. Son client souligne : « Je ne vais pas donner un montant. Si le tribunal d’Aurillac avait fait l’effort de me donner une somme acceptable, pour reconnaître ma souffrance, je l’aurais acceptée. Il y a des personnes qui ne se mettent pas à ma place. Seuls les journalistes ont compris. J’en ai vu partir avec les larmes aux yeux ».
Je vais voir comment la Cour d’appel va reconnaître ma souffrance
Jean-Pierre Vidal, plaignant
Il poursuit : « A l’heure actuelle, il n’y a qu’un cas en France. Il n’y a pas de jurisprudence. Je n’en veux à personne, je suis encore debout. Je vis mal parfois ce combat. J’ai peur d’être à nouveau déçu. Je me demande si je suis capable de supporter une deuxième calotte. Je m’exprimerai à la sortie de la Cour d’appel et je m’arrêterai. On ne doit pas jouer avec ma souffrance. Il y a une valeur à donner à ce dossier. Il ne s’agit pas de dire que je vais toucher 300 000, 400 000 euros. Si les personnes prennent la peine de lire le dossier, d’autres auront les larmes aux yeux ». Jean-Pierre Vidal a eu 67 ce lundi 4 septembre. Il rappelle : « J’ai 67 ans depuis lundi. Un anniversaire ne veut rien dire. Je n’en ai jamais connu. J’ai à peine fait 3 ans d’école. Heureusement j’ai pu m’en sortir ». Malgré la souffrance, celui qui est aujourd’hui un commerçant reconnu à Aurillac accepte de raconter son parcours chaotique : « Je suis né le 4 septembre 1956, à Saint-Flour. J’ai été mis par ma mère biologique à l’âge de 2 ans chez une nourrice. J’y suis resté jusqu’à l’âge de 9 ans. J’ai été placé comme enfant abandonné. Ma maman ne pouvait pas m’élever financièrement. Chez cette nourrice, au début, cela ne se passait pas trop mal. Mais j’ai appris que j’étais un enfant né sous X. A partir de là, vers 7-8 ans, j’étais très perturbé et suivi par un psychiatre. J’allais mal. Ma nourrice qui était âgée n’a pu me garder. J’ai mal réagi. Malgré les préconisations du médecin, on m’a mis dans un foyer à Murat. J’avais entre 9 et 10 ans ».
Un parcours chaotique
La suite n’est guère plus heureuse : « J’ai eu un parcours très difficile. J’allais de centre en centre, de famille d’accueil en famille d’accueil. Vu mon état mental, j’ai été hospitalisé à Montpellier à l’âge de 14 ans. J’allais mieux. On m’avait même trouvé une famille pour m’adopter. Mais cela a échoué. La DDASS du Cantal a dit que j’étais un enfant protégé et que l’adoption n’était pas possible ». Depuis qu’il est enfant, Jean-Pierre a toujours voulu retrouver sa mère biologique : « J’ai toujours voulu connaître mes origines. Je n’étais qu’une pièce rapportée, sans famille. C’est une souffrance. J’ai aussi connu la violence quand j’étais chez une nourrice, dans une famille d’agriculteurs. J’ai commencé à chercher ma mère quand j’avais 10-12 ans. Je ne comprenais pas pourquoi j’étais abandonné. Dès 1985, j’ai entamé des démarches. J’ai écrit au procureur et à la DDASS du Cantal. On m’a reçu et on m’a dit que je n’aurai jamais mon dossier, que né sous X, ce n’était pas la peine de revenir. Heureusement, j’ai la preuve de cela par courrier ».
Le tournant de 2019
Tout a basculé en mars 2019 : « Une éducatrice de l’ASE, à trois mois de sa retraite, m’a reçu. Elle a fait le nécessaire pour accéder au dossier. Elle a vu qu’il y avait une grosse anomalie dans ce dossier et elle a prévenu ses supérieurs. Elle m’a convoqué, avec une équipe de psychologues, dont je n’ai pas voulu. On m’a dit, 64 ans après, qu’on avait retrouvé ma maman. J’avais les yeux qui brillaient. Deux minutes plus tard, on m’annonce qu’elle est morte d’un cancer en 1996. Ma première demande date de 1985. Même si je n’avais vu ma mère qu’une fois, cela m’aurait suffi ». Le commerçant confie : « C’est un immense gâchis. Je suis un enfant cabossé. Dans mon dossier, on parle de gardiennage. On garde les chiens mais pas les enfants de la DDASS. J’ai réussi à me marier et j’ai trouvé une femme qui m’a compris. J’ai réussi à avoir un métier. Je suis devenu commerçant. J’ai encore aujourd’hui un commerce d’outillage. Je m’arrête en décembre ». Son avocat n'a pas souhaité s'exprimer avant le procès en appel mais espère un jugement favorable. Une retraite sereine, une souffrance apaisée, c'est tout ce que demande Jean-Pierre. Tout se joue ce mercredi 6 septembre à Riom, à partir de 14 heures. Le jugement sera mis en délibéré. Jean-Pierre devra encore attendre.