« Je suis un homme brisé » : pendant 62 ans, il a cru, à tort, être né sous X

Pendant 62 ans, Jean-Pierre, un habitant du Cantal, a cru être né sous X. Il n’a jamais connu sa mère, aujourd'hui décédée. Il a décidé de saisir la justice pour obtenir réparation.

« Je suis un homme brisé » c’est par ces mots que Jean-Pierre Vidal, un commerçant résidant à Espinat, près d'Aurillac, se définit. Lui qui croyait être né sous X. Mais  en fait, il a été victime d’une erreur de formulaire au moment de son abandon. Une erreur qui l’a privé de rentrer en contact avec sa mère biologique. Désormais, il saisit la justice pour obtenir réparation du Conseil départemental du Cantal et de l’Etat. Une audience doit se tenir le lundi 7 février au tribunal judiciaire d’Aurillac. Jean-Pierre Vidal est né le le 4 septembre 1956, à Saint-Flour. Il raconte : « J’ai été placé par ma mère biologique à l’âge de 2 ans chez une nourrice à Saint-Flour. J’y suis resté à peu près jusqu’à l’âge de 8-9 ans. C’est à peu près à ce moment-là que j’ai découvert que ma nourrice n’était pas ma mère biologique. Vu que j’avais appris la vérité, mon comportement a énormément changé. J’étais devenu agressif, désagréable et je n’allais plus à l’école. La DDASS m’a enlevé de cette famille et m’a mis dans un pensionnat de Murat. Le choc a été terrible pour moi ».

"A partir de là, j’ai eu beaucoup de problèmes"

Jean-Pierre a connu un parcours difficile par la suite : « A partir de là, j’ai eu beaucoup de problèmes. J’ai connu plusieurs familles d’accueil, notamment une famille qui était violente envers moi. Je suis tombée dans une famille d’agriculteurs où les enfants placés étaient pris pour en faire des ouvriers pas chers. J’ai aussi dû être hospitalisé à 14 ans dans un établissement spécialisé à Montpellier car je déprimais beaucoup ». Le commerçant regrette d’être passé à côté d’une adoption lorsqu’il était adolescent : « Quand j’avais 14 ans, une médecin de Montpellier avait demandé à m’adopter. Je passais le week-end chez elle. Je me plaisais beaucoup chez elle et son mari. Mais l’adoption n’a pas été possible. Imaginez-vous si à 14 ans j’avais pu être adopté par une famille qui avait les moyens de m’adopter et qui voulait me donner un peu d’amour ».

En quête de la vérité

Jean-Pierre a toujours eu l’idée en tête de retrouver ses origines mais il s’est heurté à un mur : « J’ai commencé à vouloir chercher l’identité de ma mère quand j’avais 14 ans. A chaque fois on me disait que j’étais né sous X et qu’on ne pouvait me dévoiler mes origines. En 1985, j’écris au département en disant que je voulais connaître mes origines. Je me suis rendu à la DDASS du Cantal. Une éducatrice m’a dit que ce n’était pas la peine de revenir, que le dossier était protégé et que je ne connaîtrai jamais mes origines ».

Le tournant de 2019

Mais tout bascule finalement en mars 2019 : « En 2019, je fais une nouvelle tentative, poussé par ma femme. Je téléphone à l’ASE (Aide sociale à l’enfance) pour prendre rendez-vous avec une éducatrice. On me dit que mon dossier a disparu du casier aux Archives départementales mais finalement, il est retrouvé et remis à l’ASE du Cantal. On me recontacte le lendemain en me disant qu’il y a eu un gros problème dans le dossier. On me convoque en me disant qu’on pouvait me dire qui était ma mère. J’avais alors les yeux qui brillent mais on m’annonce qu’elle est morte en 1996 d’un cancer. A partir de là, on ne me dit pas grand-chose ». Jean-Pierre apprend qu’il aurait pu avoir accès aux documents sur ses origines quand il avait 18 ans. Il poursuit : « J’ai ensuite pu retrouver ma famille. Il me restait une sœur, un frère, des cousins et une tante. J’ai très peu de contacts avec eux. J’avais renoué des liens avec ma sœur mais elle est décédée l’année dernière ».

"Je ne sais pas trop ce qu’est le mot « je t’aime »"

Aujourd’hui, Jean-Pierre a le sentiment d’un immense gâchis : « J’ai été brisé dans ma jeunesse. Je suis mal dans ma peau à l’heure actuelle car j’ai toujours vécu sans famille. Je ne sais pas trop ce qu’est le mot "je t’aime". On aurait pu me dire d’où je venais et j’aurais été heureux. Mais à côté de cela, j’ai quand même fondé une famille ».

Dans l'attente du procès

Il a hâte qu’un procès puisse enfin se tenir : « J’attends que ce procès ait lieu. L’Etat a reconnu ses torts. Le département rejette la faute sur l’Etat. Ma mère avait donné toutes les consignes pour que je puisse obtenir des informations sur elle. Elle avait protégé le secret à son entourage. Je veux que chacun reconnaisse ses responsabilités. Je veux que ce procès fasse un cas de jurisprudence. Je suis contacté par des personnes qui sont dans le même cas que moi. J’attends d’être indemnisé sur cette situation ».

L'Etat qui a reconnu sa responsabilité

Lundi 7 février, une audience aura lieu au tribunal judiciaire d’Aurillac. Une demande de détermination de la responsabilité entre l’Etat et le Conseil départemental du Cantal et une demande d’indemnisation sont au cœur de cette audience. Me Jacques Verdier, avocat de Jean-Pierre Vidal, souhaite que l’Etat et le département du Cantal reconnaissent leur faute : «  C’est déjà le cas pour l’Etat puisque le préfet a écrit un courrier dans lequel sa responsabilité est reconnue. La chose est beaucoup moins nette en ce qui concerne le Conseil départemental. Il y a une continuité. Si l’Etat est déclaré responsable, à mon avis, le Conseil départemental doit également être déclaré responsable. Par le fait de la décentralisation il y a eu une continuité de l’activité, passant de l’Etat au Conseil départemental. Monsieur Vidal est allé en 1985 au Conseil général pour demander à ce que son dossier soit réexaminé. On lui dit qu’il est soumis au secret. Or en réalité, il n’y avait pas de secret qui soit attaché à son dossier. Sa mère n’a jamais voulu que le secret soit gardé sur la naissance de cet enfant, permettant à cet enfant de retrouver ses origines ».

Une demande d'indemnisation

L’avocat va demander une indemnisation d’un montant total de 400 000 euros. Il explique : « Pour cela, on s’est basé sur la notion de préjudice extraordinaire, dans des affaires hors normes. On a par exemple la substitution d’enfant à la naissance, avec une affaire jugée par un tribunal dans les Alpes-Maritimes. On s’appuie sur un autre exemple, où un enfant a été retiré à ses parents après une suspicion de maltraitance. Or il se trouvait que l’enfant était affecté d’une maladie particulière, avec une fragilité osseuse ».

"Il a fait sa vie sans parents"

Me Jacques Verdier espère que le procès pourra apaiser son client : « Il a fait sa vie sans parents, dans l’ignorance de la raison pour laquelle ses parents l’avaient abandonné, dans l’ignorance-même de ses parents. C’est une chose qui aurait pu se dénouer assez simplement. A l’adolescence, on aurait pu lui révéler qui étaient ses parents, à sa majorité, on devait lui révéler qui étaient ses parents. Il a vécu en permanence dans cette quête, dans cette inquiétude et dans cette fragilité de quelqu’un qui n’est personne. C’est tout à fait dommage que cette situation ait pu perdurer car on peut largement faire reproche aux services de l’Etat d’avoir aussi tu le fait qu’il avait une sœur qui elle-même avait été placée, de la même façon qu’on a tu à sa sœur qu’elle avait un frère. Or ces éléments auraient dû être mentionnés dans le dossier ».

"Un immense gâchis"

L’avocat ajoute : « C’est un immense gâchis. C’est une vie brisée. Il a réussi à faire sa vie sur un certain nombre de plans mais il y a toujours ce manque. Il se retrouve avec ce regret de n’avoir pas connu sa mère, ce manque. Si on avait révélé à monsieur Vidal en 1985 le contenu de son dossier, en 2 jours il retrouvait qui était sa mère et où elle habitait. Il va de soi qu’il serait allé la rencontrer et je pense qu’elle lui aurait donné des réponses ». A l’issue de l’audience du 7 février, le délibéré sera rendu au maximum dans les 2 mois suivants. L’attente est encore longue pour Jean-Pierre Vidal.

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