Si l'ennui vient pendant l’épidémie de coronavirus, découvrons l’histoire de grands Auvergnats. Président sous la IIIe République, Paul Doumer est assassiné moins d’un an après son élection. Ce modeste enfant du Cantal à la brillante carrière a laissé peu de traces dans l’histoire.
Le confinement change notre rapport au temps et l’ennui nous guette pendant la pandémie de coronavirus. C’est peut-être l’occasion d’un retour en arrière pour mieux connaître certains Auvergnats qui ont marqué l’histoire de France.
Paul Doumer, pourtant premier Auvergnat à accéder à l’Élysée, n’est pas le plus connu d’entre eux. En tant que président de la France originaire du Cantal, Georges Pompidou lui a volé la vedette.
Il est pourtant le seul président de la République Française assassiné au XXe siècle.
Une histoire digne d’un polar ou d’un film d’espionnage. Pour l'anecdote, le célèbre Maigret de Simenon aurait été inspiré par le commissaire Marcel Guillaume, une figure policière de l’entre-deux guerres, qui a mené l’enquête sur l’assassinat de Paul Doumer.
Le 6 mai 1932, Paul Doumer visite un salon sur les écrivains de la Grande Guerre quand dans la foule, un homme sort un pistolet et tire cinq fois, touchant le président à la base du crâne et à l’aisselle. Paul Doumer succombera dans la nuit à ses blessures. L’assassin, un émigré russe du nom de Gorguloff, voulait sauver la Russie du bolchevisme. Pour ce déséquilibré, autoproclamé unique membre d’un parti fasciste russe blanc, la France et donc son président étaient complices des autorités soviétiques. Gorguloff est condamné à mort et guillotiné le 14 septembre.
Du 13 juin 1831 au 6 mai 1932, Paul Doumer aura été le plus éphémère des présidents français après un parcours remarquable et une fin tragique.
« Il a un petit air qui glace »
Joseph Athanase Doumer (il prit le prénom de Paul dans les années 1880) est né en 1857 à Aurillac dans une famille modeste. Peu après sa naissance, sa famille monte à Paris. Le jeune Doumer travaille dès l’âge de douze ans mais suit des cours du soir et passe un bac scientifique ce qui est à l’époque un exploit pour un fils d’ouvrier. Sa rigueur ne le quittera jamais, Le Petit Journal illustré du 22 janvier 1905 en témoigne : "Toute la vie politique et administrative de Monsieur Paul Doumer est… un bel exemple de travail acharné, de méthode impeccable et de volonté."Paul Doumer était secret et austère, plutôt rigide d’attitude et d’esprit. Pas vraiment le style d’homme apprécié pendant l’effervescence des années folles. Le voilà décrit dans une chanson de Raymond Souplex, éditée par le journal satirique Le Charivari quand il remplaça Doumergue à la présidence de la République :
“Voilà Monsieur Doumergu’ parti…
Monsieur Doumer a pris sa place
Il a un petit air qui glace…
C’est p’t-être bon pour la limonade,
Mais… c’est fini la rigolade.”
Quatre fils morts à la guerre
Paul Doumer n’aimait pas la rigolade mais son air glaçant venait peut-être aussi de son histoire sombre. Marié en 1878 à Blanche Richel, il a huit enfants, cinq garçons et trois filles. Trois de ses fils sont morts au combat pendant la Grande Guerre, un autre peu après, des suites d’un gazage. Quatre fils morts à la guerre, il y a de quoi perdre le sourire. Mais pas de renoncer à la vie politique pour Paul Doumer.
Député à 31 ans, trois fois ministre des finances, président de la chambre des députés, président du Sénat, Président de la République, sans oublier son rôle dans la colonisation comme gouverneur d’Indochine de 1897 à 1902, il est un symbole d’ascension sociale.
A l’heure où la mobilité sociale stagne en France depuis une quarantaine d’années, son parcours a passionné l’historien Amaury Lorin qui lui a consacré une biographie en 2013, Une ascension en République : Paul Doumer 1857-1932 : "Le cas de Doumer, fils de cheminot tenu de travailler à l’âge de douze ans comme apprenti-graveur, illustre l’ambition des pères fondateurs de la République, selon lesquels l’éducation oriente les sociétés vers le progrès et constitue, grâce au diplôme, le plus sûr moyen d’ascension sociale, posant le mérite individuel en garant de la réussite."
L’inventeur de l’impôt sur le revenu
Membre du Parti Radical, il a été au carrefour de la gauche et de la droite. Amaury Lorin : "Paul Doumer, radical ayant évolué vers le centre-droit avant de revenir vers le radicalisme pour se faire élire président du Sénat, a révélé une extraordinaire aptitude à tirer parti des circonstances changeantes de la conjoncture nationale. Son opportunisme assumé contraste toutefois avec la constance des idées qu’il a invariablement défendues pendant près d’un demi-siècle, tant en matière fiscale, coloniale, que militaire."
En matière fiscale par exemple, il est l’inventeur de l’impôt sur le revenu. Il avait tenté de le mettre en place dès 1895 en tant que ministre des finances. Cet impôt sera finalement instauré en 1914 car la France a besoin d’argent pour la guerre.
"Un Sarajevo français"
Après 1914, la défense nationale et la sécurité guident son action politique. La crise de 1929, la montée des extrémismes en Europe mettent en péril les démocraties parlementaires et Paul Doumer veut armer la France pour les défendre.
Son biographe souligne que le Président Doumer se savait menacé : "à la fin du mois d’avril 1932, un ami fait observer au président que s’exposer dans des foules mêlées représente un danger. Doumer répond : que voulez-vous? À mon âge, s’il m’est donné de tomber pour le pays, qu’espérer de mieux ?"
Pour Amaury Lorin son assassinat annonce la seconde Guerre mondiale comme un "Sarajevo français" : "Le 6 mai 1932 apparaît comme un événement charnière : quatorze ans après la "der des ders", la France passe de l’après-guerre à un nouvel avant-guerre en pleine et inexorable montée des fascismes en Europe."
Aujourd’hui 25 000 rues de France portent le nom de Paul Doumer. En haut de l’avenue de la République, à Aurillac, un monument porte son nom et ces mots : "L’un des plus parfaits miroirs de l’âme auvergnate".