L'ouvrage ne manque pas dans le 8e village préféré des Français. À Long dans la Somme, petite commune dotée d'un énorme patrimoine naturel, industriel et monumental, une association récemment créée se bat pour sa sauvegarde.
"J'ai eu plusieurs vies, exercé bien des métiers, changé plusieurs fois d'adresse... Mais je suis toujours revenue à Long. Je suis très liée à ce village de près de 700 habitants où ma famille est présente depuis toujours, et où je vis aujourd'hui, depuis que je suis retraitée". Marie Lépine, la présidente de l'Association de préservation du patrimoine de Long ne cache pas un attachement profond à ce beau village de la Somme où elle œuvre désormais, pour défendre des aléas du temps la longue liste des sites remarquables longiniens.
"Notre association est toute récente. On y réfléchissait depuis longtemps, et avec une poignée de passionnés d'histoire locale et de personnes attachées aux beautés de leur territoire, on l'a lancée, en avril 2022. Je précise, avec le soutien plein et entier de la commune. Et depuis, les dossiers et les chantiers ne manquent pas !", nous explique Marie Lépine. "Et comme il y a vraiment de l'ouvrage, on s'est organisé en quatre pôles : patrimoine bâti, patrimoine naturel, cadre de vie et enfin, sauvegarde de la mémoire collective, par le biais du recueil de photos, documents et témoignages de nos anciens".
Tous ceux qui se sont un jour promenés dans ce village le savent : de l'hôtel de ville au château XVIIIe et ses serres magnifiques, en passant par l'église et la centrale hydroélectrique plus que centenaire, Long regorge de beautés architecturales, au milieu d'étangs et de marais, hérités de sa longue tradition d'extraction de la tourbe. De quoi donner le tournis à la modeste association de quelque 50 membres, mais Marie Lépine traite les dossiers selon l'urgence.
Une histoire qui plonge ses racines au plus profond de la terre
"Notre village a tiré sa fortune de l'extraction de la tourbe noire, et ce, pendant des siècles, d'où cette profusion de bâtis exceptionnels", ajoute Marie Lépine. Une activité traditionnelle aujourd'hui disparue et surtout interdite, qui tient bien sûr au fait que la commune soit située dans la vallée de la Somme.
À la fin du XIXe siècle, le département de la Somme compte 3 000 hectares de tourbières sur les 38 000 hectares que l'on a inventoriés dans le pays. Et Long est au cœur de cette activité qui permet aux familles de se chauffer, ici, et ailleurs en France, où la tourbe longinienne est vendue. "En 1851, Long compte 1 800 habitants, rendez-vous compte ! C'est considérable. C'est pour cela qu'il a fallu construire une école qui comptait alors quatre classes, et rebâtir une église, pour accueillir tous les paroissiens, poursuit Marie Lépine. L’extraction de la tourbe, combustible pour se chauffer, donc essentiel, nécessitait beaucoup de main-d’œuvre. À l’époque, les femmes étaient associées à ce travail, très pénible. La tourbe était passée à la trémie, puis les rubans de tourbe étaient découpés, transformés en briquettes, lesquelles étaient mises à sécher. Il fallait les retourner, une par une, sur des étendues énormes. Enfin, ces briquettes étaient disposées en tas, ou 'catelets', en picard".
Le louchet mécanique de Noé Delassus : la géniale invention d'un enfant du pays
Pendant la Seconde Guerre mondiale, le charbon manque, il y a des pénuries. La tourbe trouve donc un regain d'intérêt. "C'est à ce moment-là, vers 1942, que Noé Delassus, tourbier de métier, longinien pure souche, invente un louchet mécanique. Cet ouvrier, diplômé d'un CAP mécanicien gazogène, va déployer des trésors d'inventivité pour sa machine, construite grâce à un simple moteur de Citroën", nous raconte Marie Lépine.
Haut de six mètres et pesant plus de deux tonnes, le louchet de Noé Delassus allège la charge de travail des tourbiers et augmente les rendements. Il va permettre d'extraire, des étangs situés autour du village, jusqu’à 40 000 briquettes par jour. Mais après-guerre, le charbon revient en force et à Long, l'activité d'extraction de la tourbe s'arrête définitivement en 1962.
L'histoire aurait pu s'arrêter là sans la ténacité des bénévoles de l'Association de préservation du patrimoine de Long. "Après de nombreuses recherches, nous avons fini par localiser le louchet de Noé Delassus. Il avait été transporté dans l'Essonne pour être utilisé par une entreprise horticole, puis abandonné pendant près de quarante ans près des étangs de Baulne. On le croyait perdu, se réjouit Marie Lépine. La commune de Long l'a racheté pour l'euro symbolique il y a quelques mois. C'est une grande joie d'avoir pu rapatrier cette machine dans la commune où elle a été conçue".
"Le louchet est désormais à l'abri chez l'un de nos membres. Après des années d'exposition au vent, à la pluie, au froid, vous imaginez le travail de restauration à accomplir. Le budget nécessaire est en cours d’évaluation. Mais c'est un processus administratif lourd, car le louchet est inscrit aux Monuments historiques. Nous travaillons de concert avec la DRAC et la Fondation du patrimoine".
Nul doute que les descendants de Noé Delassus, qui vivent toujours à Long, apporteront un appui précieux à ce processus de renaissance, grâce notamment aux plans initiaux conservés par la famille.
Le travail sans fin de préservation du patrimoine
On l'a compris, le dur labeur de générations de tourbiers aura fait la fortune de Long et leur travail d'extraction a forgé durablement les paysages de ce village où l'on peut admirer aujourd'hui ses 200 hectares de marais, anciens sites d'extraction rendus à la nature. Élu en 2021, 8e village préféré des Français, Long n'usurpe pas ce classement. Une fortune qui aura permis aussi que ce village soit l'une des toutes premières communes du pays à être électrifiées grâce à la construction, en 1903, d'une centrale hydroélectrique parfaitement conservée et ouverte aux visites.
"Cette centrale hydroélectrique a été construite grâce à des élus visionnaires, raconte Marie Lépine. Enfant, je me souviens des baisses de tension dans le village lorsque l'on regardait la télévision. Il faut dire qu'avec l'équipement massif en électroménager au sein des foyers, notre centrale ne pouvait plus satisfaire les besoins croissants des familles. Et donc, à la fin des années 60, nous sommes passés au compteur bleu EDF".
"La richesse patrimoniale de notre village implique de lourdes responsabilités, poursuit-elle. En prenant la tête de l'association, je savais qu'il y aurait énormément de travail et après le louchet et sa restauration, nous allons nous concentrer sur l'église Saint-Jean-Baptiste, construite en 1851, dans le style néogothique. Je connais bien cet édifice, car j'y suis organiste, et je le vois de mes propres yeux : il y a des trous dans les vitraux, les oiseaux passent et abîment l'édifice".
Un bilan sanitaire rendu en 2023, confirme le témoignage de Marie Lépine. "Ce rapport pointe la nécessité d'effectuer de nombreux travaux pour la sauvegarde de notre église. Nous allons entrer en contact avec des maîtres verriers pour remplacer les plombs dilatés et cassés des vitraux et protéger ainsi l'édifice des oiseaux".
Avis aux mécènes : selon les estimations, il faudrait a minima 100 000 € pour restaurer les cinq baies du chœur central. "Nous y allons pas à pas. Notre magnifique orgue Cavaillé-Coll, celui-là même qui a aussi conçu l'orgue de Notre-Dame de Paris, a été entièrement restauré il y a un an et demi. Et j'ai le bonheur d'en être l'organiste titulaire".
La combative Marie Lépine, nouveau visage de la défense du patrimoine longinien, conclut : "il ne faut jamais baisser les bras. Et j'invite tous les habitants de Long à s'emparer de cet inestimable patrimoine qui est notre bien commun à tous".