C'est l'une des 1 300 forêts domaniales de France. L'une des plus grandes aussi. De celles façonnées par François Iᵉʳ qui aimait venir y chasser. Patrimoine forestier exceptionnel, la forêt de Retz, également appelée forêt de Villers-Cotterêts, est toujours la même depuis le Moyen Âge. C'est l'histoire du dimanche.
C'est l'un des plus grands massifs forestiers de France. Avec ses 13 340 hectares, ses 60 km de routes forestières et ses 560 km de laies et de chemins, la forêt domaniale de Retz est la première hêtraie de l'histoire forestière de notre pays. À cheval sur le département de l'Aisne et celui de l'Oise, ses contours n'ont pas bougé depuis plus de 900 ans.
Les premières traces de la forêt de Retz, dont l'origine du nom n'est pas clairement établie, remontent au Ier siècle avant notre ère, au temps de Jules César. À l’époque, elle fait partie d'un vaste ensemble qui regroupait les actuelles forêts de Chantilly, Ermenonville, Halatte, Compiègne, Laigue, Ourscamp, Saint-Gobain et Coucy-Basse.
"Si on remonte très loin dans le passé, bien avant les Gaulois, on parlait déjà de cette grande forêt des Sylvanectes au nord de Paris qui allait jusqu’aux confins des Ardennes, explique Jérôme Jaminon, directeur de l’agence Office national des forêts de Compiègne et gestionnaire de la forêt de Retz de 2013 à 2017. Mais la forêt de Retz ne se dessine vraiment qu'à partir XIIe siècle. Avant, on n’a pas vraiment d’informations sur ce qu’elle est. Ce qu'on sait, c'est qu'elle est la propriété de différents seigneurs. Elle a fortement régressé au début du Moyen Âge. Retz aurait pu ensuite être victime de défrichements massifs comme ça a été le cas d’autres forêts autour. Mais les rois de France aimaient ce site pour y chasser. Ils y voyaient aussi un intérêt en termes d’utilisation du bois. Ce qui fait qu’elle a été préservée. Elle a passé les siècles et est parvenue jusqu’à nous intacte. D'ailleurs, ses lisières n’ont quasiment pas bougé depuis le Moyen Âge."
La première Maîtrise des Eaux et Forêts de France
Une stabilité qu'elle doit à un roi de France. Car l'histoire de la forêt de Retz est étroitement liée à celle de la couronne. Propriété des comtes de Valois qui résident à Crépy-en-Valois, elle entre dans le domaine royal en 1214, annexée aux possessions de Philippe Auguste après le décès de la dernière héritière du domaine de Valois.
Avant cette date, les comtes de Valois accordent de nombreux droits d'usage à leurs vassaux et aux communautés religieuses du secteur. La forêt subit d'importants déboisements qui correspondent notamment à la construction dans le comté de plusieurs grandes abbayes. Pour limiter ces défrichements sauvages, Philippe Auguste réglemente par ordonnance royale les droits d'usage et les coupes.
C’était déjà une très belle forêt de hêtres et de chênes, presque comme on la connaît aujourd’hui. Ce qui n’était pas le cas sur les autres massifs forestiers qui étaient composés de taillis.
Jérôme Jaminon, directeur de l'ONF à Compiègne
La forêt de Retz s'installe alors dans la forme originale qu'on lui connaît aujourd'hui : celle d'un fer à cheval aux contours ciselé de villages, de vallées et de clairières. Une dentelle végétale de plus de 320 km de lisières.
Le lieu va prendre une autre ampleur avec l'avènement sur le trône de France de Philippe VI de Valois. En 1346, il crée le premier code forestier en signant l'ordonnance de Brunoy qui organise l'administration des forêts du domaine de Valois.
Ce texte instaure les premières administrations des maîtres des Eaux et Forêts, ancêtres de l'ONF. "Le premier maître des Eaux et Forêts a été installé à Villers-Cotterêts. Ce qui montre que, déjà à cette époque, la forêt de Retz n’est pas une forêt de mauvaise qualité, remarque Jérôme Jaminon. C’était déjà une très belle forêt de hêtres et de chênes, presque comme on la connaît aujourd’hui. Ce qui n’était pas le cas sur les autres massifs forestiers qui étaient composés de taillis qu’on coupait régulièrement pour du bois de chauffage par exemple. C'est un élément qui ressort des expertises des maîtres des Eaux et forêts de l’époque puisque dans leurs rapports et dans les textes historiques, on la retrouve souvent qualifiée de plus belle forêt de France. François 1er disait de la forêt de Retz qu’elle était la plus belle et la plus renommée du royaume."
Les grands travaux de François Ier
Car François Ier hérite de la forêt de Retz en 1499. Il n'a que 5 ans et n'est encore que François d'Angoulême, cousin du roi de France Louis XII. Issu de la branche cadette de la maison de Valois, le jeune François n'est pas destiné à régner bien qu’en bonne position dans l’ordre de succession : aîné des Valois, la loi fait de lui le prince héritier de la couronne de France. C'est à ce titre qu'il reçoit en apanage le duché de Valois et toutes ses possessions.
François Iᵉʳ va y organiser toutes les activités de chasse, de production et de récupération de l’eau.
Jérôme Jaminon, directeur de l'ONF de Compiègne
Devenu roi de France, il va faire de Retz une forêt d'exception à bien des égards en réorganisant totalement cette forêt giboyeuse proche de Paris et dans laquelle il aime chasser. En 1532, il va ainsi réaménager la Malmaison, une demeure de passage nichée au cœur du massif forestier, en un relais de chasse somptueux : le château de Villers-Cotterêt où le roi signera en août 1539 l'Ordonnance du même nom qui proscrit le latin des actes officiels et administratifs.
"Il va reprendre notamment les cheminements à l’intérieur du massif pour pouvoir y circuler. Il va y organiser toutes les activités de chasse, de production et de récupération de l’eau puisque Villers-Cotterêts est une ville où il y a très peu d’eau, énumère Jérôme Jaminon. L’une des caractéristiques de cette forêt, c’est son système de captage des eaux de ruissellement. C’est ce qu’on appelle la Laie des pots qui est installée dès le XIIe siècle. C'est un système de récupération des eaux de source qui sont canalisées par des petits aqueducs. Ils sont très discrets. Celui qui ne connaît pas ce système passe à côté sans s’en apercevoir alors que c’est d’une richesse incroyable. À l’époque, il y avait déjà cette idée de ramener de l’eau vers la ville et vers la Malmaison. François Ier va amplifier et compléter ce réseau d’acheminement d’eau vers le château. Il intervient en forêt de Retz sur l’eau, sur la chasse et sur la valorisation de l’utilisation du bois."
La première hêtraie de l'histoire forestière française
L'utilisation du bois de Retz va dès lors devenir plus intensive. Traversée par la rivière Ourcq qui va de la Ferté-Milon à Paris, la forêt devient le lieu privilégié d'approvisionnement en bois de la capitale. Une ressource primordiale destinée aux constructions et au chauffage.
Pour faciliter le transport des grumes, Catherine de Médicis ordonne en 1564 la canalisation de l’Ourcq qui nécessite la création de réservoirs dans la forêt. "Retz était une forêt qui était déjà de bonne qualité. Quand nous, forestiers, on parle de qualité en forêt, on parle de fûts bien droits, assez élancés, ce qu’on qualifie de futaie cathédrale et qu’on obtient grâce à une gestion pilotée par le forestier, précise Jérôme Jaminon. La forêt de Villers-Cotterêts a toujours eu la caractéristique d’être une forêt très réputée pour la qualité de ses bois. Donc forcément, ses grands fûts de hêtres et de chênes étaient très prisés pour la construction à l’époque. La forêt voisine de Compiègne par exemple ressemblait à une lande avec des taillis et des marais. Retz était un exemple. Sa qualité a perduré pendant des siècles."
On est sur des sols plutôt riches avec une météo favorable et humide. Et le hêtre aime les milieux humides et les milieux ombragés.
Jérôme Jaminon, directeur de l'ONF de Compiègne
Au point que la forêt de Retz compte une trentaine d'arbres remarquables, identifiés comme tels par leurs caractéristiques ou leur histoire. Beaucoup sont pluricentenaires. Et le plus âgé, le Chêne brûlé, a plus de 450 ans. Au point également que sa biodiversité, ancienne, est exceptionnelle : "le fait que la forêt de Retz ait une histoire forestière longue de plusieurs siècles fait qu’on a des espèces qui ont pu se maintenir durablement et qui sont typiques de ce qu’on appelle les vieilles forêts", indique Jérôme Jaminon.
Henri IV sera le dernier roi de France à séjourner à Villers-Cotterêts : en 1630, Louis XII le donne en effet en apanage, ainsi que la forêt, aux ducs d'Orléans. Bien que sortie du domaine royal, Retz va néanmoins être soumise la première réglementation officielle de la gestion des espaces forestiers du royaume. Mise en place par Colbert en 1672, elle impose qu'au moins un quart de leur superficie soit planté en futaies.
Une organisation qui perdure depuis dans la forêt de Retz, où sera privilégié le hêtre. Elle devient ainsi la première hêtraie de l'histoire forestière française. L'une des plus belles aussi. "On est sur des sols plutôt riches avec une météo jusqu’à présent plutôt favorable et humide. Et le hêtre aime les milieux humides et les milieux ombragés, indique Jérôme Jaminon. Donc naturellement, au fil du temps, dans ces conditions-là, c’est l’essence qui a dominé toutes les autres. Et comme c’était de très beaux arbres et de bonnes qualités, les forestiers l’ont simplement accompagnée. Il y a eu quelques tentatives de diversification avec le chêne qui y pousse bien également. Mais le hêtre, c’est un peu le roi de la forêt de Villers-Cotterêts."
Une source d'inspiration pour de nombreux artistes
En 1814, à la chute du Premier Empire, la forêt réintègre les possessions de la Maison d’Orléans avant de redevenir propriété de l’État en 1848 sous la IIe République.
C'est dans ce paysage grandiose que de nombreux artistes ont trouvé l'inspiration. Racine, né à quelques kilomètres à la Ferté-Milon, célèbre pour son château inachevé. René Demeurisse, peintre parisien du début du XXe siècle, dont plusieurs œuvres représentent la forêt de Villers-Cotterêts, la plus célèbre étant L'oubli, conservé à l'Historial de la Grande Guerre à Péronne.
Mais c'est surtout Alexandre Dumas père, né en 1802 à Villers-Cotterêts, qui célébrera le plus la beauté de la forêt de Retz. Il faut dire qu'il la connaît particulièrement bien. Peu enclin aux études, il préfère explorer les moindres recoins du massif forestier pendant des heures. C'est même là qu'en 1811, à tout juste 9 ans, il se réfugie pendant trois jours et trois nuits pour fuir le séminaire où sa mère veut l'envoyer. Il en fera le décor des romans Catherine Blum, édité en 1854, et Le meneur de loups, en 1857.
Dans Le pays natal, l'un de ses derniers ouvrages paru six ans avant sa mort en 1870, il écrira à propos de la forêt de son enfance : "Dieu qui a été si bon pour moi a voulu être prodigue jusqu’au bout : au lieu de me faire naître dans une de ces carrières de pierre habitées par une fourmilière d’hommes, que l’on appelle Paris, Lyon, Nantes, Bordeaux, Marseille ou Rouen, il m’a choisi, comme aux oiseaux créés pour chanter les louanges, un nid dans la verdure et dans la mousse sous les hauts et frais ombrages de la plus belle forêt de France."
La Première Guerre mondiale n'épargnera pas la forêt chère à l'un des grands écrivains français. Proche du front, ce rempart naturel pour Paris est brièvement investi par l'armée allemande qui l'occupe durant les premiers jours d'août 1914 avant de remonter plus au nord vers le Chemin des dames. Son surplomb sur la vallée de l'Aisne en fait un point stratégique. C'est sur l'une de ses hauteurs que le général Mangin fait ériger une tour d'observation de plus 200 mètres d'où il a une vue dégagée sur la plaine, le front et l'ennemi.
C'est depuis cette tour, qui porte aujourd'hui son nom, qu'il lancera le 18 juillet 1918 la deuxième bataille de la Marne, offensive qui conduira à la victoire des Alliés quelques semaines plus tard. "C'est vrai qu'elle a souffert pendant la guerre mais pas comme d’autres massifs plus au nord comme Coucy et Saint-Gobain qui étaient dans la zone occupée par les Allemands, raconte Jérôme Jaminon. Là-bas, les Allemands n’hésitaient pas à défricher et à utiliser le bois pour construire des tranchées ou des voies de chemin de fer. La zone sud de la forêt de Villers-Cotterêts a surtout servi de zone de repli : elle abritait et elle camouflait les équipements de l’armée française. Il n’y a pas eu la même pression en termes d’exploitation. Mais toute la zone nord a été bombardée et attaquée. Et on retrouve aussi des tranchées."
Le nouveau défi du réchauffement climatique
Labellisée forêt d'exception en 2023, la forêt de Retz a aujourd'hui un autre combat à mener. Celui du réchauffement climatique. Si le dépérissement du hêtre et du chêne est déjà bien amorcé dans certains massifs voisins au sol plus sableux qui retient moins l'eau, il commence à gagner Retz. Notamment avec les épisodes de sécheresse et de canicule de ces dernières années. "C’est beaucoup moins impressionnant qu’à Compiègne par exemple. Mais on sent qu’il y a un changement qui s’opère et qui doit nous obliger, nous forestiers, à repenser le choix des essences pour cette forêt-là dans les années qui viennent, avoue Jérôme Jaminon. On est dans une logique d’anticipation pour essayer de l’adapter à ce qui nous attend et qui risque de l’impacter beaucoup plus fortement dans 30, 40 et 50 ans. Et ce risque est très important pour le hêtre qui est une essence qui aime l’ombre et l’humidité et qui ne supporte pas les déficits hydriques répétés. L'un de nos enjeux aujourd’hui, c'est diversifier progressivement la population d'arbres sans attendre un trop fort dépérissement. Avec d’autres essences. Peut-être le chêne, qui est un peu plus résistant ou de résineux."
Et de conclure : "c’est le royaume du hêtre pour le moment. Mais ça ne le sera plus dans quelques années."