"Les rats taupiers nous ont ruinés" : dans le Cantal, des agriculteurs désemparés face au fléau des campagnols
"Les rats taupiers nous ont ruinés" : dans le Cantal, des agriculteurs désemparés face au fléau des campagnols
Écrit par
C. L avec L. Théodore
Publié le
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Depuis cet automne, dans le Cantal, l'invasion des campagnols terrestres a repris. Un désastre pour les agriculteurs touchés qui voient leurs terres ravagées par ces rats taupiers. Ils sont désemparés face à ce fléau contre lequel ils se sentent impuissants.
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Sur cette parcelle de prairie, à Cézens, dans le Cantal, l'herbe a quasiment disparu. Il ne reste, ici ou là, que quelques brins cernés par la terre. Le fautif est le rat taupier. Pas moins de 70% des terres de l'exploitation sont touchés. Près de 80 hectares où pullulent à nouveau des rats taupiers par milliers. Jérémy Ginhac, du GAEC de Chauvel, explique : « C’est pas beau pour l’avenir. Plus ça va et plus les épisodes de rats se rapprochent. On commence à avoir un peu de haine, on va dire, car c’est de plus en plus compliqué. Je ne sais pas trop quel mot employer pour vous dire la détresse dans laquelle on est ».
Des frais supplémentaires
Chaque jour, un rat taupier dévore son poids en racine, soit près de 200 g. Et il pourrait y avoir jusqu'à 1000 rats à l'hectare, peut-être plus, tellement l'espèce se reproduit rapidement. Richard et son fils Jérémie ne peuvent plus compter sur l'herbe de leurs prairies pour nourrir leurs vaches. Ils sont obligés d'acheter du foin, de la paille et des compléments alimentaires. Quelque 25 000 € de frais supplémentaires sont dépensés chaque année de pullulation. Richard Ginhac, du GAEC de Chauvel, raconte : « Je suis installé depuis 1990. A chaque fois, il y a eu des épisodes en zone de montagne. En plus, la période de végétation est très courte. Les rats taupiers nous ont ruinés. Chaque fois qu’on arrive à avoir un peu de trésorerie, ça part toujours vers l’achat du fourrage, l’achat d’aliments pour nourrir les animaux. On est toujours à bout, on n’arrive pas à sortir la tête de l’eau, ça n’est plus possible ».
Une source détournée
D'autant qu'aujourd'hui, l'inquiétude des deux éleveurs dépasse les limites de leur exploitation. Car à des kilomètres à la ronde, sur ces terres infestées de rats, se trouvent des captages d'eau, celui de Saint-Flour par exemple, où du village de Richard et Jérémie dont l'eau affleure à même la terre, par endroit. Jérémy Gingac poursuit : « On a la source qui est captée juste au-dessus, à 10 m. Les rats, avec les galeries, ont commencé à détourner la source et l’eau ressort par les galeries. L’eau est en contact direct avec les rats. On s’est remis à boire de l’eau en bouteille car aujourd’hui on a peur pour notre santé ».
Le recours à la Bromadiolone
En France, chaque département possède une Fédération des groupements de défense contre les organismes nuisibles (FDGDON). C'est elle qui coordonne la lutte contre le rat taupier. La veille, Jean-Paul Hurgon a traité son champ à la Bromadiolone. Ce sont ces grains bleus, un puissant anticoagulant, souvent utilisé contre les rats taupiers. Jean-Paul Hurgon, du GAEC Hurgon, précise : « Ca a une efficacité quand même mais il peut peut-être y avoir mieux. On souhaite qu’il y ait mieux. Les cycles se renouvellent tous les 4 ans, c’est trop souvent. Ca nous fait trop de pertes fourragères ».
Un produit interdit le 20 décembre
Jugée néfaste pour l'environnement, la Bromadiolone a perdu son autorisation de mise sur le marché. Son utilisation sera définitivement interdite le 20 décembre prochain. Une autre molécule a été homologuée : le phosphure de zinc, commercialisé sous le nom de Ratron GW. A l'inverse de la Bromadiolone, l'Etat n'a pas validé l'application mécanique du produit. Christophe Chabalier, animateur FDGDON 15, indique : « On est sur un traitement à la canne. L’idée est de trouver la galerie, d’agrandir un peu le trou, pour faire tomber les appâts ». Une application manuelle qui fait bondir le monde agricole. Jean-Paul Hurgon n'en croit pas ses yeux : « Vu l’état des parcelles, c’est impossible de la faire à la main. On nous laisse à notre sort, je pense que les rats auront la partie belle. Si ça continue comme ça, avec pas de matériel et un produit qui est quand même cher, on ne pourra pas, tout simplement ».
Une lutte collective
Pourtant, pour être efficace, la lutte contre le rat taupier doit être collective. Simon Veschambre, président FDGDON 15, affirme : "Au bout d’un moment, tous les agriculteurs, par tous les moyens j’ai envie de dire, il faut qu’ils traitent, quel que soit le moyen, manuel ou mécanique. Derrière, il ne faut pas hésiter à tenter quelque chose". Comme le rappelle un article d'un journal spécialisé, la Direction Régionale de l'Alimentation, de l'Agriculture et de la Forêt tient un discours ferme à ce sujet : "Tout usage en dehors des conditions de l'AMM engage la responsabilité pénale de l'applicateur, ainsi que sa responsabilité civile en cas d'accident. La survenue d'une intoxication pourrait également avoir pour conséquence l'arrêt de la commercialisation du produit".
Une idée pour lutter contre la pullulation
A Raulhac, les troupeaux d'Aubrac de Michel, côtoient eux aussi les rats taupiers. Michel Bos, président du Collectif "Rat le bol, vivre et travailler dans le Massif Central", indique : « Ils ont colonisé de nouveaux secteurs. On reçoit souvent des appels d’éleveurs à 30, 40, 50 km, qui n’ont jamais vu ça et qui sont confrontés à ce problème aujourd’hui. Petit à petit, tout le département va être concerné par cette invasion ». Depuis 2018, Michel est le président du Collectif « Rat le bol », qui milite pour des moyens de lutte pérennes face au campagnol terrestre. Sa dernière idée : adapter la canne du Ratron GW à une charrue. Le principe reste manuel mais beaucoup plus efficace. « Le poison représente 40 000 grains, c’est ce qui est marqué sur le sac. Avec une machine comme ça, en apportant quelques modifications, ça peut se faire en une heure ou deux » confie Michel. Une solution concrète, pour tenter de répondre à la désespérance des agriculteurs. Très ému, il ajoute : « Il y a 3-4 ans quand on allait dans des réunions, on nous disait qu’il fallait 3-4 ans pour trouver quelque chose. A la dernière réunion, dans l’été, on nous a encore dit qu’il fallait 3 ou 4 ans. En 2030, 2040, je ne sais pas si je serai encore de ce monde pour voir la fin des rats taupiers ». Une émotion palpable quand d'autres se disent déjà "hantés" par l'état de leurs prairies au printemps prochain, accablés de voir leurs animaux dépérir. Un cauchemar à répétition pour le monde agricole.
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