A l'heure où certains mènent la guerre au gras, la célèbre charcuterie lyonnaise Sibilia oeuvre à la relance du Mangalitza, une race de porcs hongrois pratiquement disparue mais réputée pour son lard, en partenariat avec un couple d'éleveurs isérois à La-Chapelle-du-Bard, près d'Allevard (Isère).
Depuis une dizaine d'années, Michel et Sylvie Guidet élèvent une centaine de cochons Mangalitza dans leur exploitation escarpée qui s'étend sur trois hectares, loin de l'agitation grenobloise, dans le hameau de La-Chapelle-du-Bard, en Isère.
"Les comptes sont équilibrés mais on ne fait pas de bénéfices", assure celui qui depuis 10 ans a dû cumuler deux métiers pour s'en sortir. "Ce qui me motive, c'est de faire le meilleur cochon du coin! C'est un pari", sourit-il.
Docteur en biochimie, employé pendant 15 ans dans un laboratoire vétérinaire, puis restaurateur... En 2007, cet isérois de 59 ans décide de changer de vie une nouvelle fois : il sera éleveur de cochons. "Le porc qu'on servait aux clients était sec. Il n'avait pas de jus, pas de saveur. Quand on tombe dans l'industriel, c'est immangeable", déplore cet homme jovial, en quête de saveurs authentiques. Il décide d'élever deux cochons roses "large white". Mais cette race se révèle trop fragile pour le climat rude, aux hivers très froids et aux étés très chauds de son hameau à 600 mètres d'altitude.
C'est en s'adressant au Centre ProSpecieRara de Genève, spécialisé dans la sauvegarde des espèces végétales et animales en voie de disparition, qu'il découvre le Mangalitza, une race ancienne, mi-cochon, mi-sanglier. Créé en Hongrie à l'aube du XIXe siècle, ce porc à poil dru a failli disparaître après la Seconde Guerre Mondiale car trop peu prolifique et de croissance trop lente: il faut en effet 18 mois pour obtenir une carcasse de 80 à 100 kilos contre cinq mois pour un porc industriel, selon Bruno Bluntzer, dirigeant de la Maison Sibilia.
Michel Guidet en achète deux à titre d'essai en 2008, puis d'autres, qui aujourd'hui ont fait des petits. En liberté, été comme hiver, dans l'enclos jouxtant sa maison, quelque 80 porcs aux soies blondes, rousses ou hirondelle (noires sur le corps, blanches sur le ventre) dévorent goulûment maïs, châtaignes et autres fruits éparpillés au sol, tandis que d'autres grattent la terre avec leur groin en grognant.
Découvrez le reportage de Gilles Ragris et Dominique Semet :
Saveur plus prononcée
"J'étais à la recherche d'une race de cochons spécifique pour travailler différemment car, ce qui m'intéresse, c'est le goût", explique le charcutier, qui a repris en 2011 la célèbre enseigne de Colette Sibilia, l'une des mères lyonnaises, aux Halles Paul Bocuse.Sa rencontre avec Michel Guidet et la visite de son élevage ont achevé de le convaincre de "faire des essais" avec ce "produit d'exception", riche en acide gras Oméga 3 et pauvre en cholestérol.
Le couple isérois lui livre un Mangalitza par semaine. Depuis un an et demi, il le prépare en jambon blanc, en gambette (épaule désossée et roulée), en filets mignons ou en échine rôtie... et organise des dégustations auprès de ses clients "pour éduquer au goût".
"Ce cochon, je l'apparente au boeuf (japonais) wagyu avec sa chair persillée, qui va suinter, mais c'est du bon gras", observe-t-il. Composée à plus de 60% de graisse, la viande de Mangalitza développe une saveur plus prononcée et une jutosité qui l'empêche de se dessécher à la cuisson.
Les prix sont, quant à eux, pratiquement le double de ceux pratiqués pour le porc classique. Et l'artisan de conclure: "Ce qui est bien aussi, c'est de rajeunir l'image de la charcuterie".